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Les défis liés à l’offre et la demande ainsi que les opportunités potentielles du service de banque à distance en Ouganda

  • user by Rebecca Szantyr
  • time Mar 21, 2019
  • calendar 11 min

Cet article se penche sur les défis liés à l’offre et la demande ainsi que les opportunités potentielles du service bancaire par agents en Ouganda.

Les défis liés à l’offre et la demande ainsi que les opportunités potentielles du service de banque à distance en Ouganda

Samson Odele et Suzanne Okao, mai 2017

La loi de 2016 portant modification de la législation en vigueur sur les institutions financières a autorisé la mise en place de services de banque à distance en Ouganda. Quels enseignements les institutions financières qui se lancent dans le service de banque à distance peuvent-elles tirer d’une part des données qui existent déjà sur le secteur bancaire et d’autre part de l’expérience du mobile money et des attentes des clients ? Pour le savoir le Financial Sector Deepening Programme (FSD) Uganda (Programme de développement du secteur financier-Ouganda) a fait appel aux services de MicroSave Consulting (MSC).

Les équipes de MSC ont alors organisé des entretiens et des discussions de groupe avec des banquiers, des utilisateurs de mobile money, des agents de mobile money et des agents potentiels de services bancaires, des opérateurs de réseau mobile et l’Association des banquiers de l’Ouganda. L’équipe a examiné les données disponibles sur le secteur financier ougandais, notamment l’étude Finscope de 2013, l’étude Intermedia de 2015, et l’étude ANA de 2015 de MSC (Institut Helix). Les personnes interrogées provenaient des zones rurales et urbaines de quatre régions couvertes dans le cadre de la recherche.

Les arguments en faveur du service de banque à distance : l’étude FinScope de 2013 révèle que 58% de la population adulte ougandaise sont des utilisateurs potentiels du mobile money dont plus de 14 millions d’adultes non bancarisés. Mais la statistique la plus surprenante est qu’au moment de l’étude, plus de 9,3 millions d’adultes ougandais vivent à plus d’une heure d’une succursale de leur banque ; la plupart d’entre eux, environ 8,6 millions, vivent dans des zones rurales. Une bonne mise en œuvre des services de banque à distance permettra à ces derniers de proposer toute une gamme de services aux Ougandais qui n’ont jamais eu une option viable en ce qui concerne les comptes bancaires. À l’inverse des institutions financières, les services de banque à distance offrent la possibilité de recruter un grand nombre de nouveaux clients et de leur fournir des services adéquats.

Il est possible d’atteindre un grand nombre de clients. L’étude FinScope de 2013 montre que la plupart des transactions effectuées dans l’espace bancaire peuvent l’être par des agents. Les transactions les plus courantes sont les retraits au comptoir (13,8%), les retraits aux guichets automatiques (8,8%) et les dépôts de cash (18%), en d’autres termes des transactions de dépôt et de retrait d’espèces (CICO). Les demandes d’informations (5,9%) et les envois d’argent (4,4%) sont très fréquents et peuvent être effectués par des services de banque à distance.

La garantie d’une proposition de valeur client : les discussions de groupe tenues avec les clients des banques indiquent les raisons qui les poussent à choisir les canaux bancaires existants. Ils préfèrent l’espace bancaire pour des opérations de montants assez importants pour des raisons de sécurité et de la disponibilité constante de liquidité. Le guichet automatique étant rapide, pratique et moins coûteux et les services bancaires mobiles facilement accessibles, il faudra donc que l’adoption des services de banque à distance soit axée sur la convenance, les coûts, la sécurité de l’environnement et la liquidité.

Il faudra par ailleurs veiller à bien chiffrer les transactions. Les clients bancarisés sont préoccupés par les coûts excessifs de  certaines transactions du mobile money portant sur des opérations de banque à portefeuille ainsi que des retraits d’espèce. Les institutions financières devront trouver le juste milieu entre des charges intéressantes pour les clients et des mesures de motivation suffisamment intéressantes pour les agents.

Les clients considèrent les succursales bancaires comme des lieux où leurs problèmes peuvent être résolus, où ils ont accès aux informations sur des produits et services et aux prêts ; mais en même temps ils estiment que les longues files d’attente, les charges élevées et les pannes de système sont des défis à relever. Ces observations sont encore plus sérieuses lorsqu’il s’agit des services bancaires. Les institutions financières devront donc investir massivement pour assurer que les systèmes marchent tout le temps, étendre les opérations des centres d’appels, recruter du personnel pour s’occuper des annulations et du recrutement de nouveaux clients, et former des agents pour offrir des services de qualité. Les banques trouveront peut-être plus difficile de vendre des services non basés sur des transactions par l’intermédiaire d’agents, cependant en retirant des transactions des espaces bancaires, les institutions financières devraient être en mesure de vendre plus facilement des produits plus complexes à travers leurs propres points de vente.

Les services offerts : des études menées auprès de clients et d’institutions financières indiquent que les services élémentaires que les clients apprécieraient le plus seraient le dépôt et le retrait d’espèces, l’ouverture de compte et le crédit. Chacun de ces services impose des obligations spécifiques aux institutions financières. La gestion des dépôts et des retraits de fonds nécessite des stratégies de suivi et de gestion de trésorerie par les agents, une sélection rigoureuse des agents ainsi que la création de mécanismes appropriés, tels que des intermédiaires ou des super agents,  pour la compensation du cash. Le projet de règlementation interdit l’ouverture de comptes aux agents bancaires, cela relevant de la responsabilité des banques, mais ils peuvent faciliter l’ouverture de compte. Toutefois, l’expérience d’autres pays montre que cela fonctionne bien lorsqu’il y a un système d’identification national, doté d’une base de données centrale des noms et des adresses des clients, qui est accessible digitalement sur demande. Cela est possible au Kenya, pays voisin, gratuitement pour les banques. Cette caractéristique a contribué à élargir l’accès financier en rendant l’intégration des nouveaux clients plus aisée, simple et rentable.

Le service recherché en fin de compte par les clients potentiels à savoir le crédit requiert un peu plus d’explication. Une fois de plus les agents ne sont pas autorisés à offrir des services de crédit pour le compte de banques, mais ils peuvent, pour des montants de prêt moins élevés, servir de point de décaissement, de collecte d’informations ou de demandes initiales et de point de remboursement de prêts (par le biais des dépôts d’espèces). L’innovation qui permettrait à de nombreux clients de faire un lien entre le crédit et les agents, est le prêt instantané basé sur un téléphone mobile, tels que Mshwari de M-PESA ou Mocash de MTN. Grâce à l’analyse de données, les institutions financières développent des algorithmes leur permettant de fournir des lignes de crédit accessibles aux clients par l’intermédiaire des agents bancaires.

Les préférences des clients selon les catégories d’agents : les utilisateurs potentiels interrogés ont une nette préférence pour certaines catégories d’agents, notamment les stations-service, les SACCO et les épiceries. Cependant, pour ce qui est des stations-service, les institutions financières devront veiller attentivement à ce que les décisions de leur implication soient prises, pour la plupart, par les franchiseurs  (et non pas par les franchisés), et que l’accès au cash dans les stations-service soit minutieusement contrôlé par le biais de boîtes-dépôt inaccessibles au personnel. Les performances des SACCO en Ouganda varient considérablement et des critères de sélection devront être élaborés pour déterminer les meilleurs SACCO. Les épiceries sont omniprésentes, mais ont souvent des problèmes de gestion de liquidité et de compensation.

Les utilisateurs potentiels choisissent des catégories d’agents sur la base de la confiance (sécurité), la liquidité, les heures d’ouverture, la convenance et l’espace ; les facteurs à l’origine de l’inclusion des SACCO sont la liquidité et la convenance. Ils préfèreraient également des agents qui parlent couramment la langue locale, l’anglais, et  disposent de locaux sûrs, sécurisés et permanents. Les discussions de groupe révèlent que les non bancarisés ont une préférence pour les reçus par SMS alors que les bancarisés veulent un reçu imprimé.

Les facteurs favorables à la promotion du service de banque à distance : ces facteurs varient d’un groupe à l’autre. Les utilisateurs bancarisés apprécient le côté pratique de ces services, tandis que les utilisateurs non-bancarisés sont à la recherche de services moins coûteux. Les utilisateurs bancarisés y voient une réduction des risques liés au transport d’espèces sur de longues distances et des coûts de déplacement pour se rendre à la banque.

Les services de banque à distance augmenteront-ils les mouvements entre les institutions ? La taille de l’échantillon est trop petite pour répondre de manière concluante à la question de savoir si l’introduction de services de banque à distance augmentera les mouvements entre institutions financières. L’étude suggère que les facteurs susceptibles de maintenir les clients dans une institution sont, entre autres, la gageure de l’ouverture d’un nouveau compte, la crainte de services non testés ainsi que les antécédents (et la confiance) bâtis avec une institution. Cependant, les services de banque à distance en plus d’une intégration plus aisée grâce à l’identification nationale simplifiée offrent aux clients la possibilité de changer facilement d’institution ou d’être détenteurs de plusieurs comptes. L’éducation financière accompagnant le lancement de ces services ensemble avec l’apprentissage entre pairs, pourrait réduire davantage les frictions et encourager la concurrence entre les institutions financières.

Les préoccupations des clients potentiels : ces derniers sont énormément préoccupés tout d’abord par la fraude et le manque de liquidité, ensuite l’instabilité du réseau et le manque d’électricité. Ces préoccupations ont déjà été notées dans d’autres études telles que l’étude Intermedia (2015) et l’étude ANA (2016) de MSC. En fait, sur dix pays dans lesquels MSC a fait des études approfondies, le taux de fraude le plus élevé en matière de mobile money a été enregistré en Ouganda ; d’où l’importance pour les institutions financières ougandaises d’élaborer des cadres de gestion et des stratégies d’atténuation des risques. Le fait même que les banques soient souvent perçues comme étant plus fiables que les opérateurs de réseaux mobiles peut leur offrir un avantage concurrentiel par rapport à leurs homologues du mobile money.

Les caractéristiques probables du service de banque à distance performant : l’étude ANA indique que, malgré le peu d’expérience (moins d’un an) de la plupart des agents dans le domaine du mobile money, les agents les plus performants sont bien établis dans leurs activités. L’étude suggère qu’il y a peu de chances que les agents du mobile money aient des livres comptables certifiés et paient l’impôt à l’instar des entreprises plus matures ; autant de facteurs à prendre en compte lors de la sélection des agents.

Comprendre les attentes des agents : les revenus tirés des commissions, la possibilité de vente croisée d’autres services aux clients des services de banque à distance et la création d’emplois sont les principaux facteurs de motivation des agents potentiels. Dans le même temps, ils ont des attentes vis-à-vis des banques. Les attentes les plus fréquentes concernent la formation, ensuite les revenus tirés des commissions, enfin les activités de sensibilisation des utilisateurs finaux et l’octroi des outils de travail nécessaires. Parmi les autres demandes légèrement secondaires on peut compter la supervision, les prêts de fonds de roulement et l’appui à la gestion de liquidité. Les institutions financières introduisant des services de banque à distance devront élaborer un ensemble de solutions pour répondre à ces attentes. La plupart des agents du mobile money pensent que les banques auront des conditions plus strictes que les opérateurs de mobile money en matière de conformité, mais qu’ils seront en mesure de les respecter.

Les facteurs de succès du point de vue des agents : qu’il s’agisse d’agents du mobile money ou d’entreprises établies, le facteur de succès le plus souvent indiqué par les personnes interviewées est d’abord la campagne de sensibilisation du public, ensuite un bon signal au niveau du réseau. Les agents de mobile money déjà bien établis expriment leur perception de la fraude en mentionnant également des détecteurs de devises et des caméras vidéo.

Les motivations des banques : les motivations les plus courantes chez les banques qui envisagent d’introduire des services de banque à distance sont l’acquisition de clients et une plus grande activité au niveau des comptes clients. D’autres motivations sont la diminution des ratios coûts/revenus grâce à une meilleure utilisation des actifs bancaires, la réduction de la congestion dans l’espace bancaire et du coût des dépôts. Dans toutes les banques on pense que le nombre de comptes augmentera, pour certains ce sera un changement rapide, pour d’autres ce sera plus progressif. La majorité des gens interrogés au niveau des banques estiment que la dormance diminuera et que l’importance sera d’élaborer de nouveaux produits axés sur le canal. On s’attend à ce que les offres de lancement soient similaires, notamment en ce qui concerne les dépôts et les retraits d’espèces,  les demandes de solde, le paiement de factures, la facilitation d’ouverture de compte, les remboursements et les décaissements de prêts. Par la suite, des innovations autour du crédit seront attendues.

Faciliter les recours des clients : les services bancaires par agents utilisent par nature des réseaux de tiers, qu’il s’agisse d’agents, de marchands, de vendeurs de systèmes, de super-agents, d’agrégateurs ou d’autres institutions financières. Ces réseaux de relations et de recours à des tiers créent de nombreux points où les transactions peuvent être défaillantes sans compter des erreurs commises par les clients et la fraude délibérée. Ces circonstances requièrent un recours à un service clientèle avancé. Ceux qui sont dans le secteur et qui ont été interviewés ont identifié un éventail d’options de recours pour les clients, notamment des superviseurs des services bancaires dans les agences ainsi que des centres d’appels avec affichage des numéros. Toutefois, les personnes interrogées estiment que la responsabilisation des agents en tant que premier point de contact est une ressource importante, et pour cela il est nécessaire de veiller à une sélection et une formation rigoureuses de ces derniers, ensemble avec une supervision adéquate et des formations de recyclage. Il est également important que les appels des services clients soient gratuits pour permettre à tous les clients de les utiliser.

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