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Gare au piège OTC

Chez MSC, on nous demande souvent de conseiller les opérateurs de réseaux mobiles (ORM) et les banques sur leur stratégie de commercialisation pour les services financiers digitaux. Un nombre croissant d’ORM pensent qu’une stratégie axée sur les transactions au guichet (OTC) serait la plus efficace. Peut-être ont-ils raison … et tort.

Gare au piège OTC

 

Pawan Bakhshi,  mai 2014

Chez MSC, on nous demande souvent de conseiller les opérateurs de réseaux mobiles (ORM) et les banques sur leur stratégie de commercialisation pour les services financiers digitaux. Un nombre croissant d’ORM pensent qu’une stratégie axée sur les transactions au guichet (OTC) serait la plus efficace. Peut-être ont-ils raison … et tort.

Si l’on considère les besoins explicites des clients, il est clair que deux types de transactions constituent les « points faibles » les plus importants et les plus évidents. Il s’agit de transferts de fonds et de paiements de factures. Les envois de fonds parce qu’un grand pourcentage de personnes sont des migrants et ont besoin d’envoyer de l’argent chez eux ; et les paiements de factures puisque les émetteurs de factures n’accordent pas de crédit et sont susceptibles de perturber les approvisionnements s’ils ne sont pas payés à temps. Il est donc de plus en plus clair que les transferts de fonds (et éventuellement les paiements de factures) sont en passe de devenir les produits phares les plus courants pour les déploiements de mobile money dans le monde entier.  Et, bien entendu, sur certains marchés, les paiements G2P (Gouvernement à Personne – transferts de prestations, salaires, etc.) peuvent également jouer ce rôle important.

Nous constatons que les ORM et les banques optent de plus en plus pour les transactions OTC dans le monde en développement – regardez le Bangladesh, le Pakistan, le Ghana et l’Inde. Mais pourquoi ? Voilà la question brûlante. Il pourrait y avoir plusieurs raisons : les besoins des ORM, les besoins des banques et les besoins des clients.

Examinons d’abord les besoins des ORM. Il y a trois facteurs qui stimulent les activités monétaires mobiles : (1) l’échelle ; (2) le débit et (3) le rendement. S’agissant de déploiements de mobile money, très peu d’ORM (sur les 219 déployés jusqu’à présent) ont connu une croissance en bâton de hockey (voir le graphique de déploiement des MMU de State of the Industry 2013 Mobile Financial Services for the Unbanked).

Ainsi, contrairement aux attentes de la plupart des ORM,  la croissance du mobile money est beaucoup plus lente, et la base active est beaucoup plus petite que la clientèle totale.

Le deuxième facteur le plus important pour leur entreprise est le débit. Le moyen le plus rapide d’obtenir un débit plus élevé, étant donné que les clients ne font pas encore de transactions eux-mêmes, est d’offrir des  transactions au guichet pour les transactions de plus grande valeur comme les transferts de fonds. Dans ce cas, le client entre tout simplement et remet l’argent comptant, paie des frais (habituellement plus élevés que les frais de subvention du commerçant) et l’argent arrive jusqu’au destinataire. Une fois que vous avez les agents OTC au bon endroit, la valeur de l’entreprise augmente à pas de géant. Cela ressort clairement de ce qui s’est passé au Pakistan et au Bangladesh. Le déploiement précoce du mobile money au Bangladesh a conduit à l’ouverture de nombreux comptes,  mais le niveau d’utilisation des transactions OTC reste significatif. « Bien que relativement nouveau dans le domaine des services financiers mobiles, le Bangladesh, qui a fait son entrée sur le marché en 2011, fait déjà sa marque. Il y a environ 13 millions de comptes bancaires mobiles enregistrés au Bangladesh à partir de  janvier 2014 et près de 900 millions de dollars de transactions par mois par l’intermédiaire d’environ 150 000 agents (Bangladesh Bank) » – Pial Islam dans Transitions from OTC to Wallets: Evidence from Bangladesh.

Au Pakistan aussi, l’OTC a été la stratégie de déploiement privilégiée. « Le service de transferts de fonds OTC est l’activité dominante pour EasyPaisa ainsi que dans l’ensemble du secteur des services bancaires par téléphone mobile au Pakistan, qui a traité 41 millions de transactions d’une valeur de 1,6 milliard de dollars au premier trimestre 2013 (State Bank of Pakistan). Seulement 2,4 millions de clients ont des portefeuilles de téléphone portable équipés de comptes EasyPaisa, bien que nous ayons recueilli les noms uniques de 5 autres millions d’abonnés uniques qui effectuent les paiements OTC par le biais de  EasyPaisa » – Nadeem Hussain dans The EasyPaisa Journey from OTC to Wallets in Pakistan.

Comme le portefeuille mobile n’est pas encore interopérable, l’OTC apparaît comme le seul moyen d’atteindre les clients de la concurrence. Cela induit souvent la direction en erreur, faisant entendre que l’entreprise s’améliore, du moins en ce qui concerne deux paramètres : le débit  et le rendement !

Hélas ! C’est ici que le piège OTC se déploie. Le personnel d’exploitation espère en dépit de tout que le client mesurera l’intérêt d’effectuer les transactions lui-même. Les agents de vente des ORM subissent moins de pression, car ils ont juste besoin d’une meilleure structure d’incitation pour les encourager à faire passer les transactions par leur système  plutôt que par celui de la concurrence. En ce qui concerne le client, peu importe le système utilisé par l’agent, tant que l’argent arrive au destinateur à temps. Il fait confiance à l’agent. Les deux objectifs sont atteints, et assez facilement !

Les banques font souvent la promotion de l’OTC, car c’est ainsi qu’elles ont toujours fait des affaires. Cela signifie simplement qu’il n’y a pas de changement de comportement, ni pour la banque, ni pour le client. La seule différence est que les transactions sont déplacées de la succursale de la banque vers l’emplacement de l’agent. Très souvent, l’agent au guichet est assez proche de la succursale bancaire et attire activement les clients de la banque. La banque s’en soucie pas – il « décongestionne » ses succursales, ce qui permet aux clients plus importants d’accéder à la succursale. Le prix actuel du marché met en évidence le fait que les banques veulent cette activité, car le tarif proposé par les agents OTC désignés par la banque est déjà beaucoup plus bas que les 5 % facturés par India Post.

Comparaison des tarifs, basée sur une étude de terrain menée par MSC (tous les tarifs sont en roupies)

Tout cela s’est traduit par un environnement très concurrentiel dans les métropoles – voir Remittances : The Evolving Competitive Environment.

Pour le client, l’OTC présente de nombreux avantages. Premièrement, le client n’a pas besoin de changer son comportement ou d’apprendre une nouvelle technologie, potentiellement intimidante. La transaction OTC ressemble beaucoup à un achat de recharge de temps d’antenne, avec lequel les gens sont à l’aise. Deuxièmement, il ne comprend toujours pas pourquoi un ORM le pousse à ouvrir un compte, surtout lorsqu’il ne voit pas comment l’ouverture d’un portefeuille mobile peut améliorer sa vie. Le client est souvent attiré par l’OTC en raison d’un ensemble de facteurs :

  1. L’absence de documentation KYC (Connaissance du Client) appropriée,
  2. Le manque de confiance dans la nouvelle méthodologie,
  3. La peur de la technologie,
  4. Le dédale de formulaires et de processus nécessaires à l’ouverture d’un portefeuille,
  5. La multiplicité déroutante des produits et des frais,
  6. La difficulté d’utilisation perçue,
  7. Des interfaces utilisateur mal conçues et, surtout,
  8. Le changement requis dans son comportement.

Par ailleurs, le portefeuille mobile comporte des étapes supplémentaires. L’agent est normalement tenu de faciliter l’encaissement ou le transfert, alors pourquoi un client devrait-il faire l’effort supplémentaire pour effectuer la transaction lui-même ?

Cela revient à dire que toutes les parties prenantes (ORM, banques, agents et clients) semblent satisfaits de l’OTC, mais le sont-elles vraiment ?

A suivre !

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