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Les défis d’un agent bancaire dans une zone d’insécurité en RDC, rencontre avec Aline

Peu sont ceux qui se trouvent en face d’une femme pour effectuer les transactions sur un terminal de paiement. Madame Aline Mutabesha (AM), est agent bancaire de plusieurs fournisseurs de services financiers (OTM et Institutions financières). Aline a 26 ans et est détentrice d’un bac en techniques sociales. Après des recherches de travail infructueuses, elle s’est lancée dans l’activité d’agent bancaire.

Les défis d’un agent bancaire dans une zone d’insécurité en RDC, rencontre avec Aline

Par Rocky Abdoul Milingita, Mars 2022

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Peu sont ceux qui se trouvent en face d’une femme pour effectuer les transactions sur un terminal de paiement. Madame Aline Mutabesha (AM), est agent bancaire de plusieurs fournisseurs de services financiers (OTM et Institutions financières). Aline a 26 ans et est détentrice d’un bac en techniques sociales. Après des recherches de travail infructueuses, elle s’est lancée dans l’activité d’agent bancaire.

Aline commence toujours sa journée à 5h du matin. Elle commence d’abord par les tâches ménagères. A 8h, Aline se dirige vers son point de service qui se trouve à « Pas-à-Pas » à Kadutu, une commune populaire de la ville de Bukavu. Habitant à presque 3 km de son lieu de service, Aline prend un taxi-moto ou un bus pour s’y rendre au prix de 500 francs congolais (environ 0,25 USD).
Le point de service d’Aline se trouve dans une zone post-conflit où l’insécurité règne et les opérations de vol en bandes organisées sont fréquentes. Parmi les personnes très souvent victimes, les changeurs de monnaie qui opèrent le long des routes (communément appelés kambistes), les agents des opérateurs de téléphonie mobile, les agents multi-services (agents bancaires, points de services Western Union ou MoneyGram). Pour sécuriser son activité, Aline a aménagé son point de vente de sorte à n’être en contact avec les clients qu’à travers une petite fenêtre.

Avec plus de sept ans d’expérience dans les activités d’agent et les différentes formations dont elle a bénéficié, Aline est devenue très habile et enregistre toutes les opérations dans les registres appropriés. Notre recherche a montré que les agents qui reçoivent plus de formations dans les trois premiers mois ont plus de transactions et de revenus. Cette formation augmente la compliance, comme l’utilisation des cahiers et ceci augmente la confiance des clients.  L’extension logique de la conformité de l’agent à la mise en place du point de vente est son modus operandi pour gérer le point de vente. Un agent conforme sera plus enclin à suivre les instructions/suggestions des fournisseurs sur la gestion des liquidités et l’engagement des clients. Un agent conforme sera donc plus impliqué dans la gestion des liquidités (essentielle pour les services financiers numérique) afin de garantir un refus minimal des transactions en raison d’un manque de liquidités, et sera plus proactif dans le soutien aux clients lorsque ces derniers rencontrent des difficultés. Dans son point de service, Aline offre les produits des OTM (M-Pesa, Airtel Money et Orange Money) et des institutions financières (FINCA eXpress, Cahi Digital, Cash Express).

Les opérations de dépôt et de retrait sont les plus fréquentes. Aline a besoin d’une somme totale d’environ dix milles USD (cash et e-float) pour pouvoir bien fonctionner pendant la journée. Elle travaille avec sa petite sœur pour prévenir le cas où il y aurait beaucoup de clients. En cas de souci de liquidité, elle doit se rendre dans la banque spécifique pour s’approvisionner.

Dans les transactions, il arrive parfois qu’elle fasse des erreurs. Dans ce cas, Aline introduit sa plainte rapidement auprès du fournisseur concerné. Elle affirme qu’il est simple pour les banques de lui apporter une réponse même dans l’immédiat en gelant le compte dans lequel la transaction a été effectuée. Le support prend plus de temps en ce qui concerne les OTM.

Aline ne bénéficie pas jusque-là du support des super agents ou des agents pour trouver une solution liée aux problèmes d’approvisionnement. Arrivée au point d’approvisionnement, Aline doit donc attendre son tour (soit se mettre sur la ligne, prendre un numéro selon l’ordre d’arrivée). Cette façon de faire exige  d’Aline de patienter entre trente minutes et deux heures. Pendant ce temps, sa petite sœur ne peut pas servir les clients voulant effectuer des opérations pour le compte non approvisionné. Aline souligne que cette situation empire entre le 5 et le 10 de chaque mois à cause de la paie des fonctionnaires de l’Etat.

Aline suggère à ses banques de pouvoir lui accorder des privilèges quand elle s’y rend pour les opérations d’approvisionnement. Aline justifie cette suggestion par le fait qu’elle sert d’intermédiaire entre les clients et les banques. Plus elle traîne pour effectuer des opérations d’approvisionnement, plus les clients trouvant son point inactif iront à un point plus proche, qui est à environ 500m ou même à la banque.

Cet afflux risque de mettre l’autre agent bancaire dans la même situation de manque de liquidité qu’Aline ou soit va congestionner les salles bancaires.

Aline termine sa journée par des petits calculs d’inventaire pour s’assurer qu’il n’y a pas eu d’erreurs au courant de la journée. Pour des raisons de sécurité, son point de service ferme à 16h30 et elle prend directement un taxi-moto à la porte de son point de vente pour éviter de marcher à pied avec la somme collectée pendant la journée mais elle craint toujours d’avoir des visites nocturnes de voleurs à mains armées, qui sont devenues très fréquentes à Bukavu. A son arrivée à la maison elle s’occupe des tâches ménagères.

 

La situation d’Aline n’est pas un cas isolé dans les opérations de réseaux d’agents. Les agents bancaires au profil d’Aline ont besoin de soutien de la part des institutions partenaires au même titre que leurs collègues hommes. Les résultats d’une étude en 2019 sur les agents bancaires en RDC montrent que les femmes sont 16 % plus susceptibles d’effectuer des transactions avec des agents féminins. L’efficacité d’un réseau d’agents dépend fortement de sa structure et de la gestion de la liquidité. Une gestion efficace de liquidité se prépare de part la structure du réseau, la disponibilité des outils de suivi à distance et produits adaptés aux agents bancaires. Selon la taille du réseau d’agents, sa pénétration dans le marché et la répartition des agents dans un périmètre bien défini, les institutions financières devraient choisir une structure avec des agents masters ou les super-agents jouant le rôle d’intermédiaires entre les agents et les institutions financières dans la gestion de la liquidité. Les fournisseurs qui souhaitent maintenir un certain degré de contrôle sur le recrutement et la gestion du réseau d’agents mais souhaitent passer à l’échelle rapidement adoptent un modèle de master agents. Le modèle de master agents permet de passer à l’échelle rapidement en déléguant un certain nombre de responsabilités opérationnelles à un niveau plus proche du terrain. Dans ce modèle, les fournisseurs disposent souvent d’une équipe interne qui supervise les master agents et établit des visites de suivi.  Chaque master agent est chargé de sous-agents dans un territoire donné. Aussi, plus les institutions financières possèdent des outils (applications ou logiciels) de monitoring à distance, plus elles ont connaissance des tendances et de niveaux de flux dans un point spécifique d’un agent bancaire et peuvent ainsi apporter un soutien rapide. Enfin, d’autres institutions financières ont carrément conçu des produits destinés aux agents bancaires: c’est le cas d’ouverture d’une ligne de découvert à utiliser au cas où l’agent se trouvait en manque de monnaie électronique.

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