Femmes et FinTechs : Opportunités pour créer un écosystème entrepreneurial plus équitable en Afrique de l’Ouest

Femmes et FinTechs : Opportunités pour créer un écosystème entrepreneurial plus équitable en Afrique de l’Ouest

Par Cécile Voigt et Shailey Tucker, Mars 2021

 

 La crise de la Covid-19 a exacerbé les inégalités entre les sexes dans le secteur FinTech.

«D‘une manière générale, la pandémie a touché les femmes de manière disproportionnée parce qu’elles sont plus engagées dans le secteur informel et c’est là que la crise a eu le plus grand impact », a déclaré le fondateur d’un incubateur et fonds d’investissement dédié aux femmes basé au Sénégal.

Au cours de la dernière décennie, seulement 10 % des start-ups technologiques en Afrique de l’Ouest, qui ont levé 1 million de dollars US, avaient au moins une cofondatrice. Selon la Banque mondiale, les  pandémies précédentes ont montré que les crises affectent les femmes et les entreprises qu’elles dirigent de manière différente, et souvent plus négative, qu’elles ne le font sur les hommes. Qu’elles soient employées dans le secteur formel ou informel, la pandémie a affecté les femmes plus gravement car leurs entreprises sont plus petites et qu’elles disposent de moins de ressources. Une analyse récente de PitchBook a révélé qu’au troisième trimestre  2020, le financement en capital-risque pour les femmes fondatrices a atteint son total trimestriel le plus bas en trois ans. En effet, au-delà des l’impact de la crise, les sexospécificités profondément enracinées dans le contexte socio-culturel réduisent à la fois l’autonomie des femmes et leurs possibilités d’accès au financement.

Le déficit de financement des femmes entrepreneurs en Afrique subsaharienne s’élève actuellement à 42 milliards de dollars US. Si l’écart entre les sexes en Afrique se comble, Gender Smart estime que le PIB de l’Afrique devrait atteindre 316 milliards de dollars US d’ici 2025. On constate que de nombreuses micros, petites et moyennes entreprises (MPME), y compris des entreprises technologiques, tombent dans le «milieu manquant». En d’autres termes, ces entreprises sont trop grandes pour être financées par les institutions de microfinance et trop petites pour l’être par les banques. Ce déficit de financement est encore plus important pour les femmes, même lorsqu’elles sont dans des secteurs à fort potentiel. Les principales raisons à cela sont les suivantes:

1. Capacité limitée des femmes à répondre à leurs aspirations et à rechercher un soutien pour y répondre. Ceci est associé à des attentes sociales élevées. Par exemple, les femmes se sentent souvent obligées de respecter les normes sociales, de ne pas rentrer tard à la maison, de ne pas gagner plus ou de ne pas être une entrepreneure indépendante. Certaines femmes manquent également de confiance en elles.

2. Connaissance limitée des sources de financement. Selon un investisseur, les femmes peuvent également avoir ou rechercher moins d’informations sur les investisseurs que les hommes, soit par manque de sensibilisation, soit par manque d’accès à ces informations. Cela peut renforcer l’inégalité entre les sexes dans l’accès au financement.

3. Préjugé sexiste du côté de l’offre. La parité est un sujet brûlant pour certains investisseurs, comme Orange Sénégal et Green Tec. Cependant, tout en prenant des décisions de financement, de nombreux investisseurs interrogés ont révélé que la durabilité et le profit sont plus importants pour eux. La plupart des investisseurs pensent que les entreprises dirigées par des femmes sont moins viables, ou pas assez axées sur le profit, voire les deux. Né du manque de soutien aux femmes entrepreneurs en Afrique de l’Ouest francophone, WIC Capital est le seul fonds d’investissement dédié aux entreprises dirigées par des femmes au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

Les femmes ont un style de leadership différent et ont souvent besoin de compétences spécifiques pour professionnaliser leurs activités.

Comme pour de nombreux entrepreneurs, les femmes ont du mal à obtenir un accès au capital pour créer et développer des entreprises. Comme mentionné dans nos blogs précédents, les barrières culturelles semblent être un facteur important pour certaines. Une grande majorité de start-ups technologiques dirigées par des femmes maintiennent un chiffre d’affaires limité et ont du mal à se développer.

L’éducation inadaptée est une des raisons possible pour une croissance limitée ; malgré un fort esprit d’entreprise, les femmes n’ont parfois pas la formation nécessaire en compétences entrepreneuriales et en gestion. Elles doivent renforcer leurs capacités en matière de gestion de risques et de finances publiques, améliorer leurs processus et professionnaliser leur activité.

Le renforcement  des capacités est également un problème critique. Seules 13 % des start-ups FinTech au Sénégal ont des femmes fondatrices ou co-fondatrices. Les programmes de formation traditionnels proposés par les incubateurs ne répondent pas aux besoins existants des jeunes entreprises dirigées par des femmes. WIC a reconnu cette lacune et a lancé ses services de renforcement des capacités, WIC Académie. L’Académie offre des services de conseil sur mesure après un diagnostic des start-up participantes.

Un seul incubateur de notre échantillon, ImpactHub, prend activement en compte le sexe et l’âge d’un entrepreneur. 40 % de ses clients sont des femmes et 90 % de l’ensemble des  fondateurs ont moins de 35 ans. ImpactHub prévoit également de développer un programme spécifique pour les femmes. Cependant, il n’a pas encore approfondi systématiquement les raisons pour lesquelles les femmes sont sous-représentées dans l’industrie des start-ups en Afrique de l’Ouest francophone. ImpactHub n’a pas encore identifié la meilleure façon d’aborder ses activités spécifiques aux femmes ; par exemple, pour offrir un programme de formation holistique qui couvre les compétences nécessaires ou qui se concentre sur l’amélioration des compétences numériques. Cependant, ni WIC ni ImpactHub n’ont de start-up FinTech parmi leurs incubés actuels.

La pandémie de la Covid-19 a souligné la nécessité de soutenir l’autonomisation économique des femmes et d’améliorer l’accès aux services financiers

Selon le Project Sage 3.0, 35 fonds à travers le continent se concentrent explicitement sur le genre. La recherche révèle qu’une optique de genre est toujours définie au sens large dans l’investissement, différents fonds se concentrant sur un ou plusieurs éléments. Ces éléments comprennent la promotion de la femme dans la finance en général, la promotion des femmes à la direction ou la promotion de produits et de services qui améliorent la vie des femmes, entre autres.
Les start-up dirigées par des femmes ont besoin de plus de soutien dans ce parcours d’autonomisation économique et financier. Cela commence par  la réduction des préjugés sexistes grâce à une formation intentionnelle et la diversification des outils d’investissement qui pourraient combler le déficit d’investissement financier. La priorité est de développer un cadre réglementaire qui, contrairement au scénario actuel, favorise avant tout l’investissement, améliorant l’accès au financement. La réglementation au Sénégal n’est pas suffisamment mature pour soutenir les mesures qui favorisent l’investissement dans les entreprises dirigées par des femmes

Les parties prenantes doivent soutenir les femmes et les jeunes du secteur FinTech par le biais de programmes dédiés ou de lignes de refinancement pour éviter de creuser les inégalités qui existaient avant même que la pandémie ne frappe. Le gouvernement et les donateurs pourraient offrir un financement ou une assistance technique aux incubateurs pour leur permettre de lancer des programmes spécifiques pour les entrepreneurs dirigés par des femmes. Des initiatives, telles que la Plateforme Genre de l’African Venture Philanthropy Alliance, qui connectent les investisseurs pour traiter des opportunités de flux et de co-investissement sont un bon début pour conduire le changement, mais les entités francophones doivent être plus impliquées dans ce domaine. Du côté de la demande, de faibles niveaux de littératie financière et numérique, associés au cadre réglementaire en constante évolution, créent des goulots d’étranglement critiques qui empêchent les femmes d’accéder ou d’adopter des services financiers numériques.

Soutenir les entreprises dirigées par des femmes signifie accélérer l’inclusion financière des femmes

A partir d’un argumentaire similaire, diverses études indiquent qu’une femme est moins susceptible d’obtenir des fonds qu’un homme. Les entreprises dirigées par des femmes font autant de profits que leurs homologues masculins et cherchent souvent explicitement à avoir un impact social, en particulier dans la vie des autres femmes. Les investisseurs devraient revoir leurs préjugés conscients et inconscients envers les entreprises dirigées par des femmes. La formation des investisseurs à la sensibilité au genre peut aider à réduire l’écart d’investissement entre les entreprises dirigées par des femmes.

Lorsque les start-ups dirigées par des femmes sont financées, elles ont plus de chances de réussir car elles génèrent finalement des revenus plus élevés – plus de deux fois plus par dollar investi, selon une analyse du Boston Consulting Group. Les incubateurs et les investisseurs devraient s’efforcer de comprendre pourquoi les femmes sont sous-représentées et utiliser ces résultats pour attirer davantage de femmes dans leurs programmes. Ils devraient également se concentrer sur la fourniture de services de soutien sur mesure à chacun de leurs incubés.

Pour cela, les incubateurs et les investisseurs doivent d’abord donner la priorité à la collecte de données ventilées par sexe et par la tranche d’âgeafin de développer des programmes fondés sur les réalités du terrain, un aspect sur lequel MSC possède une vaste expérience à travers ses recherches. Ensuite, ils pourraient engager un dialogue régulier et échanger des connaissances avec des femmes et des jeunes entrepreneurs et divers acteurs de l’écosystème via des plateformes en ligne, telles que Le Hub de la Finance Digitale. Enfin, ils pourraient plaider pour un plus grand soutien réglementaire par le biais de politiques sexospécifiques.

Le climat est propice pour que les acteurs concernés évoluent ensemble dans cette direction et développent un système Fintech entrepreneurial plus résilient et plus équitable dans la région.

FinTechs ivoiriennes et investisseurs : entre souhaits et exigences

FinTechs ivoiriennes et investisseurs : entre souhaits et exigences

Par Achille Tefong et Shailey Tucker, Mars 2021

Bien que les startups FinTech en Côte d’Ivoire aient montré leur résilience au cours de la crise de la Covid-19, l’avenir n’est pas assuré pour toutes car l’écosystème évolue rapidement. MSC a mené une étude afin d’évaluer l’impact de la Covid-19 sur les FinTechs en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Comme nous l’avons constaté lors d’une précédente étude de cartographie du paysage des FinTechs en Afrique de l’Ouest francophone, les FinTechs sont souvent à la source de l’innovation; cependant, elles sont souvent en concurrence avec les institutions en place telles que les banques et autres institutions financières établies dans la région. La collaboration est généralement basée sur des complémentarités et, comme l’affirme le Fonds monétaire international (FMI), « les deux tendances sont susceptibles de s’accélérer [post-crise] à mesure que les entreprises FinTech et les institutions financières saisissent de nouvelles opportunités ».  Le manque d’un cadre réglementaire et les difficultés d’accès au financement et d’accès aux plateformes partagées tels que les USSD restent les défis majeurs pour les startups FinTech ivoiriennes.  En ce qui concerne l’accès au financement, aucune FinTech dans notre échantillon n’a bénéficié de fonds du gouvernement et toutes ont dû rester sur leurs propres fonds pour que leur activité commerciale continue. Cela met en évidence la résilience des FinTechs ivoiriennes et de leurs modèles d’affaires, ce qui devient important pour les investisseurs potentiels ainsi que pour les régulateurs.

Ecosystème des investisseurs au sein des FinTechs en Côte d’Ivoire

Alors que l’environnement des FinTechs dans les pays Anglo-saxons Africains semble bouillonnant, celui des pays Francophones reste encore timide. Selon un rapport de Disrupt Africa, le Nigéria, le Kenya et l’Afrique du Sud totalisent à eux seuls environ 89,2 % du montant total des fonds investis sur le continent et 77% des startups financées ont été à destination de ces pays en 2020. En plus, selon Partech Investment, l’Afrique francophone apparaît seulement dès la 8ème position, représentée par le Sénégal. La Côte d’Ivoire quant à elle occupe une triste 17ème place, bien derrière les pays comme le Cameroun ou la RDC.

Plusieurs profils d’investisseurs sont déployés en Côte d’Ivoire, même si les impacts au sein des jeunes pousses restent encore très attendus. Selon la cartographie de l’écosystème FinTech en Côte d’Ivoire de MSC, la Côte d’Ivoire dispose de business angels, d’investisseurs à impact, de fonds de capital-risque et de fonds de capital investissement. Par ailleurs, les activités de chacune de ces catégories sont orientées vers les startups en général et ne sont pas très perceptibles au niveau de la startup FinTech. En guise d’illustration, le fonds Comoé Capital lors d’une entrevue pour notre étude nous signalait : « Nous n’avons pas encore investi dans une startup FinTech en Côte d’Ivoire pour plusieurs raisons, mais nous restons en plein dans l’analyse du potentiel». Parmi les raisons regroupées dans ces propos, il transparaissait entre autres, l’absence d’un modèle d’affaires viable et l’absence de solution innovante étant donné que plusieurs FinTechs sont dans le même domaine. Notons également que l’Agence de la promotion de l’inclusion financière (APIF-CI) et la Banque mondiale soulignent qu’il n’existe pas de fonds de capital risque ayant orienté un investissement sur une FinTech. Ceci prouve à quel point l’écosystème d’investissement reste très peu actif en Côte d’Ivoire. Une démarche entreprise est de travailler en partenariat avec les incubateurs, afin de détecter et d’accompagner financièrement les jeunes pousses qui ont du potentiel.

Quelles attentes de la part d’apporteur de fonds

Trois thèmes principaux attirent les investisseurs interrogés et ils sont, pour la plupart, indépendants de la crise de la Covid-19 :

  • La capacité des startups FinTech et des leurs équipes dirigeantes. Les investisseurs souhaitent que les FinTechs créent des équipes fortes et développent leurs compétences et leur manière de contrôler les coûts. Selon un investisseur providentiel (ou business angel), « Ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui avaient une organisation bien en ordre avant la crise. » En outre, il reste important que ces équipes montrent qu’elles sont capables d’acquérir des clients avec leurs solutions, avec une maîtrise des coûts d’acquisitions des clients. Pour cet investisseur providentiel, ceci devient un point critique afin d’évaluer les réelles perspectives d’existence à long terme.
  • Les solutions innovantes qui doivent vraiment cibler le marché pays. Tandis qu’il reste important de regarder ce que font les FinTechs dans les pays anglophones et que les « marges d’innovation se développent au niveau corporate/banques qui font compétition aux FinTechs » comme le dit un fond international d’investissement, les investisseurs souhaitent que les FinTechs fassent plus de recherche de marché pour mieux connaître leurs cibles et créent des produits et services innovants qui ne sont pas seulement des « copycats »
  • Plus de collaboration dans l’écosystème. La culture du « fondateur unique » en Afrique francophone représente un défi et la culture de collaboration est toujours manquante dans le pays et selon notre recherche dans la sous-région aussi. Les investisseurs veulent que les startups FinTech, qui sont nombreuses sur le marché et qui offrent souvent le même produit, trouvent des synergies pour attaquer de gros marchés. Il est important qu’il y ait une collaboration entre les banques et les FinTechs aussi et que ce secteur fasse une restructuration et des fusions, par exemple en faisant des « clusters ». Les FinTechs ne peuvent pas penser aux gros marchés avant que les deux autres recommandations soient adressées.

Les désirs des entrepreneurs des startups FinTech en Côte d’Ivoire

L’une des problématiques que rencontrent les entrepreneurs d’Afrique francophone en général et de la Côte d’Ivoire en particulier reste l’accès au financement. Selon le FMI, « cette crise est le premier test de résilience des startups FinTech… Le resserrement des conditions de financement et une forte baisse des transactions due à la faiblesse de la demande frappe déjà durement les entreprises FinTech, en particulier les plus petites et celles avec des coussins plus minces ». Pour la plupart, elles ont pu survivre sur leurs propres fonds jusqu’à ce moment, malgré les taux d’épuisement (burn rate) élevés et les runway (le temps pour lequel une startup encore déficitaire a du cash disponible sans nécessité d’une nouvelle levée de fonds) assez baissés. Comme leur stabilité n’est pas encore assurée, les startups FinTech ont besoin de financement externe afin de soit devenir stable, soit accroître leur activité pour atteindre leur potentiel.

Bien que de plus en plus de fondateurs de startups FinTech en Côte d’Ivoire soient ouverts à recevoir des financements d’investisseurs, ils ont tout de même des points d’ombre qu’ils mettent en avant, relativement aux fonds d’investissement qu’ils soient des investisseurs providentiels, des investisseurs sociaux ou autres fonds.

En effet, ils souhaitent :

  • Que le stade d’amorçage soit davantage regardé et financé. Les fondateurs semblent unanimes sur le fait que les investisseurs ne prennent pas assez de risque avec les entrepreneurs, car il n’existe quasiment pas de projet dans lesquels des fonds d’investisseurs ont été injectés en Côte d’Ivoire en stade d’amorçage.
  • Que les clauses de financement soient moins rigides et plus flexibles et réalistes. En termes de rigidité, les fondateurs veulent absolument garder leur autonomie dans la gestion de leur entreprise. Une fondatrice de FinTech déclarait en ces termes : « Je ne suis plus trop intéressée par les fonds d’investissement car je sais comment ça fonctionne. Je suis financière de profession et, croyez-moi, je préfère gérer ma startup avec des fonds propres ou des apports des amis ou des membres de ma famille. » 
  • Que des modèles de financement soient également portés par les institutions d’investissement Étatique locale. Étant donné le niveau de risque qui devrait souvent être porté par les investisseurs, surtout pour les startups FinTech en amorçage, les fondateurs souhaitent pouvoir avoir accès aux sources de financement Étatique.
  • Qu’un écosystème de confiance et de support soit établi. Ceci fait appel à un environnement de partenariat avec des institutions financières, comme le font déjà Wizall et YUP (avec pour partenaires Banque Atlantique et Société Générale respectivement), ou encore avec d’autres institutions internationales, à l’exemple de InTouch avec Total, qui travaillent selon les standards exigées par leurs partenaires et pouvaient certifier de la sécurité de leurs plateformes.

Fort de ce constat, il apparaît important de se rendre à l’évidence qu’un environnement favorable à l’éclosion de l’investissement au sein de la startup Ivoirienne doit être créé. Les interactions entre les acteurs économiques que sont les entrepreneurs et les apporteurs de fonds/ investisseurs de quelque sorte, devraient se faire de manière permanente et transparente. Dans cet ordre d’idée, MSC voudrait lancer un laboratoire pour assister les FinTechs (et autres entrepreneurs Tech) à augmenter leurs capacités et développer des services innovants, avec des modèles d’affaires soutenables.  Nous sommes ouverts pour des échanges et discussions sur cette question, dans l’optique d’accroître le dynamisme des FinTechs dans la sous-région.

Les MPME sénégalaises face à la crise de la Covid-19

Les MPME sénégalaises face à la crise de la Covid-19

Par Babacar NDIAYE et Shailey TUCKER, Mars 2021

Bien que l’Afrique soit le continent le moins impacté par la pandémie de la Covid-19 d’un point de vue sanitaire, les MPME sénégalaises ont été fortement impactées d’un point de vue économique.

La crise de la Covid-19 a fortement impacté le tissu économique des entreprises sénégalaises (quel que soit la taille de l’entreprise, le genre ou l’âge de l’entrepreneur) et ceci dans plusieurs secteurs, certains ayant souffert plus que d’autres. Pour les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) qui évoluent dans la commercialisation des produits agroalimentaires et l’ensemble des acteurs qui interviennent dans les chaînes de valeur agroalimentaires (des champs, à la mise à disposition des produits dans les espaces de commercialisation), la situation s’est même plutôt aggravée. Ces MPME qui ne disposaient pas d’infrastructure de stockage, comme des entrepôts ou des chambres froides, ont vu leurs pertes post récolte augmenter.

Mes revenus ont baissé, ce qui a un impact direct sur les dépenses de mon ménage. Mon activité commerciale a ralenti à cause de la pandémie et les restrictions qui nous sont imposées affectent directement nos revenus.” – Fumeur de poisson, Thiès, juillet 2020

Au sein d’une étude menée par MSC sur l’impact de la Covid-19 sur les MPME au Sénégal, Bamba (prénom changé), un producteur de gombo et de piment de la région de Thiès, révélait avoir perdu plus de 50 % de sa production à la suite de la fermeture du marché. Sa situation s’était aggravée  car il n’avait pas les moyens de conserver sa production sur une longue période. D’autres agriculteurs, par exemple, de la zone des Niayes, —principale zone maraîchère du pays, déclarent avoir perdu une part importante de leur production. Les MPME dans le secteur de la production industrielle ont été impactés aussi bien au niveau des intrants qu’au niveau de la production pure, en raison des mesures prises sur les sites de production pour les ouvriers. En outre, l’interdiction de déplacement entre régions et la contraction globale de l’activité économique ont eu un impact considérable sur les entreprises de service. Une PME urbaine évoluant dans la commercialisation de carburant a vu ses revenus fortement baisser à la suite de la crise. Elle révèle aussi avoir été impactée par le non-paiement de factures  de certaines structures publiques après livraison du carburant. Cet exemple montre que les MPME ont besoin de plus de soutien pour renforcer leur capacité à gérer leurs trésoreries pour faire face aux crises futures.

Au Sénégal, les MPME ont mis en place un certain nombre de mesures d’adaptation de leurs stratégies commerciales et de leurs stratégies d’approvisionnement pour atténuer les effets de la crise ; il y a un énorme potentiel pour la transformation digitale des MPME sénégalaises, 97 % desquelles sont informelles.

Quelques services marchands se sont réinventés à travers les plateformes digitales (Facebook, WhatsApp, sites e-commerce) pour présenter leurs produits à leur clientèle mais ils se sont réinventés également dans le mode de livraison. Parmi notre échantillon de 100 MPME sénégalaises, seulement 23 % utilisaient leurs réseaux sociaux digitaux pour atteindre leurs clients tandis que 18 % les utilisaient pour communiquer avec leurs fournisseurs. 19 % ont augmenté leur utilisation des paiements digitaux, avec une augmentation médiane de 30 % de valeur de paiement. Parmi ces entreprises qui ont déclaré une augmentation, 47 % sont dirigées par des femmes. Ces chiffres indiquent que l’adoption du digital n’est pas facile pour toutes les MPME : il y a un fort besoin d’accroître l’éducation digitale et augmenter l’accès à l’infrastructure (comme les téléphones portables et l’internet) et, plus important encore, au financement.

Les startups se spécialisant dans la livraison ont connu une augmentation de leur chiffre d’affaires car elles ont pu adresser des besoins de livraison pour des entreprises dans différents secteurs d’activité (par exemple, restaurants, commerce). Des initiatives comme la livraison du pain à domicile à travers une plateforme de e-commerce « Jaay Mba Mburu » ont vu le jour. Ce projet n’a pas connu une suite heureuse en raison des faibles marges dans le secteur. Néanmoins, cette initiative est à saluer car elle a permis à plusieurs familles de disposer du précieux sésame pendant le mois de jeûne du Ramadan au Sénégal tout en respectant les mesures de confinement. Parmi notre échantillon, nous avons pu constater que seulement 5 % ont commencé à utiliser les services de livraison à domicile.

Parmi les mesures de résilience, une entreprise technologique, Gaindé 2000, a initié en partenariat avec le Ministère du Commerce et des PME, E-commerce Sénégal, une plateforme de commerce électronique et de cartographie des stocks et des prix des denrées de première nécessité pour contribuer au dispositif de résilience. Saisissant l’opportunité de mettre en place des actions phares de la Stratégie nationale de développement du commerce électronique au Sénégal (Sndces), le Ministère du Commerce et des MPME a souhaité saisir ce prétexte pour dérouler la stratégie nationale e-commerce qui prévoyait la mise en place d’une plateforme nationale. L’idée retenue a été finalement de mettre en place un Consortium National pour le e-commerce qui a été approuvé par le Ministère. Ce consortium national est constitué de deux collèges : (i) un collège marchand avec les acteurs du e-commerce et (ii) un collège non marchand avec les institutionnels qui veulent promouvoir le e-commerce. L’objectif attribué à ce consortium a été de mettre en place une modalité convergente des acteurs : (i) Unicité des identifiants, (ii) Convergence des paniers (« cross-selling ») et (iii) Convergence des paiements ( « cross payment »). Selon quelques MPME inscrites sur cette plateforme, celle-ci qui a constitué un répertoire non transactionnel des acteurs e-commerce n’a pas encore eu de réel impact sur les transactions e-commerce. Néanmoins cela s’explique en partie par le fait qu’il n’y avait pas de budget pour dérouler une stratégie de communication grand public. Selon l’UNCTAD, il y avait des campagnes faites pour sensibiliser le public ; cependant, la plupart de notre échantillon (enquête quantitative de 100 MPME et entretiens qualitatifs avec un panel de 15 MPME) n’était pas au courant de cette plateforme. Le consortium national est actuellement en train de développer les modalités convergentes avec pour l’objectif de livrer la future plateforme nationale e-commerce au cours de l’année 2021.

Dans le cadre du plan de relance, l’État a décidé de promouvoir la viabilité de certains secteurs stratégiques dont l’industrie pharmaceutique, l’agriculture et la transformation industrielle. La mise en place d’infrastructures de stockage constitué d’entrepôts et de chambres froides au niveau des zones de production horticoles constitue une réelle demande des acteurs et une forte mesure de résilience du secteur agroalimentaire.

Pour conclure, l’étude qualitative et quantitative de MSC montre que les besoins réels des MPME sénégalaises portent sur les thèmes suivants : l’accès au financement ; le renforcement des capacités de gestion financière et de gestion des risques ; le développement de l’infrastructure pour ne pas perdre les produits agro-alimentaires ; et l’éducation digitale aussi, pour encourager plus d’activités vers le numérique. L’étude montre qu’il n’y a qu’une minorité de jeunes qui ont pu saisir l’opportunité du digital pour garder ou attirer leurs clients. Pour une relance soutenable dans le long-terme, la collaboration publique-privée reste absolument nécessaire.

Impact de la pandémie de la Covid-19 sur les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) au Sénégal

Impact de la pandémie de la Covid-19 sur les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) au Sénégal

Bocar ANNE, Elizabeth BERTHE, Mamadou DIALLO, Babacar NDIAYE, Shailey TUCKER, Décembre 2020

Cette étude se concentre principalement sur les micro et petites entreprises au Sénégal.
Au moment de la première collecte de données, fin avril 2020, le gouvernement du Sénégal avait introduit une série de mesures restrictives. Celles-ci comprenaient un couvre-feu entre 20 heures et 6 heures du matin, l’interdiction du transport interurbain de personnes et des restrictions sur le nombre de personnes autorisées dans le transport de marchandises (le conducteur et une personne accompagnante seulement) et des restrictions sur le nombre de passagers pour le transport urbain (50 % d’occupation maximum dans les bus). En outre, les marchés locaux ont été fermés dans les zones rurales, les marchés des centres urbains ont dû réduire leurs horaires, et les plages et les parcs ont été fermés.
Au moment de la deuxième collecte de données, début juillet 2020, les restrictions à la mobilité avaient été levées.

Les résultats de l’étude peuvent ne pas être entièrement valables pour les entreprises de taille moyenne

Nous remercions l’équipe de Baobab Sénégal, qui nous a aidé à entrer en contact avec ses MPME clientes pour les besoins de l’étude, ainsi que la Fondation Mastercard pour son soutien financier.

Ouvrir des opportunités de croissance pour les MPME dans un monde post-COVID

Ouvrir des opportunités de croissance pour les MPME dans un monde post-COVID

 

 Par Elizabeth Berthe, Mars 2021

La numérisation n’est pas seulement une question de technologie, mais aussi une nouvelle façon de faire des affaires qui inclut le développement de modèles commerciaux agiles s’adaptant à un environnement changeant.  Les MPME sont l’épine dorsale de l’économie africaine et représentent 90 % de l’ensemble des entreprises.  Rappelons que 60 % des emplois se trouvent dans l’économie informelle, principalement dans les MPME.  Mais les MPME sont confrontées à de réelles contraintes dues à leurs compétences commerciales, à leurs budgets limités et à leur faible culture numérique.  Des recherches récentes ont montré que l’adoption de services financiers mobiles réduit la taille du secteur informel jusqu’à 4,3 points de pourcentage du produit intérieur brut (PIB). Le parcours de transformation numérique des MPME indique que beaucoup d’entre elles en sont encore qu’à leur début, car elles n’ont pas connaissance des outils ou des services qui pourraient leur être utiles.  Dans notre récente étude sur les MPME au Sénégal, malgré le fait que de nombreuses entreprises disposent de comptes d’argent mobile, ces comptes sont principalement utilisés pour des transactions personnelles. Le passage de l’argent liquide au numérique favorise la productivité et la rentabilité en réduisant les coûts opérationnels et en rendant les transactions commerciales moins chères, plus fluides et plus sûres.  La sensibilisation ne suffit pas, car les prestataires de services financiers numériques (SFN) doivent également renforcer leurs capacités par des moyens accessibles et abordables, liés à un soutien financier. Si l’écosystème, les politiques et l’environnement réglementaire étaient appropriés, les microentreprises pourraient bénéficier des mêmes opportunités que les petites et moyennes entreprises pour les aider dans leur parcours de transformation.

5 défis clés sur le chemin de la transformation numérique des MPME

  1. Création de connaissances et sensibilisation

Le manque de compétences numériques des MPME a entraîné une baisse du taux d’adoption des technologies numériques. Les compétences numériques sont à la fois les compétences, mais aussi les capacités qui permettent aux MPME d’exploiter les possibilités offertes par la technologie, d’assurer des performances plus efficaces et efficientes, d’explorer de nouvelles manières de mener des affaires et de créer de nouvelles entreprises. Par exemple, l’’utilisation personnelle de Facebook par les entrepreneurs, leur a permis de se faire connaître auprès d’autres MPME qui utilisent Facebook comme canal de vente. WhatsApp a de nombreux adeptes et offre un accès direct aux clients ainsi que la possibilité d’établir une relation de confiance. En outre, elle ne nécessite pas de messages écrits, car les entreprises peuvent échanger des messages vocaux et ceci est un avantage important pour le segment “oral” qui lutte pour lire et écrire.

Depuis le début de la pandémie, les MPME qui utilisent le numérique s’en sortent mieux que leurs homologues ne le faisant pas.  Avec le couvre-feu, de nombreuses MPME ont commencé à offrir des services de livraison ou à utiliser les médias sociaux pour promouvoir leurs services afin de compenser l’augmentation des coûts opérationnels et le manque d’accès physique aux clients.  Les femmes sont confrontées à un fardeau plus lourd avec une capacité numérique plus faible et des pertes plus importantes depuis le début de la pandémie car elles sont généralement dans le secteur de services et ont moins accès à la technologie.  Par exemple, au Sénégal, les femmes des zones urbaines ont 11 % de chances en moins que les hommes d’utiliser l’internet mobile, contre 32 % dans les zones rurales.

  1.  Maintenir le statu quo

Même lorsque les MPME comprennent les avantages potentiels du numérique, elles ne savent souvent pas comment s’y prendre pour l’adopter, car elles dépendent fortement du bouche-à-oreille pour des solutions potentielles.  Malgré l’existence de solutions plus abordables sur le marché, il existe des perceptions de risque et d’incertitudes quant aux coûts et à ce qui est nécessaire pour passer au numérique, y compris la transition vers l’argent mobile.

Bien que la plupart des affaires se fassent en espèces, l’argent mobile a fait des percées et ceci, même si les paiements marchands ne sont pas bien adaptés aux besoins des MPME. Ils se développent lentement et sont maintenant utilisés par les supermarchés, les stations-service, les pharmacies et les grandes librairies. Parmi les entreprises qui n’acceptent pas les paiements de commerçants, les paiements de personne à personne (P2P) sont fréquemment utilisés, en particulier pour les transactions de grande valeur, ce qui indique une opportunité de concevoir des cas d’utilisation par les entreprises pour les entreprises de niveau 3 et de niveau 4, largement inexploitées.  Cependant, les commerçants informels restent largement inexploités.  Ces MPME informelles comprennent les défis liés à la gestion de la trésorerie, mais sont moins susceptibles d’accepter des paiements P2P que celles qui ont une forme quelconque de tenue de registres.

L’accès limité au financement réduit les options des MPME, mais la plupart des plateformes numériques n’exigent pas des MPME un investissement initial important, et adoptent plutôt des modèles de partage des bénéfices, qui sont plus attrayants financièrement pour les MPME. Les institutions financières gagneraient à collaborer avec les plateformes numériques pour faciliter leur processus d’intégration et leur soutien, ouvrant ainsi un tout nouveau marché. Elles peuvent soutenir les MPME, comprendre comment le paiement en ligne et le crédit numérique peuvent être bénéfiques à leur entreprise pour autonomiser leur digitalisation.

L’accès limité aux services financiers pour les besoins en fonds de roulement est un problème bien connu, la SFI indiquant  un déficit de financement de 5,2 milliards.  Les MPME doivent également relever le défi de pouvoir recouvrir les comptes créditeurs en temps voulu et offrent souvent un crédit informel à leurs clients.  Le transfert de la propriété du recouvrement des paiements à une plateforme ou une banque pourrait combler un problème majeur, tout en créant la piste numérique dont les prestataires de services financiers ont besoin pour éclairer leurs décisions de prêt.

  1. Mise en œuvre de la transformation numérique

Les MPME ont des compétences limitées pour développer leur stratégie de transformation numérique et identifier les technologies appropriées à exploiter.  Un effort de collaboration est nécessaire pour améliorer les compétences des MPME et renforcer les compétences des futurs entrepreneurs.  Les gouvernements pourraient encourager le renforcement des compétences en ligne en subventionnant des données à taux zéro pour les applications d’apprentissage mobiles.  Il convient de souligner les réussites, en particulier celles des jeunes et des femmes qui ont exploité les technologies numériques pour gérer leurs entreprises de manière plus productive et plus rentable.

  1. Accès aux plateformes numériques et aux solutions prêtes à l’emploi

Bien que certaines MPME puissent créer leurs propres canaux en ligne, la croissance des plateformes numériques finira par devenir le principal fournisseur de services pour les MPME.  Pour préparer le terrain, les gouvernements pourraient fournir l’accès à des services commerciaux numériques prêts à l’emploi, comme la tenue de registres, en collaborant avec les start-ups.  Le manque de tenue de registres est un facteur qui contribue à l’accès aux services financiers formels et l’accès aux ressources numériques qui facilitent la tenue de registres est une solution potentielle.  Les FinTech de la sous-région ne se concentrent pas sur le secteur des MPME et la comptabilité numérique est un besoin latent. Des incitations pourraient donc aider à combler cette lacune par des solutions innovantes. La COVID-19 a souligné la nécessité de mieux comprendre les coûts pour une prise de décision éclairée et le besoin d’une meilleure éducation financière. Des outils comptables simplifiés peuvent aider les entreprises à suivre les paiements, à faire l’inventaire et à créer un dossier pour accéder au crédit grâce à une meilleure gestion financière. Les programmes gouvernementaux pourraient travailler avec les associations locales pour accroître l’engagement en offrant l’accès à des outils testés.

5. Engager les MPME

La connaissance des programmes de soutien gouvernementaux est limitée et comme ces programmes sont destinés aux entreprises formelles, des efforts doivent être faits pour aider les MPME à comprendre les avantages de la formalisation. La première étape consiste à faciliter le processus d’enregistrement des entreprises par une approche graduelle et échelonnée. Les gouvernements pourraient tirer parti de la prise de conscience créée par la pandémie, car les MPME informelles n’ont pas profité des nombreux avantages offerts au secteur formel. Il est donc temps de saisir l’opportunité de proposer un ensemble de services sur la voie de la formalisation, de l’amélioration de la productivité et de la capacité des entreprises. Ce processus devrait également envisager des amnisties fiscales pour les impôts des entreprises qui s’engagent dans le processus de formalisation.

La zone continentale africaine de libre-échange est une opportunité pour augmenter les revenus des MPME et  stimuler les revenus. La Chambre de commerce pourrait jouer un rôle en créant des incitations à utiliser le commerce électronique et en fournissant aux entreprises une assistance en la matière, un soutien à la culture numérique, des conseils sur la normalisation des produits et le marketing numérique. La Chambre de commerce internationale a récemment annoncé qu’elle envisageait de lancer une initiative de commerce électronique à base numérique pour permettre la numérisation de cinq millions de MPME en Afrique.

La transformation numérique est en route, mais n’est pas encore totalement comprise. Sans action et collaboration, la transformation numérique ne conduira pas, à elle seule, à une prospérité et une croissance largement partagées. Il n’y a pas de solution unique, mais relever les défis peut contribuer à renforcer le secteur des MPME, ce qui entraînera une augmentation de la productivité et de la création d’emplois sans que les micro-entreprises ne soient laissées pour compte. La promotion d’un environnement qui favorise une culture numérique propice aux MPME permettra aux micro-entreprises d’être compétitives dans un environnement post-COVID.

Les réseaux d’agents au Sénégal peuvent-ils aider l’économie à se redresser après la crise de la Covid-19?

Les réseaux d’agents au Sénégal peuvent-ils aider l’économie à se redresser après la crise de la Covid-19?

Par Axelle Kadio-Marokro et Shailey Tucker, Décembre 2020

En avril 2020, après quelques semaines de couvre-feu national imposé par le gouvernement du Sénégal, la vie d’Oumar (prénom changé) s’est effondrée. Il est devenu l’un des milliers d’agents de dépôts et retraits (Cash–in/Cash-out) au Sénégal dont les revenus mensuels ont chuté de plus de 50 % (environ 80%), dont la fréquentation des clients a diminué de 80% et dont les heures de fonctionnement ont été réduites de 3 à 6 heures.  Avec une économie mondiale au point mort, les transferts d’argent internationaux et nationaux ont également diminué.

Oumar s’occupe principalement des transferts de fonds internationaux et, avec les dépenses des ménages qui n’ont pas diminué pendant cette période, il a essayé de gérer de son mieux avec le peu de liquidités dont il disposait. Oumar a également essayé de s’assurer que son personnel réduit et ses clients suivaient des mesures de distanciation sociale et d’hygiène. En juillet, lorsque le couvre-feu a été levé, Oumar a heureusement vu son activité reprendre progressivement à son point de service. Cependant, ses revenus n’avaient pas encore atteint leur niveau d’avant le couvre-feu et il n’était pas en mesure de réembaucher tous ses employés.

La pandémie a affaibli les agents d’argent mobile sénégalais 

Oumar n’est pas le seul dans cette situation difficile. En 2018, il y avait 54 638 agents d’argent mobile actifs au Sénégal, comprenant un mélange d’agents non exclusifs et d’agents dédiés à un partenaire particulier. MSC a mené une étude qualitative pour évaluer l’impact de la pandémie de Covid-19 sur ces agents au Sénégal pendant et après les restrictions de mobilité en 2020. Notre étude montre que la pandémie de Covid-19 pose quatre grands défis aux agents d’argent mobile :

1. Une forte baisse des transactions et des revenus : les agents interrogés ont fait état d’une forte baisse des revenus pendant le couvre-feu. Suite au couvre-feu en vigueur du mois de mars au mois de juin, les revenus sont restés inférieurs à ceux de l’année précédente et l’activité a été lente à reprendre. Cette baisse de revenus peut s’expliquer par trois raisons principales. Premièrement, la baisse des transferts d’argent internationaux due aux restrictions et à la réduction de l’activité dans les pays développés, a entraîné une diminution des montants transférés et, par conséquent, des commissions des agents. Les restrictions ont également entraîné une réduction des heures d’ouverture des agents, qui n’ont pas été classés comme des ‘services essentiels’ pendant la période de fermeture, bien qu’ils aient joué un rôle clé dans l’accès au financement. Deuxièmement, ils ont également signalé une baisse des transactions en raison des restrictions de transport. Enfin, ils n’ont pas retrouvé le niveau de leurs revenus après l’assouplissement du couvre-feu en juin en raison d’un ralentissement général de l’économie.

2. Un défi pour rester rentable : alors que leurs revenus ont diminué en raison de la faible activité, les agents d’argent mobile ont dû faire face à des dépenses accrues en raison de la mise en place de différentes mesures d’hygiène et de sécurité pour contenir la propagation de la pandémie. Cela a eu un impact sur leurs activités à la fois opérationnel et financier : ils ont réduit leurs heures de travail, ont équipé leurs locaux de masques et de désinfectants pour les mains, et  ont passé de plus longues heures en banque pour la gestion de la trésorerie. Parmi notre panel de 15 agents, un seul service de transfert d’argent (STA) avait fourni à ses agents des désinfectants pour les mains, tandis que les autres avaient laissé leurs agents s’en charger eux-mêmes.

3. Une gestion plus difficile des liquidités et de la trésorerie : la crise a accru les problèmes de gestion des liquidités et les a rendues plus coûteuses pour les agents. Depuis le début de la pandémie, les coûts de transport ont augmenté et, en raison des protocoles sanitaires en vigueur dans les banques, les agents ont passé plus de temps dans les agences bancaires. Cela s’est traduit par une réduction de leurs heures d’ouverture ainsi que par une augmentation du coût d’opportunité des retraits d’espèces. Les agents ont donné la priorité aux produits offrant des commissions intéressantes et aux produits avec lesquels ils pouvaient récupérer leurs fonds plus rapidement auprès du prestataire de services. Enfin, pour survivre, les agents ont réduit leurs dépenses personnelles et professionnelles.

4. Un manque de connaissances et compétences pour diversifier leurs revenus : pendant le couvre-feu, les agents ont arrêté tous les services adjacents et se sont concentrés sur leurs clients pour renforcer leur activité. Aucun des agents interrogés n’a élaboré de nouveaux plans pour développer leur activité pendant la crise, car ils manquent de connaissances opérationnelles et financières pour élaborer des plans d’expansion après la pandémie.

Les agents d’argent mobile sont autonomes mais doivent être considérés comme une solution pour la prestation des services au dernier kilomètre

Sur la base de l’expérience de MSC avec les agents d’argent mobile, les recommandations suivantes permettraient de renforcer la résilience des agents dans la phase post-Covid-19. Agir en ce sens devient d’autant plus important que le Sénégal connaît sa deuxième vague de la pandémie, mettant en place de nouveaux couvre-feux, ce qui restreint encore plus l’activité économique.

1. La pandémie a créé une opportunité d’élargir l’accès aux services financiers via les canaux numériques : La BCEAO devrait accélérer la mise en œuvre du projet d’interopérabilité des écosystèmes pour les services financiers numériques, ce qui augmenterait la vitesse des transferts numériques. Cela peut créer de nouveaux domaines de croissance dans les paiements pour les agents d’argent mobile.

2. Les gouvernements devraient classer les agents dans la catégorie des services essentiels, en utilisant leur réseau pour atteindre les populations vulnérables et rurales : Le gouvernement du Sénégal n’a déclaré aucun service comme essentiel ou non essentiel, afin d’assurer leur prestation cohérente pendant le confinement. Cependant, le gouvernement devrait utiliser les canaux numériques pour les paiements sociaux et les agents, en tant que fournisseurs de services essentiels, contribueraient grandement à garantir que l’accès aux fonds ne soit pas perturbé. Par exemple, en Côte d’Ivoire, la société FinTech, Wizall Money, a été utilisée pour distribuer des paiements sociaux afin de soutenir les ménages vulnérables et le secteur informel. De même, la Banque centrale du Congo (BCC) s’est associée à des réseaux d’agents pour distribuer des paiements et encourager les citoyens à adopter les paiements numériques. En outre, les locaux des agents pourraient être réaménagés pour fournir également des services administratifs en soutenant les citoyens avec divers services tels que les cartes d’identité nationales, le paiement des factures de services publics et le paiement des impôts.

3. Le secteur privé et les ONG pourraient développer des partenariats avec les agents afin d’atteindre les populations rurales à faibles revenus du bas de la pyramide : la pandémie a stimulé la croissance du commerce électronique et des services numériques. Les start-ups et les entreprises de commerce électronique pourraient utiliser les réseaux d’agents comme points de collecte pour leurs plateformes. Les secteurs privés peuvent ensuite collaborer avec les agents pour atteindre les personnes à faible revenu et la population des zones rurales. Par exemple, les agents pourraient devenir un point de service pour fournir une multitude de services permettant aux entités de desservir le dernier kilomètre, en s’associant par exemple avec l’agro-industrie ou les compagnies d’assurance pour vendre des semences et des assurances agricoles

4. Renforcer les compétences des agents pour les aider à développer leur résilience : Les agents ont dû faire face à des problèmes de résilience des entreprises et la plupart d’entre eux ont abandonné leurs plans d’expansion en raison de la crise. Les gouvernements et les partenaires devraient soutenir les agents par des formations afin de développer leur activité malgré la pandémie, en particulier les femmes agents. Les agents interrogés ont exprimé leur souhait de recevoir une formation non seulement sur les nouveaux produits et services des prestataires différents, mais surtout sur les outils de gestion, la gestion de la trésorerie, et la gestion des risques et des fraudes. Ces thèmes sont en phase avec les efforts du Gouvernement pour soutenir les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) en général. Ainsi, un effort concerté peut être fait pour assurer l’inclusion des agents d’argent mobile dans les activités mentionnées dans le deuxième Plan d’Actions Prioritaires (PAP II) du Plan Sénégal Emergent (PSE). Le PAP II a été adopté par le Gouvernement en septembre 2020 comme son plan de relance pour stimuler l’économie sénégalaise au lendemain de la crise du COVID-19.

Le gouvernement et le secteur privé doivent aider les agents à devenir plus inclusifs tout en diversifiant leur activité. Les réseaux d’agents peuvent servir d’extension des activités du gouvernement ou du secteur privé pour atteindre un plus grand nombre de bénéficiaires ou de clients. Cela peut être réalisé en formant des partenariats stratégiques avec divers acteurs publics et privés, tels que les ministères qui distribuent les prestations sociales et les compagnies d’assurance.