L’auteur fait une prévision sur l’avenir du mobile money compte tenu de ses expériences, ses connaissances du marché et ses observations de nombreuses années de travail dans les secteurs de la finance de masse et des services financiers digitaux.
Il est toujours dangereux de faire des prévisions dans un secteur en pleine expansion et en évolution rapide ; c’est donc avec un certain tressaillement que je le fais à présent. Cependant, les prévisions ci-dessous sont basées sur les connaissances acquises au sujet du marché et les observations faites pendant de nombreuses années de travail dans les secteurs de la grande distribution et des services financiers digitaux.
La capacité des services financiers digitaux à offrir des services élémentaires de paiement a été démontrée avec force en Afrique de l’Est, et pour la première fois, a permis d’espérer avec réalisme un univers dans lequel tout le monde a accès à des instruments de paiement, sous réserve de l’abordabilité des coûts. Cette omniprésence est un puissant moteur des stratégies nationales d’inclusion financière. Cependant, alors que l’on prête attention à la « dynamique de l’accès pur », la « dynamique de la qualité de service » est un peu laissée pour compte. L’omniprésence des services financiers digitaux et la volonté de réaliser l’inclusion financière, créera de nouvelles exigences en matière d’informations. Cependant, le fait que des tiers fassent nécessairement partie des arrangements d’agence complexes signifie que la qualité du service ne peut pas être garantie et que le risque de faute professionnelle est réel. Ces facteurs pousseront les parties concernées à se concentrer sur la protection des consommateurs dans l’espace des services financiers digitaux.
À ce jour, de nombreuses banques centrales ont recueilli des données sur les opérations du mobile money, mais elles n’ont pas encore pu superviser concrètement tous les acteurs du secteur. Il y a possiblement plusieurs raisons à cela, et nous pouvons en suggérer quelques-unes, à savoir : la capacité du régulateur, l’évolution rapide du secteur, ainsi que la double compétence réglementaire des banques centrales et des commissions de communication en tant qu’opérateurs de mobile money. Cependant, il y a des facteurs de motivation de plus en plus forts qui, à mon avis, rendent inévitable une supervision intensifiée des opérateurs de mobile money. Il s’agit de :
Le monde des paiements est en pleine effervescence, qu’il s’agisse de crypto-monnaie ou de produits qui fonctionnent à l’aide des systèmes d’exploitation basés sur le téléphone mobile. Dans ce cadre, un nombre croissant de sociétés basées sur les technologies financières devront être enregistrées et/ou réglementées. Les lois nationales sur les paiements seront mises à jour beaucoup plus rapidement pour s’adapter aux différentes catégories d’acteurs du paiement et pour fournir un espace juridique défini dans lequel elles opèrent.
A travers ses études sur les accélérateurs de réseaux d’agents (ANA) effectuées au Bangladesh, en Inde, en Indonésie, au Kenya, au Nigéria, au Pakistan, au Sénégal, en Tanzanie, en Ouganda et en Zambie, MicroSave Consulting (MSC) a montré l’importance croissante de la fraude, à tous les niveaux de l’écosystème des services financiers digitaux. Pour cela il faut mettre beaucoup plus l’accent sur la mise en place de cadres solides de gestion des risques au sein du secteur des services financiers digitaux et, en corollaire, renforcer les services administratifs des opérateurs de services de mobile money de tous genres.
Pour encourager la concurrence, les taxes d’interconnexion ou d’inter-change feront l’objet d’un suivi et sur certains marchés seront contrôlées. Ainsi, par exemple, une compagnie de télécommunications aura un tarif maximum qu’elle peut facturer aux entreprises concurrentes pour l’utilisation de sa passerelle USSD. Cependant, il est possible que l’utilisation plus accrue des protocoles basés sur l’internet et les transactions excessives rendront inutile au fil du temps la focalisation sur la tarification des canaux.
Il existe, sur certains marchés des services financiers digitaux, une différence entre le principe et la pratique de la non-exclusivité des agents. L’exclusivité continuera de disparaitre et les banques centrales feront pression pour qu’il en soit ainsi. Toutefois, l’économie politique, notamment l’influence des grandes entreprises sur des marchés spécifiques, aura une grande influence sur la durée et le temps que cela prendra.
En général les régulateurs souhaitent manifestement que l’interopérabilité soit la norme, cependant cette dernière marche à différents niveaux. Premièrement, elle est au niveau des comptes, puis d’un portefeuille à l’autre ; deuxièmement, elle peut marcher au niveau des agents, sans doute à travers des agents partagés ; troisièmement, elle peut s’opérer au niveau de l’acceptation du marchand c’est-à-dire la capacité des commerçants à accepter plusieurs paiements, sans avoir à traiter avec plusieurs acquéreurs ou émetteurs ; enfin, elle peut fonctionner comme une interopérabilité totale des systèmes financiers et de paiement. Les travaux de la Better Than Cash Alliance (BTCA) montrent que si l’interopérabilité est un facteur largement souhaité, la réalité de sa pratique et son adoption dépendra du marché. Toutefois la difficulté de l’interopérabilité provient plus de la capacité des institutions à s’interconnecter. L’inter-connectivité permet la libre circulation de l’information dans des formats standards, soit par l’adoption de la norme ISO8583, soit par l’utilisation d’interfaces programmables d’application (API).
La rapide évolution que connait le secteur et encore plus celle des transactions transfrontalières implique que les banques centrales doivent chercher à partager des idées et des renseignements et à faire évoluer leurs pratiques beaucoup plus rapidement que ce ne fut le cas jusqu’à présent. Des initiatives de collaboration entre l’Alliance pour l’inclusion financière et des groupes de travail de banquiers centraux dans de nombreux domaines liés à l’inclusion financière digitale, seront particulièrement importantes.
De nombreuses banques centrales ont clairement besoin d’être encouragées pour adapter leurs réponses dans le cadre de la supervision afin d’être en mesure de gérer les risques et comprendre le marché de la finance digitale qui est en évolution rapide. Elles disposent d’un noyau restreint de personnel qui comprend le mobile money et ce personnel est souvent débordé.
Cette question est peut-être plus difficile à cerner au début, mais elle mérite néanmoins le statut de prédiction, car c’est un facteur fondamental de changement. Les gouvernements ont leurs propres objectifs, qui peuvent être appuyé par l’architecture du système de paiement national. En règle générale, les gouvernements veulent que les transactions n’échappent pas au réseau fiscal. Ils veulent effectuer des paiements de façon efficace et effective à un grand nombre de personnes. Ils ont besoin et veulent appliquer à la fois les règles KYC et AML. Ils veulent éviter de faire des paiements à des employés/bénéficiaires « fantômes ». Ils veulent élargir l’accès aux instruments nationaux d’épargne, tels que les bons et les obligations du Trésor. Le poids écrasant de la politique gouvernementale facilitera des initiatives communes entre les ministères des finances et les banques centrales. Nous voyons le pouvoir de la politique gouvernementale influencer l’architecture du système de paiement en Inde à travers d’une part le système d’identification nationale digital Aadhaar et des programmes d’inclusion financière PMJDY, et d’autre part le système de paiement immédiat et l’interface de paiement unifié de la National Payment Corporation of India. Comme l’a démontré le cas de l’Inde, la politique gouvernementale sera un facteur déterminant de l’introduction des cartes d’identité nationales ; dans les pays qui en sont actuellement dépourvus, la biométrie sera utilisée pour créer des identificateurs uniques.
Le travail considérable effectué par MSC auprès des banques centrales, des ministères et des prestataires de services de paiement en Afrique et en Asie montre clairement que nous nous trouvons à un point d’inflexion caractérisé par la complexité, les opportunités et les risques. Notre réaction à ces problèmes au cours des cinq prochaines années sera fondamentale pour l’accès aux services financiers digitaux et leur incidence sur le marché de masse.
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