Si de grands progrès ont été réalisés dans l’octroi de crédits au secteur agricole, le financement des petits exploitants agricoles reste inférieur à celui de tous les autres secteurs économiques. Cet article met en évidence les leçons que MSC a tirées du processus d’appui aux prestataires de services financiers en Afrique.
Justus Njeru, juillet 2018
Dans son article Scaling up agricultural Credit in Africa David Hong souligne que l’accès au crédit reste un énorme obstacle au maintien de la petite agriculture paysanne en Afrique. Dans Catalyzing Smallholder Agricultural Finance Dalberg déclare que la demande mondiale pour le financement de 570 millions de petits exploitants agricoles est d’environ 450 milliards de dollars. Parmi ces petits exploitants agricoles, 270 millions restent exclus financièrement et ont besoin d’environ 200 milliards de dollars pour développer leurs entreprises agricoles et améliorer leurs moyens de subsistance.
Les institutions financières formelles et les acteurs de la chaîne de valeur ne couvrent respectivement que 14 milliards et 16 milliards d’USD des besoins. Les besoins financiers uniques des petits exploitants agricoles suivent des flux de trésorerie cycliques, occasionnés par le caractère saisonnier des activités agricoles. Beaucoup d’entre eux ont besoin d’argent liquide pour les intrants et autres activités agricoles pendant la saison de semis. Cependant, il arrive souvent qu’ils ne gagnent pas le revenu nécessaire pour rembourser ces prêts avant la fin de la récolte, soit plusieurs mois plus tard. Ils pourraient aussi avoir à supporter d’autres dépenses relativement importantes du ménage, comme les frais de scolarité, surtout à un moment où le ménage est à court d’argent. Cette nature cyclique des besoins financiers et des capacités de remboursement ne cadre pas avec la microfinance traditionnelle, l’épargne collective et les modèles de prêts qui sont structurés autour de calendriers de remboursement réguliers.
Dans mon blogue précédent, Le financement de l’agriculture n’est pas si risqué !, j’ai décrit des étapes suggestives pour la mise au point de produits et services de financement agricole destinés aux petits exploitants agricoles, que j’ai classées en trois grandes catégories, à savoir : la compréhension, la conception et la mise à l’essai, et le déploiement de produits financiers. J’ai également fait remarquer que le financement agricole innovant consistait à (i) ajuster les canaux de distribution, (ii) élaborer des cadres de gestion des risques et (iii) fournir des services de soutien aux agriculteurs. On ne peut pas obtenir les résultats souhaités simplement en apportant de simples modifications aux caractéristiques du produit existant pour s’adapter au nouveau segment.
Cet article met en évidence les leçons clés suivantes que MicroSave Consulting (MSC) a tirées du processus d’appui aux prestataires de services financiers en Afrique.
Selon la perception générale des prestataires de services financiers, les agriculteurs ont essentiellement besoin de financement au début de la saison agricole. Pourtant, cette perception ne tient pas compte de la dynamique de l’agriculture et du secteur agricole et de son impact sur le bien-être des ménages. Les exemples suivants appuient les observations ci-dessus : i) les tomates sont sensibles aux conditions météorologiques et sujettes aux maladies au stade de la floraison et non au stade de la plantation ; ii) une vache en lactation ou la volaille nécessite plus de soins que quand elles sont en libre parcours ; et iii) le sésame demande un investissement lourd lors de la pollinisation puisqu’il nécessite une activité manuelle rigoureuse.
Les approches de conception centrées sur l’utilisateur sont des outils importants pour comprendre les besoins, les motivations et les préférences des agriculteurs. L’étude du marché pour l’innovation et la conception (MI4ID) de MSC est centrée sur l’utilisateur, et son économie comportementale a été un élément fondamental dans le développement des solutions que les clients préfèrent, choisissent et utilisent.
La plupart des IMF en Afrique de l’Est n’ont pas la capacité nécessaire de développer des services financiers innovants qui ciblent les clients du secteur agricole. MSC souligne l’importance d’avoir une équipe dédiée, et munie de la connaissance nécessaire du secteur agricole au sein de l’équipe de crédit. Cela s’est avéré essentiel pour susciter l’adhésion et la participation au processus de recherche, d’idéation et d’élaboration de concepts. Ces ressources clés ont également besoin de l’appui d’un comité de développement de produits qui comprend les opérations, les directeurs de succursale et les agents de développement des affaires.
Il est important que les IMF créent un programme de formation complet qui combine la formation en classe avec des activités pratiques sur le terrain. Cette combinaison s’est avérée très efficace dans la formation des agents de crédit aux nouveaux produits. Ces derniers peuvent donc évaluer rapidement et efficacement si les agriculteurs remplissent les conditions nécessaires pour obtenir un prêt.
La création d’un partenariat est essentielle pour le financement innovant de l’agriculture. Les IMF devraient éviter d’engloutir des fonds dans la provision des services de vulgarisation ou de distribution d’intrants et/ou la commercialisation des produits des agriculteurs. Cependant, même si les IMF cherchent des partenariats, l’idéal serait de développer un protocole de partenariat dès le début. Le protocole définit les rôles, les échéanciers prévus et les règles d’engagement. Le marché nous a appris que certains partenariats échouent à cause de hautes ambitions, d’objectifs insatisfaits et de problèmes de communication avec les agriculteurs, imputables à des partenaires impliqués dans un système mal organisé.
Traditionnellement, les prêts agricoles sont déterminés en fonction de la superficie du terrain agricole, du rendement estimé et des prix en vigueur. En Afrique de l’Est, cependant, la superficie des terres varie en raison de l’absence d’une mesure standard ou d’une mauvaise cartographie des terres. Il en résulte des niveaux variables de productivité et d’utilisation des intrants par les agriculteurs. De nombreux petits exploitants utilisent également des techniques d’irrigation innovantes ou des serres pour réaliser des rendements élevés sur de très petites parcelles, contrairement à ceux qui exploitent de grandes superficies et n’utilisent que peu ou pas de technologie. Il est donc important pour toute IMF de comprendre les activités agricoles et le comportement financier des agriculteurs afin de les aider à comprendre les problèmes opérationnels particuliers liés aux prêts agricoles. Le modèle d’analyse des flux de trésorerie joue un rôle essentiel en facilitant et en améliorant l’efficacité des décisions relatives à l’octroi de prêts.
MSC a travaillé avec de nombreuses IMF qui proposent un prêt « passe-partout » à leur clientèle agricole. Ce genre de prêt s’est avéré inapproprié dans la mesure où les différents sous-secteurs de l’agriculture ont des besoins différents. Il faut des prêts flexibles. La plupart des prêts réussis sont ceux qui ont été créés après analyse des besoins individuels de chaque agriculteur, ce qui a permis aux IMF d’adapter leurs produits. Par exemple, en prévoyant dans le produit un délai de grâce pouvant aller jusqu’à six mois, les agriculteurs peuvent faire la récolte sans être contraint de vendre sous le coup de la panique pour rembourser leurs prêts.
Bien que les coûts agricoles soient répartis tout au long de la saison, l’agriculteur reçoit la totalité du prêt en une seule fois. Il est risqué de garder des liquidités supplémentaires à la maison, et la plupart des agriculteurs n’ont pas de compte bancaire. Beaucoup d’agriculteurs investissent leur argent dans d’autres entreprises, car le fait de ne pas fructifier l’argent emprunté tout en se voyant imposer des intérêts nuit aux affaires. Lorsque de telles entreprises échouent, l’agriculteur manque d’argent pour faire la récolte et risque de ne pas pouvoir rembourser l’intégralité de son prêt. Par conséquent, certains agriculteurs ont recours à des usuriers ou autres prêteurs pour rembourser leurs prêts. Les agriculteurs préfèrent emprunter seulement l’argent dont ils ont besoin à ce moment-là, mais ils ne veulent pas contracter plusieurs petits prêts à cause des formalités administratives et le risque que leurs deuxième et troisième prêts ne soient pas approuvés. Le prêt est remboursé avec les fonds générés par l’une des entreprises bien établies et génératrices de revenus que possède l’agriculteur, ce qui limite la nécessité pour lui d’acquérir une expérience dans la nouvelle entreprise qu’il entreprend sans introduire de risques supplémentaires.
La plupart des agriculteurs dépendent de l’agriculture pluviale, qui est saisonnière et déterminée par les conditions météorologiques. Un agriculteur n’a que quelques jours pour résoudre un problème causé par une maladie, un ravageur ou un gel. Il faut beaucoup de temps pour obtenir un prêt. La crainte de manquer de fonds oblige les agriculteurs à contracter des prêts plus importants pour être en sécurité. Cela, à son tour, favorise le détournement des prêts et occasionne des intérêts supplémentaires pour l’agriculteur. De nombreuses régions d’Afrique de l’Est sont touchées par le changement climatique. Les saisons changent et les précipitations deviennent beaucoup moins prévisibles. Comme les cultures traditionnelles sont très sensibles à la sécheresse, aux inondations ou même au gel, de nombreux agriculteurs se tournent vers l’élevage du bétail, qui est une entreprise plus stable. Cependant, tous les prêts disponibles exigent quelques saisons d’expérience dans l’entreprise pour laquelle ils contractent le prêt. Pour minimiser les dommages causés aux cultures et au bétail par les changements climatiques, le prêt peut être déboursé très rapidement sur le compte d’argent mobile de l’agriculteur.
Un nombre significatif d’IMF ont des systèmes bancaires avec des modules restreints. Nous avons constaté que la plupart des fournisseurs de systèmes ou des développeurs limitent délibérément l’utilisation pour solliciter d’autres affaires. D’autres IMF ne disposent pas de système bancaire de base. Une fois que ces modules sont activés ou que de nouveaux systèmes sont installés, il est important d’intégrer les caractéristiques des produits agricoles dès le début du système bancaires de base, car ces caractéristiques peuvent être compliquées à incorporer dans ce système. La compréhension des contraintes d’un système bancaires de base peut faciliter la conception des caractéristiques des produits au cours du processus de développement du produit. Bien qu’il existe des solutions bancaires simples (« cloud-based », « open-source »), celles-ci se sont heurtées à une forte opposition.
Les petits exploitants agricoles sont coincés au bas de la chaîne de valeur agricole, où des sommes importantes d’argent et des efforts considérables sont investis dès le départ, et où le retour sur l’investissement prend des mois à se matérialiser. Une culture typique peut prendre six mois pour arriver à maturité, sans réaliser aucun profit jusqu’à sa récolte. Entre-temps, un prêt commercial doit être remboursé presque immédiatement. Certains agriculteurs contractent de gros prêts auprès d’usuriers et en utilisent une partie pour financer les prêts contractés auprès d’anciens prestataires. En cas de défaillance, les prêteurs ou les agrégateurs, ou les deux, insistent pour que les agriculteurs remboursent en nature – avec une partie de leur production.
Dans les marchés où le système de récépissé d’entrepôt est développé, les institutions financières travaillant avec un exploitant d’entrepôt agréé donnent aux agriculteurs une meilleure possibilité de rembourser leurs prêts sans trop de tracas.
Sur un marché particulier, un prêt de 200 dollars a été remboursé sous forme de sacs de maïs et de riz paddy au prix du marché de 600 à 1 000 dollars et un taux d’intérêt se situant entre 300-500 %. L’échéance du prêt est généralement de deux à quatre mois.
Conclusion
Si de grands progrès ont été réalisés dans l’octroi de crédits au secteur agricole, le financement des petits exploitants agricoles reste inférieur à celui de tous les autres secteurs économiques. Les institutions financières doivent redoubler d’efforts pour concevoir des systèmes de crédit complets et durables au profit des agriculteurs, en s’appuyant sur les données, en concevant des modèles alternatifs de notation du crédit et en collaborant avec de multiples acteurs du marché.
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