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Les facteurs comportementaux dans l’assurance : quelques éléments d’informations

  • user by Rebecca Szantyr
  • time Jul 9, 2019
  • calendar 8 min

Dans cet article, nous présentons un certain nombre d’explications comportementales aux décisions d’achat et d’utilisation de l’assurance. Nous expliquons ainsi les raisons du comportement des consommateurs sous un angle à la fois scientifique et commercial et en tirons une liste de facteurs déclencheurs potentiels pour aboutir à des décisions positives.

Les facteurs comportementaux dans l’assurance : quelques éléments d’informations

Premasis Mukherjee, Lisa Chassin, Anup Singh, Abhay Pareek, septembre 2014

Avec 4 641 milliards de dollars de primes encaissées au niveau mondial,1 l’assurance est l’une des principales activités financières au niveau mondial. Il s’agit également d’un secteur hautement technique, car la conception et la gestion des produits d’assurance exigent une modélisation financière et statistique sophistiquée. Les acteurs et les spécialistes du secteur considèrent toutefois en grande majorité que « l’assurance n’est jamais achetée, elle est toujours vendue ». Cette anomalie de la demande et l’apathie des utilisateurs à l’égard de l’assurance constituent probablement l’un des grands mystères du monde financier. De nombreuses études consacrées à l’assurance se sont penchées sur les préférences et les inclinations des consommateurs, sans pour autant arriver à prédire les réels facteurs déclencheurs de la demande d’assurance.

Dans cet article, nous présentons un certain nombre d’explications comportementales aux décisions d’achat et d’utilisation de l’assurance. Nous expliquons ainsi les raisons du comportement des consommateurs sous un angle à la fois scientifique et commercial et en tirons une liste de facteurs déclencheurs potentiels pour aboutir à des décisions positives.

Les barrières comportementales à l’adoption de l’assurance

Le savoir-faire traditionnel du secteur de l’assurance repose sur les théories de l’utilité espérée et de la franchise optimale qui découlent  des postulats suivants :

  • Les consommateurs ont la capacité d’évaluer de manière précise et complète la probabilité des risques qui les concernent et les coûts correspondants ;
  • Les personnes averses au risque sont prêtes à payer plus que la perte encourue pour s’assurer ;
  • Il existe enfin un point d’équilibre optimal du rapport prix/montant assuré auquel les gens sont prêts à souscrire un contrat d’assurance.

Cependant, dans le monde réel, les assureurs sont souvent confrontés à des anomalies de la demande qui ont pour résultat :

  • L’absence d’achat volontaire de l’assurance ;
  • Une résistance à l’achat d’assurance, même lorsque la prime d’assurance est en partie subventionnée (par exemple : assurance subventionnée par l’État ou de nombreux produits de micro-assurance dont le prix est inférieur au prix optimal et qui connaissent pourtant une faible de demande) ;
  • Achat de produits d’assurance onéreux, alors que la probabilité de l’événement est minimale (achat de garantie sur les produits électroniques, par exemple).

Bien que l’asymétrie d’information et le coût des recherches expliquent une partie de ces phénomènes, un examen plus approfondi montre que plusieurs facteurs comportementaux contribuent à expliquer ces anomalies de la demande. La recherche comportementale révèle que les décisions d’achat d’assurance des particuliers sont influencées par les facteurs et biais comportementaux suivants :

Aversion à la perte : les consommateurs sont plus sensibles aux pertes de faible montant qu’à des gains importants. Dans l’assurance, les primes représentent un coût certain à court terme, alors que la prestation d’assurance reste incertaine et distante. Elle est donc perçue comme une perte potentielle. À la différence de la théorie de l’utilité espérée, on observe que les personnes manifestent une aversion à la perte concernant la franchise proposée. Elles choisissent donc souvent la franchise la plus élevée, à savoir l’absence d’assurance.

Segmentation mentale : on observe que l’assurance n’est pas tant le reflet d’une évaluation du risque par les personnes concernées que celui de leurs comportements de dépense existants. Les individus répartissent mentalement leurs dépenses entre différents « comptes » de façon à se sentir limités dans d’autres domaines d’achat. Dans une étude de MicroSave Consulting (MSC) consacrée aux métaphores de gestion financière des ménages, on observe que les ménages à faibles revenus ont tendance à équilibrer leurs revenus et leurs dépenses en répartissant ces dernières en fonction de la certitude et de la négociabilité de chaque poste de dépense.3 Dans le contexte de l’assurance, les consommateurs évitent souvent de s’engager à payer des primes pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

  • Ils n’ont pas de compte « couverture du risque » dans leur modèle mental ;
  • Ils ont déjà épuisé ce compte au titre d’autres mesures/engagements ; ou
  • Les primes d’assurance constituent une catégorie de dépenses incertaines et négociables, qu’ils ne prévoient pas mentalement de couvrir par des revenus réguliers.

Biais de statu quo : les consommateurs sont réticents à sortir du statu quo, quand bien même ils pourraient en tirer des avantages substantiels. Sachant que l’assurance constitue une nouvelle catégorie de produit pour les ménages à faibles revenus, les gens ont tendance à éviter de s’engager sur des produits d’assurance et préfèrent continuer d’utiliser les mécanismes existants de gestion du risque, dont notamment les prêts d’amis ou de membres de leur famille, l’épargne informelle et (dans une certaine mesure) les efforts de minimisation du risque.

Motivations liées aux objectifs : les gens prennent souvent leurs décisions en fonction des différents objectifs que ces décisions permettent d’accomplir. Le décisionnaire se focalise sur la réalisation de ces objectifs au moyen de la décision au lieu de s’efforcer de maximiser son utilité. Lorsqu’il accorde davantage d’importance aux objectifs favorables à l’achat d’assurance qu’à ceux favorables à l’absence d’assurance, c’est là que l’achat se produit. Voici quelques-uns des objectifs courants réalisés par la décision de souscription d’une assurance :

  • Respect d’une exigence : beaucoup de produits d’assurance sont vendus parce qu’ils sont obligatoires pour d’autres produits, comme par exemple l’assurance décès pour les prêts, l’assurance logement pour les prêts immobiliers, l’assurance auto, etc. La souscription d’une assurance est alors considérée comme un objectif subsidiaire en vue de réaliser l’objectif final.
  • Objectifs d’investissement : beaucoup de personnes considèrent l’assurance comme un investissement susceptible d’être récupéré en temps opportun, à savoir lorsqu’un sinistre se produit. Toute année ou période sans sinistre est par conséquent considérée comme un investissement à fonds perdu.
  • Objectifs émotionnels : l’assurance est souvent souscrite dans le but de :
    • Réduire l’inquiétude de subir une perte financière ; et/ou
    • Ne pas regretter de ne pas avoir souscrit une assurance en cas de sinistre ; et/ou
  • De consoler en cas de perte de l’actif sous-jacent.

Dans ce cas, c’est la gravité du risque (et non sa probabilité) qui est déterminante, la personne concernée ayant un lien émotionnel fort avec l’événement.

  • Respect de normes sociales et/ou cognitives: beaucoup de décisions d’achat d’assurance sont influencées par les pratiques habituelles de l’entourage immédiat de la personne ou les attentes de celui-ci à son égard. L’achat d’une assurance représente dans ce cas un acte ou une preuve sociale qui répond à des informations prédéterminées/socialement acceptables.

Fonction de pondération : les personnes attachent généralement une importance relativement forte aux événements à faible probabilité et une importance plus faible aux évènements à probabilité élevée. Cela les amène à souvent ignorer l’impact des événements assurables.

Cependant, dans les rares cas où la probabilité de perte est prise en compte dans la décision de souscription d’une assurance, elle est principalement influencée par l’effet de primauté et/ou de récence, plutôt que par la probabilité actuarielle. On observe dans ce cas une disposition accrue à souscrire une assurance, y compris à un prix supérieur à la prime optimale.

Biais de disponibilité : dans le monde réel caractérisé par des informations imparfaites, les personnes sont tributaires d’une appréciation heuristique des risques, de leur probabilité et de leur conséquences, en fonction de la connaissance et de l’expérience qu’ils en ont. Cette appréciation est le plus souvent très éloignée de tout calcul actuariel, ce qui engendre une anomalie de la demande.

Biais comportementaux des prestataires d’assurance

Bien que la plupart des anomalies comportementales analysées concernent les consommateurs, un examen approfondi du secteur montre que les prestataires d’assurance eux-mêmes (assureurs et réassureurs) ne sont pas capables de surmonter leurs biais comportementaux, notamment l’effet de récence et le biais de disponibilité. Ces biais se manifestent par exemple dans les cas suivants :

  • Augmentation significative des primes d’assurance pour la couverture du risque terroriste immédiatement après l’attaque du 11 septembre aux États-Unis ;
  • Réticence des assureurs à proposer une assurance habitation dans les zones récemment touchées par un tremblement de terre ou d’autres catastrophes naturelles ;
  • Les coûts de réassurance ont tendance à baisser en l’absence de catastrophe récente.

En Inde, des compagnies d’assurance récemment arrivées sur le marché (et leurs agents) ont commercialisé de manière abusive des contrats d’assurance en unités de compte (ULIP) comme des produits de placement à court terme, y compris au prix de frais de distribution très élevés (et des pertes correspondantes) pour assurer la croissance de leur chiffre d’affaires et de leur part de marché. Ce comportement a coûté 28 milliards de dollars aux consommateurs indiens et a entraîné l’exode de nombreux investisseurs étrangers du secteur de l’assurance. (Source: Estimating Losses to Customers on Account of Mis-selling Life Insurance Policies in India, Halan Mi et.al., Institut Indira Gandhi de recherché sur le développement, avril 2013).

Conclusion

Il est évident qu’à elle seule, la modélisation des probabilités ne suffit à motiver une décision d’achat d’assurance chez les consommateurs. Les assureurs doivent s’appuyer sur un ensemble approprié de facteurs comportementaux pour concevoir leurs produits et définir leurs processus de commercialisation. Ces approches de conception centrées sur les utilisateurs sont les seules à pouvoir libérer tout le potentiel des besoins et de la demande d’assurance des consommateurs.

 

1 Étude Swiss Re Sigma dans World Insurance 2013

2 Kunreuther Howard, Pauly Mark et McMorrow Stacey, Insurance and Behavioral Economics- Improving Decisions in the Most Misunderstood Industry, Cambridge Publication; 2013

3 Mas Ignacio et Mukherjee Premasis, Musings on Money: The Household Money Management Model of Mass Market, MicroSave Consulting, 2013

4 The Construction of Preference, Paul Slovic et Sarah Lichtenstein, Cambridge Publication, 2006

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