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Le dilemme du manque de float chez les agents

  • user by Rebecca Szantyr
  • time Dec 16, 2019
  • calendar 7 min

Les agents sans float sont souvent source de frustration pour les prestataires. Nos recherches montrent cependant que le rééquilibrage n’est pas si difficile à faire. Quels sont les obstacles qui empêchent les agents d’avoir des niveaux plus élevés de float ?

Le dilemme du manque de float chez les agents

Jacqueline Jumah, novembre 2015

Les agents sans float sont souvent source de frustration pour les prestataires. Nos recherches montrent cependant que le réapprovisionnement n’est pas si difficile à faire. Quels sont les obstacles qui empêchent les agents d’avoir des niveaux plus élevés de float ?

L’ugali est une pâte ou une boule faite à base de farine de maïs, un aliment de base dans le régime alimentaire du Kenya, aussi kenyan que le M-PESA. La dernière fois que ma mère préparait du ugali, elle m’a envoyé un texto pour me dire qu’elle n’avait plus de gaz et me demander de lui envoyer de l’argent pour lui permettre d’acheter du gaz et de finir sa cuisson avant que la farine ne soit complètement détrempée. J’ai couru chez l’agent M-PESA le plus proche de mon bureau, mais il n’avait pas de float. J’ai continué de courir frénétiquement d’agent en agent, essayant d’acheter du float, laissant ainsi l’ugali devenir immangeable. Demandez à n’importe quel Kenyan et il vous racontera une expérience personnelle (et il y en a qui sont beaucoup moins amusantes) de ses efforts vains d’effectuer une transaction avec un agent peu disposé. Une étude récente d’Intermedia Kenya Wave 1 FII Tracker sur l’expérience client avec les agents de la finance digitale, ainsi que le rapport pays sur le Kenya de l’étude ANA de l’Institut Helix citent ce problème parmi les trois premiers obstacles aux transactions.

Les agents sans float sont constamment source de frustration chez les prestataires qui œuvrent sans cesse pour établir de nouveaux partenariats et produits dans le but de réduire le temps et les coûts nécessaires du réapprovisionnement. Selon les recherches de l’Institut Helix au niveau de l’Afrique de l’Est, les agents affirment cependant que le réapprovisionnement est assez rapide et facile. La question demeure donc de savoir ce qui empêche les agents d’avoir des niveaux de float plus élevés. Compte tenu de ma frustration personnelle et des preuves de plus en plus évidentes qu’il s’agit d’un problème systématique, j’ai décidé d’interviewer 50 agents au Kenya afin de déterminer la cause réelle de ce problème.

Certaines des réponses sont assez surprenantes et il faut les examiner sous l’angle de la science du comportement pour mieux comprendre la façon dont les agents voient, dans le temps et à travers le client, la maximisation du profit. Dans certains cas, l’agent dispose de float et refuse pourtant d’effectuer la transaction pour d’autres raisons. En comprenant ces structures mentales les fournisseurs seront à même de mieux améliorer la qualité du service offert à la clientèle par leurs réseaux d’agents.

L’amélioration des revenus transactionnels des agents

Certains agents M-PESA choisissent de chercher à se faire le maximum de revenus par transaction plutôt que de choisir la stratégie plus prudente de faire des bénéfices à long terme. Le montant des revenus gagnés est fonction de la valeur de la transaction effectuée. Les valeurs sont organisées en niveaux de sorte que toutes les valeurs du même niveau génèrent le même montant de revenus. Par conséquent, les agents acceptent d’effectuer des opérations de dépôt proches des limites inférieures d’un certain niveau, en disant au client que c’est le montant maximal d’e-float qu’il peut effectuer. Par exemple, un agent prenant un niveau de valeur allant de 3 501 Kshs à une limite supérieure de 5 000 Ksh explique :

« Pour moi, peu importe que le client veuille déposer 3501 Kshs, 4 000 Kshs ou 5 000 Kshs. Je ne déposerai que 3 550 Kshs, le montant le moins élevé me rapportant une commission de 14 Kshs, qui est le même montant que je gagnerais avec un dépôt de 5 000 Kshs… cela me permet de garder du float pour d’autres transactions … »

La plupart des clients sont alors obligés de respecter les montants indiqués par les agents et n’ont donc pas totalement accès aux services de dépôt qui répondent à leurs besoins. Compte tenu de ces besoins, certains clients choisissent d’aller chez d’autres agents, tandis que d’autres choisissent de fractionner leurs opérations de dépôt entre plusieurs agents. Il est donc important que les fournisseurs fassent comprendre aux agents les conséquences de leur décision de maximiser les revenus par transaction, leur expliquant que les clients sont incommodés par le manque d’accès au e-float qui en résulte, ce qui peut les pousser, à la longue, à se passer complètement de leurs services.

La fidélité de l’agent à son montant par défaut

D’autres agents choisissent de ne pas augmenter le float qu’ils détiennent en dépit du fait qu’avec le temps la demande de transactions digitales a augmenté. Malgré l’apparente simplicité de la décision d’investir davantage dans une entreprise en forte croissance, la réalité est complètement différente. Le propriétaire se doit de tenir compte de l’opportunité d’augmenter son float vis-à-vis de l’ensemble des autres opportunités d’investissement dans les autres produits de sa boutique. Et même s’il décide que le float est un investissement prudent, il lui faut évaluer le montant supplémentaire à  acheter en tenant compte du risque de fraude inhérent. La complexité de ces décisions fondamentales est telle qu’elle peut pousser les agents à s’en tenir à leur montant par défaut, c’est-à-dire au montant initial requis par le fournisseur pour démarrer l’activité d’agent. Dans ce cas, les agents disent qu’ils rationnent leur float au profit de leurs clients les plus fidèles, c’est-à-dire qu’ils réservent leur float pour les clients réguliers et refusent des transactions même lorsqu’ils ont le float nécessaire pour les effectuer.

Pour résoudre ce problème, les fournisseurs ou les masteragents peuvent encourager ces agents à considérer plutôt le développement de leurs activités par une augmentation automatique de la valeur par défaut. Pour ce faire ils peuvent instaurer une règle de croissance obligatoire en termes de pourcentage avec des délais clairement définis, par exemple une croissance de 20 % par an, ce qui permettra de déterminer progressivement les montants par défaut avec le temps. Il est également important que les agents soient mieux informés au sujet de l’atténuation et de la notification des risques afin de réduire leurs préoccupations quant à la gestion des risques ou de la fraude.

La mutualisation des transactions des agents

Tandis que certains agents choisissent de maximiser leurs revenus par le biais des transactions, d’autres essaient de réduire la volatilité de leurs revenus en formant des groupes et en mutualisant leurs risques. Les membres du groupe s’entraident en se prêtant de petites sommes d’argent pour donner de la monnaie aux clients, en référant les clients les uns aux autres et, lorsque tous les membres du groupe sont sous le même masteragent, en se rendant à tour de rôle à la banque pour effectuer le réapprovisionnement.

L’appui du groupe couvre également les jours calmes lorsque certains agents ne font pas beaucoup de transactions. Ils le communiquent au groupe, et les autres membres leur envoient les clients qu’ils refusent de servir ce jour-là même s’ils ont du float. Cela permet aux membres du groupe de pouvoir compter sur un montant stable de revenus par jour. Il est important que les fournisseurs reconnaissent ce besoin de flux de revenus prévisibles et les acquis qu’obtiennent les agents en mutualisant les courses de réapprovisionnement afin de leur offrir de meilleures solutions, s’ils ne veulent pas voir ce système persister.

La prise en compte du cadre mental des agents

Ce qui précède n’est qu’un premier aperçu, et bien que ces tendances aient été clairement observées, nous n’avons toujours aucune idée précise de leur prévalence à l’échelle nationale. Ces pratiques indiquent une nette déconnexion entre le cadre mental des fournisseurs qui font tout pour faciliter le réapprovisionnement et celui des agents qui bien qu’ayant du float refusent cependant des transactions. L’aspect le plus problématique est que les fournisseurs ne sont pas en mesure de voir ces problèmes sur leurs tableaux de bord virtuels, puisqu’en réalité les agents ont du float – ils ne sont simplement pas disposés à l’utiliser et le service client continuera donc à en souffrir. Ces questions soulignent l’importance des techniques ordinaires de suivi des agents et de recherche, telles que l’achat mystère, qui sont susceptibles de fournir de meilleures données sur la prévalence de ces problèmes, ainsi que d’apporter des solutions rentables pour leur résolution.

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