Bibliothèque

Les réseaux d’agents partagés des économies émergentes

  • user by Rebecca Szantyr
  • time Jul 20, 2020
  • calendar 6 min

Les réseaux d’agents partagés permettent aux prestataires de services financiers de réduire leurs frais de gestion et de maintenance des plateformes, ainsi que les frais de formation et de suivi des agents, tout en améliorant la gestion de la liquidité, en particulier dans les environnements totalement interopérables. Dans ce blog, nous expliquons comment les réseaux d’agents partagés formels et informels contribuent à améliorer l’inclusion financière sur les marchés émergents.

Les réseaux d’agents partagés des économies émergentes

Doreen AhimbisibweEdward Obiko et Anup Singh, juin 2020

Quand vous allez chez un agent du Kenya, il est fréquent d’observer toute une série d’appareils utilisés par celui-ci. Si vous interrogez l’agent, celle-ci vous répondra que chacun de ces appareils appartient à une banque différente. Jonglant entre ces différents appareils, elle peut ainsi servir les clients de différentes banques. En pleine pandémie de COVID-19, les agents sont confrontés à une baisse de leur activité et à des coûts supplémentaires en raison des mesures de confinement, d’hygiène et de distanciation sociale et de la réduction des heures d’ouverture des banques. On peut toutefois s’interroger sur la complexité de gérer des opérations pour différentes banques, de conserver des encaisses pour répondre aux besoins des clients de chacune d’entre elles et d’arriver à suivre les revenus tirés de ces opérations.

La mise en place et la gestion d’un réseau d’agents efficace est l’une des tâches les plus difficiles pour les prestataires de services financiers digitaux. Gérer sa distribution au moyen d’un réseau d’agents implanté dans les différentes régions d’un pays est une affaire coûteuse. Compte tenu de la difficulté de mettre en place et de gérer un réseau d’agent viable, des prestataires ont commencé à collaborer pour mettre en commun leurs ressources dans ce domaine. Un modèle commercial innovant qui réduit le coût de la gestion des réseaux d’agents et améliore la portée des prestataires est celui des réseaux d’agents partagés.

Les réseaux d’agents partagés sont une approche qui permet à plusieurs prestataires de services financiers de mettre en place des infrastructures commerciales et technologiques communes pour proposer des services financiers à leurs clients. Ces derniers peuvent ainsi utiliser les services d’un agent affilié à un autre établissement bancaire ou financier que le leur pour faire leurs opérations.

Le réseau d’agents partagés permet aux banques de s’appuyer sur ces infrastructures communes pour étendre leurs services à un territoire géographique plus important et à un plus grand nombre de clients. Il permet de réduire les frais de mise en place d’agents pour la couverture de vastes zones d’activité. Il permet enfin de réaliser les investissements nécessaires à la création d’un réseau d’agents, au recrutement et à la formation des agents et à la gestion du réseau. Ces investissements améliorent l’inclusion financière en favorisant la diffusion et la pénétration des services financiers digitaux.

Image 1 : Point de vente d’un agent partagé informel à Machakos au Kenya. Crédit photo : Christopher Blackburn

Il existe deux types de réseau d’agents partagés :

  • Les réseaux d’agents partagés formels comme illustrés par l’Ouganda (Agent Banking Company – ABC), le Nigeria (Shared Agent network Expansion Facilities – SANEF) et l’Inde (Eko India Financial Services) : il s’agit de réseaux d’agents mis en place sous la responsabilité d’un gestionnaire de réseau commun dans le but de distribuer les services de plusieurs prestataires de services financiers.
  • Les réseaux d’agents partagés informels comme illustrés par le Kenya et le Pakistan : il s’agit d’agents qui regroupent et proposent de leur propre chef les services de plusieurs prestataires. Les clients peuvent avoir à effectuer leurs opérations par l’intermédiaire d’un prestataire auprès duquel ils ont un compte, comme c’est le cas au Kenya, ou choisir un prestataire avec lequel ils n’ont pas de compte, comme c’est le cas au Pakistan.


Les réseaux d’agents partagés informels sont issus de la croissance organique des réseaux d’agents dans les écosystèmes où les agents ne sont pas soumis à l’obligation de ne représenter qu’un seul prestataire. Des marchés comme le Kenya ou le Pakistan offrent depuis longtemps des conditions relativement favorables aux agents qui leur permettent de distribuer les services de différents prestataires de services financiers de manière concurrentielle.

Cependant, les agents de ces réseaux ne bénéficient pas forcément de tous les avantages offerts aux agents des réseaux formels, le principal d’entre eux étant la possibilité de gérer plusieurs fonds de caisse interopérables au moyen d’une même encaisse [1]. Mais même sans cette possibilité, les réseaux d’agents partagés informels ont prospéré sur les marchés qui ont été les premiers à adopter la distribution de services de banque à distance. Au Kenya par exemple, certains agents peuvent représenter jusqu’à onze prestataires de services financiers, avec des terminaux, des registres et des fonds de caisse distincts pour chacun.

Les réseaux d’agents partagés formels sont adoptés par les marchés où la distribution de services de banque à distance connaît un développement régulier dans le cadre de réseaux d’agents gérés par des tiers qui représentent plusieurs prestataires de services financiers. Ces tiers peuvent être des entreprises privées ou émaner d’associations professionnelles et bénéficient d’une reconnaissance professionnelle qui leur permet de gérer et de développer ces réseaux pour le compte des prestataires de services financiers tout en réalisant des économies de frais de gestion. Ce modèle a connu un succès important sur certains marchés où ces établissements ont d’abord commencé par gérer les réseaux d’agents d’une seule institution avant d’élargir par la suite le nombre d’institutions concernées. En Inde, Eko a conclu des accords de partenariat avec plusieurs banques dans le cadre desquels chaque agent distribue les services de plusieurs banques. Les réseaux formels d’agents partagés mis en place par des associations professionnelles comme SANEF au Nigeria ou ABC en Ouganda n’ont pas encore rencontré le même succès.

La Banque centrale du Nigeria (Direction des systèmes bancaires et de paiement), par l’intermédiaire du Comité des banques et en collaboration avec l’ensemble des établissements bancaires, des opérateurs de téléphonie mobile et des « super-agents du Nigeria, a lancé en 2018 le Shared Agent Network Expansion Facility (SANEF), qui a pour objectif ambitieux de toucher 50 millions de Nigérians d’ici 2020 grâce à un réseau de 500 000 agents. Ces objectifs ont été répartis entre les zones géopolitiques afin d’assurer une croissance équitable du réseau d’agents. Pour faciliter le développement de ce réseau, la BNC a prévu de distribuer des prêts à des conditions préférentielles aux prestataires retenus en fonction de leur expérience, de leurs effectifs, de leur couverture, etc.

Les réseaux d’agents partagés permettent aux prestataires financiers de réduire leurs frais de gestion et de maintenance des plateformes, ainsi que les frais de formation et de suivi des agents, tout en améliorant la gestion de la liquidité, notamment dans les environnements totalement interopérables. Les réseaux d’agents partagés formels exigent néanmoins beaucoup d’efforts concertés pour étendre le réseau et gérer de manière équitable les intérêts des différents prestataires concernés. Si certains marchés ont adopté les réseaux d’agents partagés, les régulateurs d’autres marchés préfèrent que les établissements financiers réglementés restent seuls responsables de la performance des agents et ne sont donc pas favorables au concept d’agents partagés.

Nous pensons qu’à mesure que les services financiers digitaux arriveront à maturité, la concurrence entre prestataires devrait porter davantage sur le produit que sur le réseau de distribution. Certains prestataires considèrent que l’ouverture de l’ensemble du réseau d’agents peut présenter des inconvénients, comme par exemple le risque que les clients ne reçoivent pas un service adéquat et professionnel. Les prestataires pourraient envisager de créer une différenciation entre les agents en se concentrant sur deux catégories d’agents : les agents de vente et les agents de service. Les premiers seraient exclusifs et en nombre plus restreint pour se consacrer à la vente de produits, à l’ouverture de comptes, à la prise en charge des nouveaux clients et aux opérations de montant élevé. Leurs services seraient complétés par des agents de service plus nombreux, qui représenteraient plusieurs prestataires financiers pour traiter les opérations de petit montant et les dépôts et retraits d’espèces.

 

[1] L’interopérabilité des comptes de float (encaisses) est une pratique qui consiste à gérer les fonds de caisse de différents prestataires de services financiers au moyen d’une plateforme commune, ce qui permet à un agent de servir tous les clients des prestataires concernés en utilisant une seule et même encaisse.

Laisser des commentaires