Dans cet article, nous montrons l’obligation des prestataires de services financiers digitaux à investir davantage dans l’adaptation de leurs produits et services pour réaliser l’inclusion financière, même dans les économies considérées comme ayant atteint la maturité digitale.
Edward Obiko et Peter Charagu, 29 septembre 2018
Suffit-il tout simplement de s’abonner à des comptes mobiles (portefeuilles) ? Quelle est la méthode idéale pour mesurer le degré d’inclusion financière ? L’Alliance pour l’inclusion financière (AFI) a établi un ensemble d’indicateurs élémentaires permettant de mesurer le degré d’inclusion financière (core set of indicators for measuring financial inclusion). Le premier indicateur est l’accès aux services et produits offerts par les institutions financières formelles. Cependant, pour obtenir un véritable accès, nous devons résoudre les problèmes fondamentaux de float et de cash (float and cash liquidity) rencontrés par les agents, même par ceux qui opèrent sur nombre de marchés de services financiers digitaux ayant atteint une certaine maturité. En fait la question qui se pose est la suivante : servons-nous du vin aux clients qui ont besoin de couvertures ?
Des services tels que KopoKopo (KopoKopo) apportent une plus-value aux services marchands en leur offrant des prêts pour le développement de leurs activités. En outre, M-Kopa Solar (M-Kopa Solar) et des prestataires de services PAYGO connectent des milliers de foyers à l’énergie solaire abordable par le truchement du mobile money. Tout en saluant les réalisations de ces services, force est de constater que nous sommes encore loin de saisir les éléments fondamentaux appropriés.
Dans ce bulletin, nous montrons l’obligation des prestataires de services financiers digitaux à investir davantage dans l’adaptation de leurs produits et services pour réaliser l’inclusion financière, même dans les économies considérées comme ayant atteint la maturité digitale.
L’omniprésence de l’inondation
On raconte l’histoire (story is told) d’une grande inondation qui menaçait de détruire toute une île. Il y avait beaucoup de gens en danger sur l’île. Certains pouvaient nager, quelques-uns avaient de petites embarcations, mais la majorité était impuissante. Un navire qui passait par là s’est dévoyé pour aller sauver les gens. En désespoir de cause, un certain nombre d’habitants de l’île avaient commencé à se jeter à l’eau avec des embarcations de fortune, du genre de celle utilisées par les gens en Afrique pour tenter de traverser la Méditerranée et regagner l’Europe. Le navire est arrivé à temps. Un grand nombre de gens a été « embarqué », quoiqu’en piteux état. Au moins, leur vie a été épargnée.
Cependant, il restait un plus grand nombre d’habitants dans le besoin d’être secouru, et les gens craignaient que le navire ne soit déjà trop surchargé. Un grand débat s’engagea alors entre le capitaine du navire et son équipage. Fallait-il donner les couvertures et le vin qui étaient dans le bateau aux rescapés à bord qui avaient froid et mouraient de faim avant de les emmener ensuite en sécurité ? Ou bien fallait-il jeter la marchandise par-dessus bord pour réduire le poids, afin de sauver un plus grand nombre d’insulaires dans le besoin ? Dans l’histoire, l’inondation représente la pauvreté et le navire représente l’accès basique aux produits facilitant l’inclusion financière. Les couvertures et le vin sont des produits digitaux à plus-value et les insulaires qui se noient sont les financièrement exclus.
Une solution intermédiaire à ce dilemme pourrait consister à jeter le vin et à donner des couvertures à ceux qui se trouvent à bord tout en essayant de sauver davantage de personnes. Je ne suis pas un expert du nautique, mais le message est clair. Si nous souhaitons aider les personnes à sortir de la pauvreté en leur donnant un accès basique aux produits financiers, nous devons veiller à ce que cet accès soit en mesure d’offrir des produits d’une valeur raisonnable et de permettre aux clients à faible revenu de mieux gérer leur vie.
Accès: Le coût de la conversion du cash en digital et du digital en cash
Malgré l’offre de portefeuilles digitaux des prestataires de services financiers digitaux à un grand nombre de personnes qui, autrement, n’auraient pas accès aux services financiers formels, les micro-économies dans lesquelles ils opèrent reposent essentiellement sur du cash. Cela signifie que les agents doivent prendre en charge le coût des fréquentes compensations ou refuser de servir leurs clients. Certains agents utilisant leur sens de créativité ont mis en place des mécanismes d’adaptation en créant des groupes de média sociaux privés leur permettant de disposer de l’argent ou du float nécessaire pour servir leurs clients. Il incombe, cependant, aux prestataires de services financiers digitaux d’investir davantage dans des solutions intelligentes de gestion du cash et du float (smart cash and float management solutions) susceptibles d’aider les agents à toujours disposer de cash ou de float, qu’ils soient en zone urbaine ou en zones rurales reculées.
Le second baromètre de l’inclusion financière selon les indicateurs de base de l’AFI est « l’utilisation » suffisante de ces services. Nous pouvons l’évaluer en fonction de la fréquence et de la facilité avec lesquelles les utilisateurs à faible revenu peuvent recevoir, envoyer et dépenser leur argent. Cela en appelle à la résolution du problème de trésorerie pour créer un environnement dans lequel même les clients à faible revenu puissent facilement dépenser leur argent de façon digitale.
Utilisation : écosystèmes digitaux illusoires et acceptation par les marchands
L’écosystème digital n’est pas encore suffisamment répandu dans de nombreux pays, notamment dans les marchés de l’Afrique de l’Est. Cela empêche les gens d’utiliser des fonds digitaux dans beaucoup de cas, et ils sont obligés de les convertir en espèces, souvent à grands frais. Cela contraint les pauvres, particulièrement les micro-entrepreneurs, à refuser les valeurs de format digital.
En fin de compte, nous avons besoin d’un écosystème largement digital qui permet même à un vendeur ambulant de dépenser une bonne partie de son argent auprès d’autres petites et micro-entreprises. Les services marchands sont généralement conçus pour les moyennes entreprises qui peuvent déjà bénéficier de services bancaires plus avancés au bout de la ligne. Les dispositifs de point de vente des services marchands tels que Quickteller (Quickteller) au Nigeria et 1-tap (1-tap) au Kenya sont généralement sur le marché à un prix très élevé ou imposent des conditions exorbitantes aux micro-entreprises (overbearing demands). Le dispositif One-tap de Safaricom a partiellement résolu ce problème en fixant le prix de leur dispositif à un prix relativement abordable de 2 000 KES (20 USD). Toutefois il ne s’agit là que d’une exception avec quelques autres exemples sur les marchés en développement.
Certains prestataires tels qu’Equitel1 au Kenya et Paytm en Inde ont offert gratuitement des transferts de poste à poste aux clients pour envoyer et recevoir des paiements à micro-valeur. Nous pensons que ceux qui acceptent ce genre de paiements ne respectent surement pas les conditions relativement strictes, telles que la conformité fiscale (tax compliance) exigées des petits et micro-commerçants. Considérant qu’une proportion importante des micro-entreprises des marchés en développement opère dans l’informelle (operate informally), les services marchands conçus pour eux doivent être à la fois simples et abordables. Ces petits commerçants ont besoin de produits adaptés et ciblés. Pour cela il faudra peut-être des mesures de motivation plus novatrices (more creative) susceptibles d’encourager ces marchands à devenir des partenaires commerciaux à long terme des prestataires.
Des mesures de politique peuvent également être prises pour encourager des paiements digitaux en supprimant les frais sur les transactions de faible valeur. Vers la fin de 2017, le gouvernement indien a renoncé (waived) au taux d’escompte marchand2 (MDR) pour les transactions dont les valeurs sont inférieures à 2 000 INR (environ 30 USD). Le gouvernement indien paie les banques au nom des marchands et des clients pour encourager l’utilisation et l’acceptation des méthodes de paiement digitales.
Qualité : des produits et non pas des outils
Le troisième indicateur de l’AFI en ce qui concerne l’inclusion financière porte sur la qualité des produits financiers digitaux qui est, au mieux, encore embryonnaire dans le cas des consommateurs à faible revenu. Souvenez-vous de ceux qui savent nager et qui ont des petites embarcations dans notre histoire de l’île au bord de la noyade ? Ce sont ceux que nous qualifions familièrement de « ceux qui ne sont pas loin de » (‘cuspers’), un groupe démographique dont le revenu n’est pas loin du revenu moyen proverbial. Nous reconnaissons que des efforts louables ont permis de mettre davantage de services financiers à la disposition des « ces pas loin » et des personnes à revenu moyen, représentés par le vin de notre analogie. Mais le vin n’est pas le meilleur moyen de subsistance pour nos insulaires, tout comme les produits digitaux proposés ne sont pas les plus appropriés.
La multitude de produits d’épargne et de crédit digitaux qui a envahi les marchés en développement offrant des prêts facilement accessibles en est un bon exemple. Malheureusement, les résultats ont beaucoup de ressemblance avec la microfinance à ses débuts (results bear striking resemblance to microfinance). Comme le soulignent les récentes études de MSC au Kenya (recent research), les produits de crédit digital en plein essor n’offrent pas encore une véritable valeur aux emprunteurs à faible revenu. Contrairement à la célébration des transactions et des prêts digitaux à la consommation (digital transactions and consumer Loans), on parle très peu des micro-épargnes digitales ou même des preuves de leur existence. En règle générale, les utilisateurs n’épargnent pas pour une dépense future ou un investissement ambitieux, ils le font uniquement pour essayer de tromper les systèmes du crédit digital (game digital credit) afin d’être éligibles pour des prêts de montant plus élevé.
Le besoin réel d’outils conçus à dessin pour aider les couches à faible revenu à gérer de façon plus efficace leurs ressources limitées n’est plus à démontrer. Comme le montre la gamme croissante de fintech offerte, la révolution digitale nous permet de le faire. Il faudra se focaliser de façon toute particulière, étant donné que la technologie financière n’est pas du tout pertinente pour la plupart des personnes des catégories à faible revenu et que les prestataires n’ont pas fait grand-chose pour personnaliser les interfaces ou les cas d’utilisation en faveur de ce marché.
La grande majorité des prestataires de fintech développent des solutions pour les classes aisées et les classes moyennes. Il y a une logique à cela : ces couches ont l’argent et la connectivité pour utiliser ces solutions. En outre, les développeurs fintech sont généralement issus de ces milieux. Ils comprennent donc les défis de cette couche et les opportunités qu’elle offre. En revanche, lorsque et si les développeurs fintech se concentrent sur les segments à faible revenu, ils ont tendance à créer des solutions en premier lieu pour ensuite chercher les problèmes à résoudre au lieu de chercher à comprendre tout d’abord les besoins, les aspirations, les perceptions et le comportement des pauvres (needs, aspirations, perceptions, and behaviour).
En fin de compte, c’est l’impact qui compte – ne les laissez pas se noyer!
Le quatrième indicateur de l’inclusion financière selon l’AFI concerne l’impact. Les services financiers digitaux ont certainement eu un impact (had an impact) sur la vie des utilisateurs et des non-utilisateurs de ces services, notamment par le biais de la création d’emplois directs et indirects (including through direct and indirect employment). Cependant, il nous reste encore à résoudre un certain nombre de problèmes fondamentaux de conception de ces produits. Quelques entreprises exemplaires, telles que Twiga Foods, ont adopté une approche fondée sur l’écosystème pour essayer de comprendre le segment à faible revenu et résoudre ses problèmes d’inclusion financière et sociale. Comme Twiga l’a montré, la valeur véritable peut aller au-delà de l’accès à des comptes financiers formels pour déboucher sur la résolution de problèmes quotidiens tels que l’accès aux marchés pour l’achat et la vente de produits.
Ce genre de succès doit davantage avoir un effet de cascade en aval sur les revenus des consommateurs. L’amélioration de l’accès aux produits financiers, l’utilisation des services et la qualité de ces produits et services au profit du segment à faible revenu demandent d’énormes investissements de la part des prestataires de services financiers, en particulier des fintechs, s’ils souhaitent aller au-delà du simple fait d’offrir des produits traditionnels passe-partout.
1Equitel a récemment mis fin à son offre de gratuité de virements de mobile money de poste à poste, bien que son site Web affiche toujours que les virements par Internet (d’Equitel à Equitel) continuent d’être gratuits (free).
2Le MDR est le montant que le magasin acceptant votre carte doit payer à la banque lorsque vous l’utilisez pour effectuer un paiement. Le MDR sert à rémunérer les services de la banque émettrice de la carte, de celle qui fournit le lecteur de carte (terminal du point de vente ou PdV) et des prestataires de réseaux tels que Mastercard ou Visa.[/vc_column_text][/vc_column_inner][/vc_row_inner][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][/vc_column][/vc_row]
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