Le vol et la fraude menacent le marché du mobile money en Asie et en Afrique. Les prestataires de services financiers digitaux devront collaborer avec les banques centrales pour mettre en place des échanges d’informations centralisés afin de lutter contre les fraudes.
(Nos excuses à Willie Sutton, le braqueur de banque américain, 1901-1980)
Récemment l’un de nos agents a failli être lynché. Les gens entassaient des pneus et apportaient de l’essence pour le bruler vif. Il n’a été sauvé qu’en faisant des appels frénétiques et avec l’intervention de la police et du Directeur régional de l’opérateur de réseau mobile avec lequel nous étions en train de travailler. Quel était son crime ? Il faisait une interview avec un agent de mobile money pour le nouveau projet Agent Network Accelerator (ANA) de MicroSave Consulting (MSC). À force de poser des questions l’agent a pris peur…notamment parce que l’un de ses collègues qui opérait un point de vente similaire à proximité avait été abattu la veille dans ses locaux par un raid armé.
Il n’est pas le seul agent à être abattu, en Ouganda rien que dans les cinq premiers mois de 2013 cinq agents ont été tués et volés (five agents have been killed and robbed). Nos interviews avec des agents en Tanzanie ont également indiqué une peur grandissante et généralisée des vols armés, une préoccupation beaucoup plus grande que celle de la fraude.
Notre enquête révèle qu’un nombre sans cesse croissant d’agents se sentent en danger. En effet des agents de M-PESA au Kenya prennent des précautions en « fortifiant » leurs postes de vente pour se protéger contre l’augmentation de cambriolages souvent violents. « Des voleurs armés ont attaqué un poste de mobile money et ont demandé à l’opérateur de remettre l’argent. Bien que l’agent se soit exécutée ils lui ont tiré dessus et l’ont tué » selon le quotidien The Nation du 9 mai 2013 (The Nation). Avec une estimation de 18 milliards de dollars transitant par les systèmes de mobile money au Kenya, nous ne devrions peut-être pas être étonnés que les agents soient ciblés. (Il avait été rapporté que le braqueur de banque prolifique Willie Sutton disait, « Pourquoi dévaliser les banques ? Parce que c’est là que se trouve l’argent »).
Dès 2011 déjà, dans le Toolkit de gestion de l’agent, (Agent Management Toolkit), CGAP notait que « l’un des agrégateurs de M-PESA a signalé que 10 pour cent des agents ont été cambriolés en 2009. Au Brésil, 93 pour cent des agents interviewés par CGAP ont indiqué que le fait d’être un agent augmente le risque d’être cambriolé, et 25 pour cent ont dit qu’ils l’ont été au moins une fois au cours des trois dernières années ». Cela augmente considérablement les coûts d’exploitation. Ils sont obligés d’investir dans leur protection physique et maintenir des montants infimes de float (ce qui réduit naturellement leur capacité à satisfaire les demandes des transactions de valeur élevée et les force à se rendre plus fréquemment à la banque pour la « compensation »).
Les vols à mains armés ne sont pas les seuls problèmes des agents. Un article de MSC intitulé « la fraude dans les services financiers mobiles » (Fraud in Mobile Financial Services) a énuméré un nombre croissant de stratagèmes et de combines destinés à tromper, voler ou extorquer de l’argents aux agents. Parmi ces fraudes on peut parler des tentatives calculées des clients pour remettre de faux billets aux agents en utilisant des messages SMS relativement sophistiqués de phishing or spoofing, ainsi que les fraudes des employés des agents en déclarant des soldes inférieurs.
Néanmoins en 2013 Safaricom a indiqué (Safaricom noted) que les « pertes en faveur des clients [sur M-PESA] font environ 0,002 pour cent tandis que les pertes frauduleuses en faveur des agents s’élèvent à environ 0,007 pour cent, la supercherie étant la forme principale de fraude. ». Bien sûr elle est nettement inférieure aux 3-5 des taux des cartes de crédit… mais implique que les agents perdent « seulement » 1.260.000 dollars par an. Et bien entendu ces pertes seront concentrées autour du sous-ensemble des 60.000 agents qui offrent des services de dépôt et de retrait pour le compte de M-PESA. Toutefois la bonne nouvelle est que les ORM, les banques et les opérateurs de réseaux peuvent et sont en train de prendre des mesures pour gérer la fraude, et contrairement au cas des vols à mains armées, c’est un défi qu’ils contrôlent.
Le cambriolage et la fraude ne semblent pas ralentir le nombre d’agents qui s’inscrivent, cependant le secteur doit voir comment maintenir plus d’argent digital, afin de réduire la nécessité pour les agents de transporter des montants considérables d’argent liquide. Les coûts sans cesse croissants encourus par les agents menacent de réduire considérablement la proposition commerciale qui est de jouer le rôle de points d’accès aux opérations de dépôt et de retrait pour le compte des prestataires de services financiers digitaux…et donc les commissions dont les agents auront besoin pour rester dans cette activité. Cela pourrait avoir un effet préjudiciable sur les marchés émergents et déjà fragiles des services financiers digitaux.
Les prestataires de services financiers digitaux devront collaborer avec les banques centrales pour mettre en place des échanges d’informations centralisés afin de lutter contre les fraudes. Il faudra également que des ministères gouvernementaux (Intérieur, Justice etc.) interviennent rapidement pour contrer la flambée des meurtres et des cambriolages si l’on veut voir le succès de l’inclusion financière digitale. La question est de savoir ce qu’ils peuvent/doivent faire.
Des suggestions seraient hautement appréciées.
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