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Le genre, versant oublié de la réponse à la COVID-19 dans les pays à faible et moyen revenu

  • user by Rebecca Szantyr
  • time Oct 29, 2020
  • calendar 8 min

La pandémie de COVID-19 pose des défis sans précédent aux gouvernements et aux citoyens du monde entier, mettant à rude épreuve les systèmes de santé, les économies et le tissu social même des nations. Ce blog explore quatre répercussions potentielles de la COVID-19 qui auront un impact socio-économique durable sur les femmes en Inde et dans d’autres pays à faible et moyen revenu.

Le genre, versant oublié de la réponse à la COVID-19 dans les pays à faible et moyen revenu

Aakash MehrotraRahul ChatterjeeSaloni Tandon et Sonal Jaitly, octobre 2020

La pandémie de COVID-19 pose des défis sans précédent aux gouvernements et aux citoyens du monde entier, mettant à rude épreuve les systèmes de santé, les économies et le tissu social même des nations. Le risque associé à cette crise est particulièrement élevé pour les personnes ayant un accès limité aux ressources en raison de leur sexe, de leur situation géographique, de leur âge ou de leur appartenance ethnique.

Les femmes constituent une majorité écrasante de ce segment. Des observations récentes indiquent que la pandémie fait peser sur les femmes un coût socio-économique disproportionnellement élevé. Pour reprendre les mots de Melinda Gates, avocate de l’égalité des sexes et coprésidente de la Fondation Bill & Melinda Gates, « COVID-19 is gender-blind, but not gender-neutral (la COVID-19 frappe indifféremment les hommes et les femmes, mais n’a pas les mêmes effets sur les femmes que sur les hommes). Dans ce blog, nous examinons quatre types de répercussions potentielles de la crise sanitaire qui auront des effets socio-économiques durables sur les femmes en Inde et dans d’autres pays à faible et moyen revenu. Elles sont basées sur plusieurs études menées par MSC entre mars et juillet 2020.

1ère répercussion potentielle : les femmes sont plus durement touchées sur le plan économique

D’après une note issue des recherches de Citigroup, sur les 44 millions de travailleurs des secteurs vulnérables dans le monde, 31 millions de femmes sont confrontées à des suppressions d’emplois potentielles, contre 13 millions d’hommes. McKinsey rapporte que les emplois des femmes sont plus vulnérables à cette crise, le taux de perte d’emploi des femmes étant 1,8 fois plus élevé que celui des hommes. Les femmes représentent 39 % de l’emploi mondial, mais 54 % des pertes d’emploi dans le monde.

Cette disproportion semble être un phénomène mondial. En Grande-Bretagne, les mères sont 1,5 fois plus susceptibles que les pères d’avoir perdu ou quitté leur emploi pendant le confinement. Aux États-Unis, les femmes représentaient 55 % des pertes d’emploi en avril 2020, bien qu’elles forment moins de la moitié de la main-d’œuvre. Cette disparité est en partie due au fait que les femmes sont surreprésentées dans les secteurs que la crise a fortement touchés, comme l’hôtellerie et le tourisme.

Même avant la pandémie, l’Inde comptait plus de femmes que d’hommes au chômage. La pandémie n’a fait qu’aggraver cette situation. Les études menées par MSC au Bangladesh, en Inde, en Indonésie, au Kenya et en Ouganda montrent que les femmes ont tendance à s’inquiéter davantage de l’absence d’emploi, des pénuries alimentaires et de la crise financière. Ces différences sont particulièrement marquées en Inde et en Ouganda (pour plus de détails, reportez-vous à ces résultats comparatifs par pays).

Les récentes recherches de MSC sur l’impact de la crise sur les segments à faible et moyen revenu et sur les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) confirment que la crise de la COVID-19 creuse les inégalités socio-économiques préexistantes entre les sexes. En Inde, jusqu’à 82 % des MPME détenues par des femmes ont signalé une baisse de leurs revenus, contre 72 % des entreprises détenues par des hommes. Les MPME détenues par des femmes sont confrontées à de plus fortes restrictions, à une baisse de la demande, à une hausse du coût des intrants, à l’incapacité d’accéder aux marchés et à une augmentation du coût des soins à domicile, entre autres facteurs qui affectent gravement leurs revenus.

En outre, selon le rapport sur l’écart entre les sexes publié par le Forum économique mondial pour l’année 2017, 66 % en moyenne du travail des femmes en Inde n’est pas rémunéré, contre seulement 12 % du travail des hommes. La multiplication des suppressions d’emploi et le ralentissement économique vont probablement faire augmenter le taux de défaut de paiement des ménages et la proportion de femmes dans le travail non rémunéré. Les recherches de MSC sur les segments à faible et moyen revenu confirment que le fardeau du travail non rémunéré a augmenté pour les femmes de 54 % en Asie et de 12 % en Afrique.

2e répercussion potentielle : la COVID-19 va encore réduire la mobilité des femmes et la disponibilité des informations nécessaires pour remédier aux vulnérabilités liées à la santé

Les études ciblées de MSC sur les segments à faible et moyen revenu au Bangladesh, en Inde, en Indonésie, au Kenya et en Ouganda ont montré que la télévision et la radio étaient les principales sources d’information sur la COVID-19, tant pour les hommes que pour les femmes. Cependant, les femmes se fient davantage à leur réseau social (voisins, magasins de quartier, amis, parents et agents de vulgarisation du gouvernement local) pour obtenir des informations sur la COVID-19. Seuls 25 % des hommes s’appuient sur leur réseau social pour obtenir des informations, contre 40 % des femmes.

La pandémie a également aggravé les contraintes de mobilité des femmes, en raison des mesures de confinement annoncées pour freiner sa propagation, de la disponibilité limitée ou de l’absence de transports publics, et des mesures strictes de distanciation sociale. Cette évolution affecte gravement non seulement la vie des femmes à titre individuel, mais aussi le fonctionnement des collectifs de femmes, comme les groupes d’entraide et les groupes de caution solidaire. Ces groupes sont désormais dans l’incapacité d’organiser des réunions et des interactions physiques, ce qui limite l’accès des femmes aux systèmes de soutien et aux réseaux d’information en dehors de leur domicile.

3e répercussion potentielle : la COVID-19 va étouffer la voix des femmes et mettre à mal leurs droits

Les pays du monde entier ont signalé une augmentation des violences conjugales associée au confinement. Une situation alarmante, surtout à la lumière des données de l’enquête nationale sur la santé des familles de 2016 qui suggère qu’une femme sur trois subit des violences de la part d’un conjoint ou compagnon au cours de sa vie. Un document de travail publié par le Bureau national américain de la recherche économique a compilé les plaintes enregistrées auprès de la Commission nationale indienne pour les femmes. Il a constaté une augmentation du nombre de plaintes pour violence domestique dans les districts de la zone rouge – ceux où la mobilité est strictement limitée. Le nombre moyen de plaintes mensuelles dans ces districts est passé de moins de 1,5 avant le confinement en mars à près de deux pendant le confinement en mai. Les résidents ont constaté une augmentation des cas de violence domestique dans leur quartier pendant le confinement.

Dans le même temps, au niveau mondial, le Fonds des Nations Unies pour la population avertit que la pandémie pourrait réduire à néant près d’un tiers des progrès réalisés dans la lutte contre la violence faite aux femmes.

4e répercussion potentielle : les femmes seront laissées pour compte dans la course à l’adoption digitale

Les femmes sont généralement défavorisées dans l’accès aux technologies et leur adoption, étant donné la persistance de la fracture numérique entre les sexes. Selon la GSMA, les femmes des pays à faible et moyen revenu ont 8 % de chances de moins que les hommes de posséder un téléphone portable et 20 % de chances de moins d’utiliser l’internet mobile. L’écart entre les sexes s’agissant de la possession d’un téléphone portable est particulièrement important au Bangladesh, en Inde et en Ouganda. De plus en plus d’éléments indiquent que, du moins à court terme, les ventes mondiales de smartphones sont en chute libre. Le rapport de MSC souligne également que les femmes sont de plus en plus dépendantes des espèces dans la situation actuelle. Il montre un écart entre les sexes en ce qui concerne le temps passé sur les téléphones quelle que soit l’activité, ce qui implique des possibilités plus réduites pour l’adoption des services financiers digitaux.

Les précédentes recherches menées par MSC auprès d’ouvrières d’usines de confection en Inde ont révélé une adoption extrêmement faible des canaux digitaux chez les femmes. Bien que 36 % des ouvrières possèdent un smartphone, seules 3 % d’entre elles utilisent des services bancaires mobiles, contre 22 % des hommes. La tendance est similaire pour d’autres canaux, tels que les portefeuilles mobiles et BHIM, l’application de paiement mobile en Inde. Cette faible adoption s’explique aussi par l’absence d’écosystème numérique solide, car les canaux et les produits digitaux ne sont pas conçus pour les besoins des femmes de ce segment.

S’agissant de l’adoption des canaux digitaux, plusieurs facteurs jouent déjà contre les femmes, parmi lesquels la mobilité réduite, l’accès limité ou inexistant aux téléphones ou le contrôle très réduit exercé sur leur utilisation, qui implique que beaucoup de femmes n’ont pas de téléphone propre à utiliser pour effectuer leurs transactions. Parmi les autres obstacles figurent l’absence d’écosystème numérique solide, le manque de produits destinés aux femmes et, surtout, la crainte de perdre de l’argent en cas d’échec de la transaction. Compte tenu de ces difficultés, la fracture numérique actuelle a peu de chances de se réduire, et risque même de se creuser davantage pendant la pandémie.

Les signes de cette fracture croissante sont déjà présents.  Les recherches de MSC auprès des MPME indiennes montrent que 33 % des entreprises ont commencé à utiliser les médias sociaux pour communiquer, et que 10 % se sont associées à des acteurs du commerce électronique pour atténuer les risques d’impact de la crise sur leurs activités. Toutefois, ces stratégies sont principalement réservées aux hommes en milieu urbain. Les analyses montrent également que la fracture numérique en Inde va encore creuser le fossé de l’éducation.

En conclusion, l’approche utilisée pour la relance et la reconstruction post-crise doit prendre en compte les différences hommes-femmes afin d’atténuer les conséquences aggravées de la COVID-19 pour les filles et les jeunes femmes. Négliger les besoins et les difficultés spécifiques des femmes conduira à accroître les inégalités entre les sexes. Les praticiens et les décideurs politiques sont confrontés à un test important, car la situation des femmes dans le monde post-COVID-19 dépend de leurs actions. Le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, a demandé à juste titre que les besoins des femmes soient pris en compte dans le cadre de la réponse stratégique à la pandémie de COVID-19. Il incombe désormais aux décideurs politiques du monde entier de concevoir des actions tenant compte des spécificités des hommes et des femmes, et de faire de la justice et de l’égalité entre les sexes un élément primordial de la réponse générale à la pandémie. La sensibilisation aux questions de genre et la priorité accordée aux droits et aux intérêts des femmes peuvent non seulement nous permettre de traverser plus rapidement cette pandémie, mais aussi nous aider à construire une société égalitaire, inclusive et résiliente une fois la crise passée.

Ce blog a également été publié sur Next Billion le 1er octobre 2020.

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