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Éducation financière : est-ce le moment de la repenser ?

  • user by Rebecca Szantyr
  • time Jun 25, 2019
  • calendar 8 min

Que ce soit dans les milieux pauvres ou aisés, l’éducation financière traditionnelle repose sur une approche pédagogique axée sur le format scolaire pour enseigner des notions financières de base telles que la création d’un budget, la gestion de l’endettement ou le calcul des intérêts. Nous devons repenser le processus d’éducation financière pour le fusionner avec le marketing produit, afin de le rendre plus pertinent pour les clients et plus économique pour les établissements financiers.

Éducation financière : est-ce le moment de la repenser ?   

Graham A.N. Wright, Angela Wambugu, Julie Zollmann et Daryl Collins, Novembre 2011

Que ce soit dans les milieux pauvres ou aisés, l’éducation financière traditionnelle repose sur une approche pédagogique axée sur le format scolaire pour enseigner des notions financières de base telles que la création d’un budget, la gestion de l’endettement ou le calcul des intérêts. Nous devons repenser le processus d’éducation financière pour le fusionner avec le marketing produit, afin de le rendre plus pertinent pour les clients et plus économique pour les établissements financiers.

Une étude de Zollmann et Collins1 montre que l’éducation financière classique est inadaptée, surtout pour les personnes défavorisées, que ce soit en termes de contenu ou d’approche pédagogique :

  1. Contenu : pour les pauvres, les décisions financières ne sont pas des choix analytiques importants et peu fréquents concernant l’affectation de leur argent. Leur gestion financière prend plutôt la forme d’un cycle permanent et continu d’entrées et de sorties d’argent irrégulières et incertaines. Elle consiste avant tout à s’imposer une discipline. Nos conversations montrent que les Kenyans possèdent déjà des compétences solides en matière de budget et d’épargne. Leur déficit de connaissances concerne plutôt le fonctionnement des produits financiers et la manière dont ceux-ci pourraient les aider à persévérer et à réaliser leurs objectifs à court terme et à long terme.
  2. Approche : les participants à l’étude indiquent que la gestion financière est un sujet qui leur serait difficile d’apprendre dans une salle de classe. C’est avant tout une question d’expérience. Les gens essayent d’abord des produits financiers en limitant leurs risques avec de faibles montants pour vérifier que les performances du produit sont conformes à leurs attentes avant de s’engager sur des montants plus importants. Un feedback clair et fréquent et la possibilité d’obtenir des réponses semblent être les facteurs clés d’un essai produit réussi.

Les leçons tirées par les clients :

  1. À partir de leur propre expérience : Zollmann et Collins font l’hypothèse que toute intervention qui aide les clients à en savoir davantage sur leurs propres opérations et à vérifier que le produit répond à leurs attentes en termes de fonctionnement permet d’augmenter l’usage du produit. Par exemple, si les clients ont la possibilité de vérifier fréquemment et facilement leur solde et les frais encourus, nous pensons qu’ils utiliseront le produit de manière plus intensive. Nous appelons cela une intervention de feedback à fréquence élevée.
  2. À partir de l’expérience de leurs proches : l’étude de Zollmann et Collins constate également que la plupart des personnes ont tendance à observer les autres et à tirer les leçons de leurs réussites ou de leurs échecs. Par conséquent, la présentation d’un produit par un pair se traduira par une plus grande aisance et une meilleure connaissance du fonctionnement du produit. Nous appelons cela une intervention de marketing social.

Il existe également des obstacles provenant des donateurs/sponsors de l’éducation financière, qui estiment que celle-ci constitue un bien public et que les établissements financiers ne devraient pas s’en servir pour commercialiser leurs produits. Bien que cette position s’explique par la volonté d’éviter une exploitation des consommateurs par les établissements financiers, elle empêche un développement complet des compétences financières des consommateurs. Pour améliorer les compétences financières, il est nécessaire d’enrichir les connaissances au moyen d’exercices pratiques qui facilitent l’internalisation des concepts de gestion financière. Ces connaissances doivent être complétées par des informations sur les produits et les services disponibles et la manière dont ils fonctionnent. Cela permet aux consommateurs de prendre des décisions éclairées quant aux produits qu’ils souhaitent utiliser, et d’en tirer le meilleur parti, dans l’intérêt commun de l’établissement financier et de ses clients potentiels. Cette approche améliore également les compétences financières des consommateurs en leur permettant de faire l’expérience de résultats positifs dans le cadre d’un choix éclairé et de l’utilisation de produits et services qui répondent à leurs besoins.

Enfin, il est essentiel de faire le lien entre éducation financière et produits existants, non seulement à cause de la nécessité d’offrir aux consommateurs la possibilité d’utiliser et de faire l’expérience des produits, mais également parce que cela offre la possibilité de dispenser une formation financière à grande échelle dans le cadre des efforts de commercialisation de ces produits. L’alternative est une éducation financière à petite échelle dispensée dans le cadre d’initiatives à but non lucratif ou des efforts de responsabilité sociale des entreprises – avec plus de 2 milliards de personnes en situation d’exclusion financière, l’ampleur de ces efforts sera loin d’être suffisante.

Le moment est clairement venu de tester l’efficacité d’une éducation financière alternative, expérientielle et centrée sur les produits par rapport aux formations financières traditionnelles. Certaines institutions financières travaillent déjà plus ou moins dans ce sens :

 

KGFS en Inde

KGFS, qui fait partie de IFMR Trust, s’appuie sur des « gestionnaires de patrimoine » pour distribuer sa gamme de produits financiers aux 2 500 clients de ses agences. Le modèle KGFS s’articule autour du concept de bien-être financier et a pour objectif de maximiser le bien-être financier de chaque individu ou entreprise. Le processus de souscription comprend une évaluation des projets d’avenir des clients, de leurs revenus, de leurs dépenses et de leurs patrimoine afin d’identifier les besoins potentiels du ménage en termes de services financiers.

Pour réaliser cette évaluation et y répondre, KGFS se sert d’un cadre d’analyse évolutif qui comporte quatre volets :

  1. Prévoir (pour les aspirations futures : éducation, mariage, logement, achat de terrain ou d’équipement professionnel, etc.)
  2. Croître (dans le cadre d’activités d’investissement au moyen de prêts ou d’épargne)
  3. Protéger (au moyen de produits d’assurance décès, d’assurance bétail ou d’assurance accident)
  4. Diversifier (dans le cadre d’investissements dans un large éventail d’actifs en évitant la concentration)

Les gestionnaires de patrimoine sont formés à discuter avec les clients et à les interroger sur leurs projets et besoins financiers. Cela leur permet de remplir un questionnaire détaillé, qui est ensuite téléchargé dans le système de gestion de patrimoine de KGFS pour déterminer les produits à vendre au client parmi les quatorze de la gamme KGFS. KGFS sait que les informations collectées au départ ne sont pas forcément précises, mais c’est la conversation autour des aspirations financières des clients et des produits qui les aident à réaliser leurs projets qui permet d’avoir un processus de conseil financier personnalisé. Les clients commencent souvent par un seul produit de crédit pour tester KGFS et ses intentions, mais les conversations de suivi permettent bien entendu d’obtenir des informations de plus en plus précises et de générer des opportunités de ventes supplémentaires. Les gestionnaires de patrimoine ne sont pas évalués en fonction des produits vendus, mais plutôt en fonction du bien-être financier de leurs clients, tel que mesuré par leur patrimoine net et la mesure dans laquelle celui-ci est correctement protégé et diversifié.

 

Kashf Microfinance Bank au Pakistan 

Dans le cadre de l’initiative « Safe Places to Save » de la fondation Bill & Melinda Gates, l’organisation Women’s World Banking (WWB) a apporté son soutien au lancement d’un produit d’épargne de Kashf Microfinance Bank (KMB) plus particulièrement destiné aux femmes à faibles revenus. Afin d’aider KMB à toucher la clientèle à faibles revenus de la Fondation Kashf pour leur proposer un accès à l’épargne, WWB a mis au point une approche holistique qui associe éducation financière, information produit et un outil visuel de planification d’épargne facilement utilisable par une clientèle ayant un faible niveau d’alphabétisation. Ce programme s’appuie sur l’expertise interne du Département « Gender Empowerment and Social Advocacy » (GESA) de la Fondation Kashf.

Dans le cadre de cette initiative, GESA organise régulièrement des session d’éducation financière, à la fois dans les agences de la Fondation qui abritent des kiosques KMB et au domicile des clientes. Portant sur la définition d’objectifs, la planification et la budgétisation, ces sessions comportent un module de présentation et d’explication du compte d’épargne KMB. Les clientes reçoivent une fiche visuelle qu’elles peuvent remplir elles-mêmes pour les aider à choisir les modalités d’épargne les plus adaptées à leur situation (objectif d’épargne, versements mensuels, durée). Les premières réactions des clientes concernant cet outil et le compte d’épargne ont été globalement positives.

 

Compte d’épargne « Safe and Smart » pour adolescentes vulnérables au Kenya et en Ouganda

Depuis 2008, en partenariat avec le Conseil de la Population et quatre institutions financières, MicroSave Consulting (MSC) met en œuvre un programme d’épargne jeunesse destiné aux adolescentes de 10 à 19 ans qui s’appelle « The Safe and Smart Savings Account for Vulnerable Adolescent Girls » (SSSVAG). L’un des éléments clés de ce programme holistique est une formation financière, qui a pour objectif de promouvoir et de renforcer une culture d’épargne chez les participantes et de leur donner confiance en elles dans leurs relations avec les prestataires de services financiers.

Les adolescentes sont formées aux principaux aspects de l’épargne, dont notamment les avantages de l’épargne, le choix des objectifs d’épargne et la définition d’un plan d’épargne. Cette formation comporte des exercices pratiques pour faciliter l’assimilation de ces notions.

La formation a été adaptée d’un programme générique pour répondre aux besoins du segment ciblé. La terminologie a été simplifiée et la durée des sessions a été réduite pour tenir compte du niveau de concentration et de la disponibilité des participantes. Un sujet intitulé « Dream Big » a été ajouté au programme pour illustrer l’importance des compétences financières dans la vie des jeunes.

La formation est dispensée par des animateurs, mais les jeunes filles reçoivent également un manuel interactif qui contient des jeux et des énigmes pour faciliter l’apprentissage et la mémorisation des concepts. En plus des concepts de base de l’épargne, les jeunes filles sont formées au compte d’épargne et à son fonctionnement. Elles ont ensuite la possibilité d’ouvrir un compte en étant aidées pendant ce processus. Les premiers résultats montrent que les participantes économisent davantage en montant et en fréquence qu’elles ne le faisaient avant l’ouverture d’un compte d’épargne formel.

 

1 Zollmann, Julie et Daryl Collins, Financial Capability And The Poor: Are We Missing The Mark?,

Financial Services Deepening Trust, Kenya FSD Insights, décembre 2011

http://www.fsdkenya.org/insihts/11-01- 12_FSD_Insights_Branchless_banking_issue_02.pdf

 

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