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Les économies sont déjà touchées : des solutions palliatives sont nécessaires, mais il faudra aussi des remèdes

  • user by Rebecca Szantyr
  • time Apr 27, 2020
  • calendar 8 min

La pandémie a poussé l’humanité contre un mur. La détresse financière n’est pas rare dans les ménages à faibles revenus. Nous sommes toutefois confrontés aujourd’hui à une situation explosive pour un milliard de ménages, qui s’est transformée en une pandémie économique reconnue. Les décideurs politiques ont-ils les ressources et les données pour prendre des mesures efficaces ?

Les économies sont déjà touchées : des solutions palliatives sont nécessaires, mais il faudra aussi des remèdes

Akhand Tiwari, avril 2020

avec Doreen Ahimbisibwe, Agnes Salyanty, Rahmatika Febrianti, Manoj Pandey, Rahul Chatterjee

La pandémie a poussé l’humanité contre un mur. Formelles ou informelles, les économies apparaissent aujourd’hui au bord du précipice. Nous vivons une époque sans précédent et rares sont ceux qui ont déjà connu une situation d’une telle ampleur. Nous devons admettre que notre perspective est limitée et qu’il nous faudra un certain temps pour comprendre la portée et l’ampleur de l’impact.

Cela me rappelle une rencontre avec Rubina à Dhaka, au Bangladesh. C’était avant le COVID-19 et Rubina se trouvait à la tête d’un foyer à faibles revenus avec de multiples difficultés à gérer. Son mari l’avait quittée, elle avait des problèmes de santé persistants et son fils avait perdu son emploi. Elle souffrait par conséquent de stress émotionnel et n’avait pas d’argent. L’histoire de Rubina, ou ses variantes, devient aujourd’hui celle de milliards de ménages à faibles revenus dans le monde entier.

La détresse financière n’est pas rare dans les ménages à faibles revenus. Nous sommes toutefois confrontés aujourd’hui à une situation explosive pour un milliard de ménages, qui s’est transformée en une pandémie économique reconnue. Les décideurs politiques ont-ils les ressources et les données pour prendre des mesures efficaces ?

Connaissances, attitudes et pratiques

La connaissance de la maladie est en elle-même un problème majeur. Deux mois après l’annonce de la pandémie par l’OMS, nombreux sont ceux qui pensent qu’ils ne seront pas touchés par le coronavirus. L’OMS a souligné à juste titre que la pandémie est aussi une infodémie avec une abondance de fausses informations. Les personnes à faibles revenus ne sont pas à l’abri de ce problème. Dans le cadre de son enquête permanente sur les connaissances, les attitudes et les pratiques (KAP) menée dans plusieurs pays, MSC a entendu les déclarations suivantes :

  • « J’ai augmenté ma consommation de waragi (un gin local brut). On m’a dit que le virus ne peut pas attaquer un organisme saturé de waragi», selon un habitant de l’Ou
  • « Si vous n’avez jamais quitté le pays, comment pouvez-vous être infecté par le virus ? » demande un habitant de l’Inde.
  • « Si vous marchez pieds nus, le virus ne vous attaquera pas », selon un habitant de l’Ouganda.
  • « Vous avez juste besoin de protéger votre immunité. Le virus ne peut pas toucher un organisme sain » déclare un habitant de l’Inde.
  • « Le nez qui coule est un symptôme du coronavirus », selon un habitant du Bangladesh.
  • « Le coronavirus est un problème du cœur. Nous avons été trop occupés pour passer du temps avec Dieu », selon un habitant de l’Indonésie.
  • « Je sais qu’il existe un numéro d’assistance téléphonique, mais je ne m’en rappelle pas » déclare un vendeur ambulant en Inde.
  • « Je ne sais pas où est l’hôpital [pour le coronavirus] parce que je viens d’arriver [de Manado] » déclare une habitante de l’Indonésie.
  • « C’est une infection très mortelle, mais c’est tout ce que je sais » déclare un habitant de l’Inde.

Des informations précieuses sont malgré tout en train de circuler. La crainte que la maladie se propage par l’échange de billets de banque est réelle. En Ouganda, certaines personnes conservent des feuilles de margousier avec leur argent liquide pour le désinfecter. D’autres lavent leurs billets de banque. Dans presque tous les pays, une grande partie de la population adhère aux mesures gouvernementales de distanciation sociale ou de couvre-feu. Certaines personnes sont néanmoins opposées à ces restrictions et mettent en doute leur efficacité.

Nous ne connaissons pas en détail la situation sanitaire sur le terrain, car les informations de santé dans les pays en développement sont parcellaires dans le meilleur des cas. MSC est convaincu qu’une boucle rétroactive d’information fondée sur les faits doit servir de base à l’élaboration et au déploiement de campagnes efficaces d’hygiène et de communication. Nous avons établi dans ce but des partenariats avec divers ministères et prestataires de services financiers.

L’économie des ménages

En plus des évaluations « KAP », nos études s’intéresseront à l’évolution de l’économie des ménages, ainsi qu’au rôle et à l’expérience des femmes pendant cette période. Nous examinerons également les mécanismes d’adaptation des ménages pauvres. Les travailleurs des secteurs informels gagnent, au mieux, une fraction de leurs revenus antérieurs, voire rien du tout. Les activités économiques qui ne sont pas paralysées, comme par exemple la production laitière, l’horticulture, le commerce de proximité ou les primeurs, sont malgré tout handicapées par des chaînes d’approvisionnement rompues et une concurrence croissante. Il est difficile de dire si leur approvisionnement en fourrage, en pesticide ou en produits de grande consommation sera suffisant pour les semaines à venir.

Cette pandémie est également la première véritable crise pour la « gig economy » (ou économie à la tâche). Il est important de comprendre son impact sur les travailleurs indépendants qui ne disposent pas du filet de sécurité de la protection sociale. Comment l’économie digitale émergente résistera-t-elle face à cette pandémie ? Ce sont autant de questions auxquelles nous devons essayer de répondre.

  • « Si ce confinement dure encore un ou deux mois, je prévois de mettre ma moto en gage. Je pense que c’est le mieux que je puisse faire pour le moment. Nous allons célébrer le ramadan dans quelques semaines, et c’est généralement une période pendant laquelle les prix de l’alimentation ont tendance à augmenter. Qu’est-ce qui va se passer cette année ? Et à la fin du mois, nous fêterons Idul Fitri » s’inquiète un habitant de l’Indonésie.

S’il y a une chose que nous savons, c’est que les pauvres sont résilients. Certains témoignages montrent que face à la perte de leurs revenus, les gens changent de profession ou de stratégie. Une travailleuse migrante est devenue aide ménagère tandis que des travailleurs journaliers vendent désormais des fruits ou des légumes. Les migrants des villes sont revenus dans leur village et travaillent désormais dans les champs, tandis qu’une masseuse de Gojek s’est mise à vendre des produits désinfectants. Les gens dorment dans leur atelier ou leur local commercial pour éviter de rentrer chez eux, de peur de contaminer leurs enfants. Une restructuration fondamentale de l’économie est en cours.

Comment les gouvernements peuvent-ils minimiser les répercussions négatives de ce changement ? MSC surveille l’évolution de l’économie des ménages ainsi que l’efficacité des systèmes de soutien des gouvernements. Cela permettra de formuler des recommandations pour des mesures et des politiques supplémentaires afin de minimiser l’impact économique sur les pauvres.

N’oublions pas la dimension du genre

Les décideurs politiques doivent garder à l’esprit que cette pandémie frappe plus durement les femmes. Dans les sociétés patriarcales en particulier, elles sont les premières responsables de la santé de leur famille. Elles prodiguent des soins, supervisent les enfants, font les courses, cuisinent et assument une multitude d’autres tâches. Le COVID-19 va probablement amplifier ces demandes. Les maris et les enfants seront à la maison et les tâches ménagères exigeront un travail supplémentaire malgré des circonstances difficiles.

  • « Tous les jours, je pars au travail à 7 heures du matin et je rentre à 4 heures de l’après-midi. Avant d’aller chez mon employeur, je dois préparer à manger pour ma famille » déclare une habitante de l’Indonésie.
  • « Je déteste cette situation. J’ai tellement de travail en plus ! » déclare une habitante de l’Inde.

Toutes les politiques gouvernementales doivent tenir compte de cette réalité. Il sera important de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’écart entre les sexes en matière d’accès à l’hygiène ou aux ressources médicales et financières. En effet, la pandémie peut être l’occasion de renforcer l’autonomie des femmes au sein du foyer. Des produits de base essentiels et des subventions peuvent être distribués aux femmes. En Inde, le gouvernement a distribué 500 INR (7 USD) par mois sur les comptes bancaires des femmes pauvres dans le cadre du programme PMGKY. Ce programme sera répété tous les mois pendant trois mois.

Les gouvernements ont du souci à se faire

La population n’a pas d’informations adéquates et l’économie est au point mort. Les économies fondent comme neige au soleil, tandis que les réserves de nourriture ou les rations des ménages s’épuisent et que l’on signale déjà un nombre croissant de personnes qui s’endorment sans manger. Les tendances préliminaires de nos études font ressortir un tableau déjà bien sombre, la grande majorité des personnes interrogées faisant état d’une absence d’emploi et d’une crise financière croissante au sein de leurs foyers.

Sur une note plus positive, les gouvernements ne restent pas les bras croisés. En Inde, le gouvernement central et ceux des États ont distribué des aliments cuisinés aux ménages à faibles revenus. Les gouvernements du Bangladesh, de l’Inde, de l’Indonésie, de l’Ouganda et du Kenya ont annoncé des mesures d’aide qui prévoient notamment un moratoire sur les emprunts. Les types d’emprunt susceptibles de bénéficier de cette mesure varient selon les pays. Il est en outre possible que ces moratoires ne couvrent pas la totalité des prêts contractés par les ménages à faibles revenus.

Cependant, le moratoire sur les prêts n’est qu’un début. Il reste encore beaucoup à faire. Les gouvernements doivent prendre des mesures non seulement pour freiner la propagation de la pandémie, identifier les cas et les traiter, mais aussi pour apporter un soutien financier et garantir l’approvisionnement en produits de base. Des efforts sont nécessaires pour contrôler l’inflation des prix, apporter une aide financière à ceux qui ont perdu leur emploi et assurer la sécurité de ceux qui travaillent. Dans ce contexte, pour un ménage à faibles revenus, le remboursement des prêts, l’approvisionnement alimentaire et la subsistance sont les principales préoccupations. Comme le note une habitante du Bangladesh, « mieux vaut mourir du COVID que de la faim ».

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