Respecter l’engagement en faveur de l’égalité entre hommes et femmes

Respecter l’engagement en faveur de l’égalité entre hommes et femmes en concevant de meilleurs produits financiers pour les femmes pauvres

Abhishek Gupta, Akhand Tiwari, Bhavana, Srivastava et Sunitha Rangaswami, octobre 2018

Cet article est le résultat de plusieurs années de recherches et d’interventions de conseil de MicroSave Consulting (MSC) sur le développement de services financiers destinés aux femmes. Il s’appuie sur des informations provenant de nombreux secteurs, dont notamment la micro-finance, les services financiers digitaux, le versement direct de prestations, les MPME, les réseaux d’agents, etc.

Les spécialistes marketing d’un nombre croissant de secteurs ont fait des efforts considérables pour créer des marchés de consommation segmentés en fonction du sexe, qu’il s’agisse des produits d’hygiène, des deux-roues ou des forfaits de vacances. Pourtant, dans leur grande majorité, les prestataires de services financiers (PSF) continuent d’ignorer les besoins spécifiques des femmes. À l’heure actuelle, il n’existe dans le monde qu’un nombre limité de produits financiers conçus spécialement pour la clientèle féminine.

À l’échelle de la planète, plusieurs facteurs influencent les besoins des femmes. Ils peut s’agir, entre autres, des différences biologiques, au sens où ce sont les femmes qui mettent les enfants au monde, des obstacles socio-économiques, dans la mesure où elles assument à elles seules le fardeau non rémunéré des corvées domestiques, et du contexte culturel, qui est source de barrières à l’emploi, voire au déplacement. Ces difficultés sont amplifiées pour les femmes pauvres, qui manquent d’instruction et se heurtent à des obstacles qui limitent leur accès à la propriété et au contrôle des biens matériels ou financiers. D’après les statistiques Findex 2017, l’écart entre les sexes en termes d’accès aux comptes s’est réduit de 20 % à 6 % en Inde, mais 35 % seulement des femmes en sont des utilisatrices actives contre 47 % des hommes.

C’est probablement le mouvement du microcrédit qui s’est efforcé, pour la première fois, de reconnaître les femmes pauvres en tant que segment distinct du marché des services financiers. Il les a intégrées au monde financier formel avec des prêts et des passeports émis à leur nom. Cette approche ne représente toutefois qu’un progrès limité. Les responsables politiques et les bailleurs de fonds ne voient pas nécessairement dans les femmes pauvres des consommatrices actives de services financiers. Ils les considèrent plutôt comme un moyen de toucher les ménages et d’y faire entrer le crédit dans l’espoir qu’ils finiront par sortir de la pauvreté.

Il existe peu de données sur le développement et la réussite des entreprises dirigées par des femmes ayant bénéficié de financements de microcrédit. Dans la pratique, beaucoup de ces bénéficiaires finissent par vivre au jour le jour en ayant du mal à honorer les échéances de leurs prêts.

Dans le même esprit, un certain nombre de pays en développement ont instauré il y a une vingtaine d’années le versement d’allocations soumises à conditions (« CCT » pour Conditional Cash Transfer). L’idée était de lier le versement de certaines prestations sociales à des comptes bancaires ouverts au nom des femmes. Ces versements étaient liés à certains critères devant être respectés par les bénéficiaires, comme par exemple la scolarisation de leurs enfants, l’accouchement en milieu hospitalier ou la protection des enfants de sexe féminin. Globalement, ces CCT mettaient l’accent sur le bien-être social de l’entité familiale, plutôt que sur le bien-être économique des femmes bénéficiaires en tant que telles.

Dans ce modèle, les femmes sont assimilées à la « famille » et sont considérées comme un vecteur de bien-être social. Les prestataires de services financiers sont le réseau de distribution des CCT et de la micro-finance. Ils ont fait preuve d’un manque étonnant de volonté et d’imagination pour détecter une opportunité commerciale dans les millions de femmes pauvres qui détiennent ainsi un compte bancaire dans leurs agences.

Quelles sont les lacunes de la conception de produits financiers destinés aux femmes pauvres ?

Les femmes pauvres se heurtent à des barrières sociales, économiques et psychologiques qui les empêchent de participer pleinement à l’écosystème des services financiers. Ces femmes veulent être des acteurs économiques indépendants tout en répondant aux besoins de leur famille. Nous recensons ci-dessous quelques uns de ces défis :

  1. L’un des aspects les moins étudiés, et donc peu connu, de la conception de services financiers est le niveau élevé d’oralité chez les femmes pauvres. L’illettrisme et l’innumérisme constituent des obstacles cognitifs qui les empêchent de se sentir à l’aise avec les prestataires de services financiers ou leurs agents. Il est fréquent que les hommes profitent de ce handicap et s’en servent comme d’une excuse pour traiter avec les prestataires de services financiers « au nom » des femmes de leur entourage, dont ils affirment qu’elles « se feraient sinon avoir ou seraient incapables de faire des opérations ». Cela restreint leur expérience des services financiers et les conduit à douter de leur capacité à accéder à des services financiers ou non financiers, y compris au moyen des plateformes digitales.
  2. La présence d’agents de sexe féminin se traduit par un taux d’adoption plus élevé des services financiers digitaux au sein de la clientèle féminine. Les clientes leur font davantage confiance et considèrent qu’elles respectent mieux leur confidentialité par rapport aux agents masculins, ce dont les prestataires de services financiers ne semblent pas tenir compte. Des observations réalisées en Inde laissent à penser que les prestataires de services financiers ne consacrent pas autant d’efforts au recrutement et au soutien d’agents de sexe féminin qu’ils ne le font pour les hommes. De plus, les femmes pauvres sont sensibles au coût des frais facturés par les agents et mettent plus longtemps à faire confiance à un agent particulier. Par rapport aux hommes, elles ont donc besoin d’échanger davantage avec leur agent. Cependant, certaines pratiques sociales existantes, comme par exemple le système de purdah ou les restrictions relatives à leurs déplacements, limitent leur accès aux services financiers, notamment dans les zones rurales isolées.
  3. L’indépendance financière et le bien-être socio-économique plus général des femmes pauvres dépendent, en partie, de l’accès à une pièce d’identité individuelle. En l’absence de justificatif d’identité valable, elles ne peuvent pas se soumettre aux obligations de vérification de l’identité des clients (« KYC », de l’anglais Know-Your-Customer), y compris pour accéder aux services financiers digitaux. Le programme Bhamashah du Rajasthan en Inde fournit un exemple de première étape utile pour donner une identité digitale aux femmes. Les interfaces digitales doivent en outre garantir la sécurité et le respect de la vie privée des femmes.
  4. Les petites et micro-entreprises dirigées par des femmes ont non seulement du mal à accéder au capital, mais aussi à officialiser leur existence juridique. Cela limite leurs efforts de développement commercial et leur participation aux canaux de distribution du commerce en ligne et représente une opportunité commerciale significative que les prestataires de services financiers n’ont pas su exploiter jusqu’à présent. Avec un soutien prolongé, les micro-entrepreneuses sont parfaitement capables de développer leur activité. Des études ont montré que les entreprises contrôlées par des femmes ont de meilleurs historiques de remboursement, avec un niveau de prêts non productifs inférieur de 30 à 50 % à celui des entreprises dirigées par les hommes, et sont susceptibles de s’équiper de davantage de produits (jusqu’à trois fois plus) que les hommes. Cela en fait un excellent segment pour réaliser des ventes croisées.
  5. Dans leurs relations avec les prestataires de services financiers, les femmes chefs d’entreprise attendent plus que des produits financiers. Elles souhaitent bénéficier de services de conseil aux entreprises en matière de gestion, de comptabilité, de renforcement des compétences et de procédures juridiques pour développer les activités pour lesquelles elles avaient recherché des financements auprès de ces prestataires.

Concevoir des produits financiers pour les femmes pauvres : grandes lignes

À l’échelle de la planète, un milliard de femmes restent financièrement exclues, tandis qu’un décalage persistant de 9 % entre hommes et femmes perdure dans les pays en développement. Il est important et urgent que les prestataires de services financiers innovent pour développer des produits destinés aux femmes pauvres qui permettront de combler ces décalages. La conception de ces produits devra tenir compte de la diversité des besoins du marché de masse féminin.

Le succès du mouvement du microcrédit a reposé en grande partie sur son approche de solidarité collective. Les femmes pauvres préfèrent travailler et sont rassurées dans un environnement de groupe. Une approche collective réduit le risque financier au sein d’un même groupe et permet de mettre en commun les ressources, qu’il s’agisse d’actifs, de temps ou de main d’œuvre. Les prestataires de services financiers ont tout intérêt à s’appuyer sur cet aspect essentiel au vu de son influence considérable sur l’adoption des services financiers personnels par les femmes pauvres.

Impliquer des hommes pour défendre l’autonomie des femmes (économique ou autre) renforce la masse critique qui permet d’instituer une dynamique de changement. Cela est particulièrement important dans les régions où les normes sociales imposent un statu quo de contrôles rigoureux sur les femmes. De plus, les campagnes promotionnelles utilisées par les prestataires de services financiers pour développer l’usage de services financiers formels par les femmes pauvres devraient mettre en avant leurs avantages potentiels pour les ménages comme pour les intéressées.

D’autres aspects méritent d’être pris en compte pour la conception de produits financiers destinés aux femmes pauvres :

  • Considérer les femmes pauvres comme un segment de clientèle proprement dit, et non comme un simple moyen de toucher les ménages. Cela implique un mix-produit élargi, la possession d’une identité et une distribution respectueuse des contraintes féminines pour surmonter les limitations rencontrées par ce segment en termes de mobilité. Cela passe également par une offre complémentaire de services non financiers, dans le domaine par exemple des mises à niveau technologiques, du développement des compétences, de la comptabilité et de la formation comptable.
  • Adapter les services financiers digitaux aux besoins des femmes pauvres. Cela implique d’utiliser délibérément une imagerie tirée de leur vie quotidienne dans les interfaces digitales de façon à ce qu’elles puissent faire intuitivement le rapprochement avec l’interface et la conception du produit. Il est également nécessaire de développer des canaux de distribution adaptés.
  • Soutenir les agents de sexe féminin, qui sont également des micro-entrepreneurs de plein droit et élargissent par conséquent la base de clientèle féminine.
  • Fournir des outils financiers au nombre croissant de femmes employées dans l’ensemble des chaînes de valeur des grandes entreprises et leur apporter des solutions adaptées, comme par exemple des services de conseil aux entreprises ou des réseaux destinés aux femmes.
  • Faire de la centralité du genre un état d’esprit et une priorité de la conception de produits, tout en faisant attention à l’impact potentiel de chaque détail de conception sur la vie quotidienne des femmes pauvres.Les données CCT pourraient par exemple permettre de développer un produit de crédit formel destiné aux femmes bénéficiaires, pour lequel le respect des contraintes de versement servirait d’indicateur de mesure de la discipline financière et des flux de trésorerie.
  • Utiliser l’analyse des données de masse pour interpréter les données désagrégées en fonction du sexe, et plus particulièrement :  évaluer et suivre les avantages de l’offre de services financiers en faveur des femmes pauvres, que ce soit en termes de remboursements ou de retombées sociales pour les ménages ; et mesurer les flux de capitaux en direction des MPME dirigées par des femmes dans l’ensemble des classes d’actifs et véhicules d’investissement et évaluer leur corrélation avec les retombées financières et sociales tangibles au niveau des personnes et des ménages.
  • Utiliser ces données pour montrer comment la finance peut être un outil de transformation de la vie des femmes pauvres et positionner ainsi les prestataires de services financiers comme des artisans d’un véritable changement social.

Faute de considérer les femmes pauvres comme un segment distinct ayant des besoins spécifiques, nous finirons par déguiser des produits conçus pour les hommes en produit soi-disant mixte ou donner une connotation féminine superficielle à des produits par ailleurs génériques. Pour favoriser ce changement, nous devons étudier la myriade de parcours-client des femmes pauvres et utiliser ces connaissances pour concevoir une offre de produits adaptée.

Le double avantage de s’engager dans cette voie est la possibilité de transformer la vie des femmes pauvres tout en apportant une proposition de valeur commerciale aux prestataires de services financiers. Une base de clientèle de plus d’un milliard de femmes, qui ne sont pas encore connectées aux services financiers et restent encore largement ignorées, les attend.

Comment les jeunes peuvent-ils moderniser l’agriculture en Afrique ?

Comment les jeunes peuvent-ils moderniser l’agriculture en Afrique ?

10 millions d’emplois devront être créés chaque année en Afrique, alors que la population du continent est en constante augmentation. Le secteur agricole peut offrir des débouchés non négligeables. De nombreux challenges, mais aussi de nombreuses opportunités existent pour les jeunes tout au long de la chaîne de valeur.

 

Du lancement à l’accélération de la finance digitale : les leçons du marché béninois

Du lancement à l’accélération de la finance digitale : les leçons du marché béninois

Mélissa Rousset, novembre 2016

Six ans après le lancement de la finance digitale au Bénin, le marché est en phase d’accélération. Les deux principaux opérateurs de téléphonie mobile, MTN et Moov, ont ouvert la voie en s’appuyant sur leur base clientèle et leur réseau de distribution de rechargement téléphonique étendus pour passer rapidement à l’échelle. Ces derniers ont capitalisé sur la réputation de leur marque auprès des clients pour communiquer sur leurs services financiers digitaux. Pour preuve, plus de la moitié des adultes béninois (54%) connaissent au moins un fournisseur de finance digitale. Pour autant, cette notoriété forte ne se traduit pas forcément en acquisition de clients et utilisation des produits digitaux – seulement 9% des Béninois disposent d’un compte de monnaie électronique enregistré (Intermedia, 2016).

L’Institut Helix de Finance Digitale a récemment mené une étude qualitative au Bénin en partenariat avec le programme Mobile Money for the Poor (MM4P) de l’UNCDF. Cette étude indique que, parce que les deux principaux opérateurs sont entrés rapidement sur le marché en se focalisant d’abord sur le passage à l’échelle – atteindre un volume élevé de transactions de faibles valeurs – certains fondamentaux n’ont pas été suffisamment consolidés. Il serait judicieux pour les fournisseurs béninois de prendre du recul et s’assurer qu’ils ont mis en place des fondations solides en mesure de maintenir leurs efforts de croissance.

Les trois étapes du succès d’un déploiement de finance digitale

Il n’existe pas de définition universelle qualifiant le succès d’un déploiement de finance digitale : une gamme diverse d’acteurs poursuit des objectifs différents et offre des propositions de valeurs variées à différents segments de clients. Cependant, certains fondamentaux permettent d’assurer aux fournisseurs l’atteinte de leurs objectifs et de délivrer leur proposition de valeur. Les fournisseurs devraient idéalement suivre trois étapes afin de réaliser leur potentiel de croissance (Illustration 1).

La première, dite de « lancement », est une phase de développement qui vise à poser les bases du déploiement, par exemple en définissant une direction stratégique et une structure organisationnelle claires, avant même le démarrage des activités. Une fois ces tâches complétées, l’objectif est d’accroître les opérations à travers l’augmentation du volume de transactions sur la gamme de services cible, ainsi que d’étendre les points de services à des emplacements stratégiques. Nous appelons cette étape la phase « d’accélération ». Enfin, des années après le lancement, une fois que le marché arrive à maturité, les fournisseurs doivent s’atteler à créer un écosystème digital. Il est intéressant de noter qu’à ce jour, aucun fournisseur n’a réussi à atteindre cette phase « d’orbite », même parmi les marchés les plus avancés d’Afrique de l’Est qui font toujours face à des défis opérationnels majeurs.

Illustration 1. Les trois étapes de croissance d’un déploiement de finance digitale

 

Le marché béninois est entré dans une phase d’accélération

Contrairement au Nigéria où les fournisseurs de services financiers digitaux semblent avoir omis l’étape de lancement, les fournisseurs béninois ont pris certaines mesures pour poser l’essentiel de leurs fondations. Les deux opérateurs ont élaboré consciencieusement une proposition de valeur adaptée à leur clientèle : le transfert d’argent domestique et régional répond aux besoins des Béninois pour des solutions de paiement sécurisé, abordable et pratique. En visant les corridors de transfert – notamment la Côte d’Ivoire et le Togo – les fournisseurs participent de fait à bâtir un modèle de transfert transfrontalier innovant dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA).

Pour offrir leur proposition de valeur à leur clientèle cible, MTN et Moov ont déployé un réseau d’agents sur l’ensemble du territoire (en octobre 2016, le Bénin comptait plus de 8 300 agents actifs), en créant des points de contact à la fois dans les zones d’envoi et de réception. D’un point de vue technologique, les opérateurs de téléphonie mobile disposent d’un avantage considérable dans la mesure où ils contrôlent la bande passante du réseau, et de fait au Bénin, les deux opérateurs ont réussi à limiter les interruptions de service. Par ailleurs, MTN a récemment migré sa plateforme technologique affichant ainsi son engagement à offrir des services de qualité et renforcer la confiance et l’appétence des clients à utiliser les services financiers digitaux.

En dépit de ces réalisations majeures dans un marché encore relativement naissant, notre étude montre qu’il existe certains fossés que les fournisseurs béninois vont devoir combler rapidement au risque de voir leur croissance ralentie dans un futur proche. Les recommandations suivantes offrent des leçons pour les fournisseurs actuels et ceux qui souhaitent (ou planifient) de lancer leur propre déploiement :

  1. Faire de l’offre de finance digitale une priorité

Pour les acteurs qui entrent sur ce marché, l’un des défis essentiels est de définir des objectifs clairs pour l’offre de finance digitale et établir un consensus à leur endroit. Au sein d’une organisation, différents départements peuvent pousser des objectifs contradictoires – entre ceux qui envisagent les services financiers digitaux comme une source de revenus additionnelle au bénéfice de l’activité principale et les autres qui ambitionnent de positionner la finance digitale au cœur du futur de l’organisation.

Sur plusieurs marchés, on observe que les opérateurs de téléphonie mobile souffrent souvent de différences de vue entre leur activité traditionnelle de la voix et celle de finance digitale, ce qui peut entraver le développement de cette dernière. Quant aux institutions financières, la digitalisation des opérations se traduit souvent par un changement de paradigme et l’élimination des intermédiaires – caissiers, personnel administratif – susceptible de créer des résistances à l’adoption du modèle de finance digitale.

Dès le démarrage, les fournisseurs doivent donc garantir qu’ils disposent de l’engagement de l’ensemble des départements de leur organisation, depuis la direction générale jusqu’au personnel opérationnel, pour atteindre les objectifs cibles. Hâter le lancement d’une offre de services financiers digitaux sans clarté stratégique et engagement organisationnel fort risque de ralentir la croissance de l’offre et peut même conduire un déploiement à l’échec. Les fournisseurs béninois devront donc s’assurer que leurs organisations adhèrent pleinement et contribuent à atteindre leurs objectifs.

  1. Comprendre les préférences de la clientèle cible

Bien que l’offre des fournisseurs béninois soit conçue pour une utilisation autonome par les clients, l’étude démontre que les agents jouent un rôle clé en assistant les clients à effectuer leurs transactions de transfert. Les agents apportent leur aide soit en réalisant la transaction directement sur le téléphone de l’utilisateur ou bien en utilisant leur propre téléphone.

Ceci n’est pas surprenant dans un marché peu préparé à l’adoption des services financiers digitaux – seulement un tiers des Béninois sont alphabétisés et 44% sont en mesure d’envoyer un SMS (Intermedia, 2016). Les entretiens avec les agents révèlent que ces derniers comprennent le besoin de contact humain dans un marché digital jeune, et de fait beaucoup d’entre eux ont créé des relations de confiance avec les clients, en les accompagnant à travers, ce qui représente pour beaucoup, leur première expérience digitale.

Dans ce contexte, les fournisseurs devraient envisager de réévaluer leur méthodologie de transaction, leurs propositions de valeur ainsi que leurs stratégies de communication en vue de s’ajuster aux clients qui ne sont pas encore prêts à utiliser un portemonnaie électronique. Une première étape serait de conduire une étude de marché pour comprendre quels produit, interface d’utilisation, et programme d’éducation de la clientèle permettront d’accroître l’utilisation des services. Dans la mesure où les agents représentent souvent le premier point de contact des utilisateurs finaux, les fournisseurs pourraient songer de faire des agents des ambassadeurs de leurs services financiers digitaux, en les équipant et les incitant à jouer ce rôle.

  1. Viser la qualité plutôt que la quantité du réseau d’agents

Si le recrutement rapide des agents a permis de garantir une forte disponibilité du service au Bénin, les fournisseurs n’ont pas nécessairement pris le temps d’assurer que leurs agents aient le profil adéquat et soient suffisamment formés et suivis pour offrir une qualité de service irréprochable à la clientèle. Notre recherche montre que certains agents démarrent l’activité avec seulement une table et un parasol en bord de route, 20 000 F CFA (34 USD) – conduisant inéluctablement à refuser de nombreuses transactions – et avec un niveau de connaissance limité des aspects opérationnels clés de l’activité de finance digitale.

Il est intéressant de noter que les opérateurs béninois déclarent que leurs agences (agences MTN et Moov) représentent la grande majorité du volume de transactions effectué alors qu’elles sont en nombre très limitées par rapport aux points de vente. Cela témoigne de la préférence des clients à effectuer leurs transactions dans un environnement sécurisé et là où ils sont certains de trouver des agents disposant de liquidités – laissant la majorité du réseau avec un flux de clients faible et des profits minimes.  Dans le long terme, cette situation pourrait affecter les fournisseurs béninois : un client qui a connu une expérience négative auprès d’un agent est peu susceptible d’essayer et utiliser le service à nouveau. Ainsi, les fournisseurs doivent focaliser leurs efforts sur l’élaboration et la mise en place d’une approche structurée de sélection des agents, en cherchant la qualité plutôt que la quantité, autrement dit des agents dont le profil est adapté à leurs propositions de valeur.

Conseils pour les nouveaux entrants

Le paysage de la finance digitale au Bénin évolue avec de nouveaux acteurs se profilant à l’horizon : ASMAB est la première institution de microfinance à avoir obtenu sa licence d’Établissement Emetteur de Monnaie Electronique en 2013 au Bénin, et dans toute l’UEMOA. L’Institut Helix va continuer à suivre les développements du marché béninois, et nous espérons que les défis identifiés ici aideront l’ensemble des acteurs de ce marché à repenser leurs considérations stratégiques clés. Bien que les avantages concurrentiels et les défis rencontrés par les institutions financières varient par rapport aux opérateurs de téléphonie mobile, le principe de base est d’investir suffisamment de temps et d’efforts pour construire des fondations stratégiques solides pendant la première étape de lancement avant de se projeter dans une phase d’accélération des opérations.

Quels enjeux pour le modèle de réseau non-exclusif au Sénégal ?

Quels enjeux pour le modèle de réseau non-exclusif au Sénégal ?

Melissa Rousset et Sabine Some – Mensah, mai 2016

Warimako ! – expression wolof qui signifie « Envoie-moi de l’argent » en français – fait désormais partie du vocabulaire courant au Sénégal, symbolique d’un marché où dominent les transferts d’argent au guichet. Au niveau des points de vente au Sénégal, les agents non seulement distribuent les services de Wari, mais également ceux de Joni Joni, Orange et Tigo.. Des services concurrents proposés sur un réseau de distribution majoritairement non-exclusif (66% des agents sont non-exclusifs) démontrent la diversité des acteurs de ce marché en pleine expansion. Quels sont les facteurs clés de succès et les défis du modèle de réseau d’agents non-exclusif au Sénégal ?

L’étude « Accélérateur de Réseaux d’Agents » apporte des éléments de réponse à cette question sur la base d’une enquête menée auprès de 1200 agents au Sénégal. Cette étude a été conduite par l’Institut Helix de Finance Digitale entre novembre et décembre 2015, en partenariat avec le programme Mobile Money for the Poor MM4P de l’UNCDF.

La diversité des acteurs et des modèles d’affaires au Sénégal

Le marché sénégalais est divisé entre quatre fournisseurs majeurs, Wari se démarquant avec la présence de marché la plus significative (34% des points de vente du pays) sans pour autant jouir d’un monopole de marché. Joni Joni, prestataire tiers qui a lancé son offre en 2013, détient un quart des points de vente du pays (25%), suivi des deux opérateurs de téléphonie mobile, Orange (20%) et Tigo (11%). Les institutions financières sont pour le moment peu représentées dans le réseau d’agents, Microcred et Manko possédant 1% ou moins des points de vente. Cette tendance pourrait en revanche évoluer. Les institutions financières au Sénégal pourraient suivre l’exemple kenyan où les banques ont accru remarquablement leur présence de marché de 5% entre 2013 à 15% en 2014, notamment en proposant une offre de services complémentaire et non concurrente à la gamme de produits existante.

La diversité des acteurs observée sur le marché sénégalais est comparable au marché zambien, où s’affrontent cinq fournisseurs issus des secteurs bancaire, de la téléphonie mobile et des tiers-parties. En revanche, le Sénégal contraste avec les marchés d’Afrique de l’Est, où les études ANA menées au Kenya, Ouganda et Tanzanie révèlent une forte domination des opérateurs de téléphonie mobile. Ces derniers ont adopté une stratégie d’entrée agressive en s’appuyant sur leurs réseaux de distribution et leurs bases clientèle existantes, laissant peu de place pour les seconds entrants. Au Sénégal, les opérateurs de téléphonie mobile ont laissé la voie libre aux tiers-parties qui ont pris une longueur d’avance en termes de présence de marché.

Illustration 1. Présence de Marché des Fournisseurs de Services Financiers Digitaux

Le statut de non-exclusivité : un dopant pour le volume d’activité et la rentabilité des agents

Les agents sénégalais sont non-exclusifs et distribuent les services d’une médiane de trois fournisseurs. De fait, plus les agents servent de fournisseurs, plus ils sont performants (illustration 2). Au niveau du point de vente, les agents sénégalais effectuent un volume de transactions comparable aux marchés avancés d’Afrique de l’Est, avec une médiane de 35 transactions par jour, pour tous les fournisseurs confondus.

Illustration 2. Volume médian de transactions journalières en fonction du nombre de fournisseurs servis

En plus du nombre du nombre élevé de transactions qu’ils réalisent lorsqu’ils servent plusieurs fournisseurs, les agents génèrent également davantage de profits. Les agents non-exclusifs réalisent un profit médian de 146 US$ par mois contre 92 US$ (PPA) pour les agents exclusifs, et ceci parce qu’ils sont en mesure de cumuler davantage de revenus sans augmenter nécessairement leurs charges opérationnelles. Etant donné qu’ils sont majoritairement non-exclusifs, les agents sénégalais sont les plus rentables de tous les pays de la recherche Accélérateur de Réseaux d’Agents (illustration 3).

Illustration 3. Profit médian des pays de la recherche Accélérateur de Réseaux d’Agents

De manière intéressante, l’étude montre qu’à mesure que les agents accumulent d’années d’expérience, le plus ils servent de fournisseurs. Par conséquent, le volume d’activité et le profit généré par les points de vente est susceptible de continuer à s’accroitre dans le futur d’autant que la régulation de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) interdit désormais aux fournisseurs d’imposer le statut d’exclusivité aux agents.

Les enjeux du modèle de non-exclusivité pour les fournisseurs de services financiers digitaux 

Au Sénégal, les fournisseurs peuvent se réjouir d’appuyer leurs déploiements sur un réseau d’agents rentables et dynamiques. Pour autant, la compétition féroce engendrée par le partage des points de vente impose aux fournisseurs de conserver leur avantage concurrentiel.

La guerre des commissions : dans un marché non-exclusif dominé par les transactions au guichet, les agents sont prescripteurs des fournisseurs avec lesquels ils souhaitent effectuer les transactions. Ce pouvoir de décision suscite une pression à la hausse du niveau de rémunération des agents, chaque fournisseur cherchant à encourager son réseau à effectuer davantage de transactions en offrant des commissions attractives. Cette inflation du niveau des commissions comporte le désavantage d’accroitre constamment les attentes des agents sur leurs profits futurs. D’ailleurs, au Sénégal, seuls 39% des agents se disent assez ou très satisfaits du niveau de rémunération reçue – bien qu’ils soient les plus rentables parmi tous les pays de la recherche Accélérateur de Réseau d’Agents. Ce décalage représente un défi que les fournisseurs se doivent de résoudre.

L’impact sur les tarifs pour les clients : la hausse de la rémunération des agents conduit inéluctablement à réduire les marges des fournisseurs sur les transactions. Si la pression à la hausse des commissions se poursuit, il se pourrait que les clients en supportent  l’impact financier par une hausse des tarifs des services de dépôt et retrait. Dans un marché concurrentiel comme le Sénégal, les fournisseurs ont tout intérêt à limiter l’impact de la guerre des commissions sur les clients et ce qui pourrait s’avérer être un frein à l’adoption massive des services financiers digitaux dans le pays.

La qualité des dispositifs de suivi : en plus du niveau de rémunération de l’activité de finance digitale, la loyauté des agents pour l’un ou l’autre des fournisseurs servis dépend de la qualité de l’appui apporté par chacun d’entre eux. Au regard des résultats de l’étude, les fournisseurs n’ont pas encore réussi à assurer ce suivi de manière efficace : seulement un-tiers des agents sénégalais reçoivent des visites de suivi régulières. Cela signifie deux choses : premièrement, les fournisseurs ne sont pas en mesure d’établir une relation de confiance et fluide avec leur réseau de distribution ; et deuxièmement, les fournisseurs sont aveugles à bon nombre de défis opérationnels auxquels font face leurs agents, ainsi qu’à ce que fait la concurrence sur le terrain. L’amélioration des dispositifs de suivi permettra aux fournisseurs de conserver un avantage comparatif par rapport à leurs concurrents.

Et maintenant ?

Le réseau non-exclusif adopté au Sénégal a porté ses fruits : les agents sénégalais sont rentables et le volume d’activité des points de vente représentatif d’un marché compétitif dans lequel chaque fournisseur essaie de tirer son épingle du jeu. Face aux défis posés par la concurrence féroce au niveau des points de vente, les fournisseurs peuvent envisager les opportunités suivantes : 1. Déplacer la concurrence au niveau de l’offre de produits en développant une proposition de valeur qui réponde aux attentes des clients ; 2. Mutualiser les dispositifs d’appui aux agents afin de renforcer la qualité du suivi et focaliser leurs efforts sur le développement de produits et stratégies marketing.

Le second blog sur le marché de la finance digitale au Sénégal abordera les efforts d’innovation entrepris par certains fournisseurs pour favoriser l’usage de services financiers digitaux par les clients, et les leçons que le marché sénégalais peut tirer des actions entreprises par les acteurs des marchés d’Afrique de l’Est et d’Asie du Sud.

La fraude dans les services financiers mobiles

La fraude dans les services financiers mobiles 

MSC, Novembre 2012

Comme pour tout autre service financier, la mise en place de services financiers mobiles ne va pas sans risques ni difficultés. Ce rapport s’intéresse à la fraude dans la distribution des services financiers mobiles.

Pourquoi étudier la fraude dans les services financiers mobiles ?

  • L’étude de la fraude aide les prestataires de services financiers mobiles à anticiper le cycle de développement de la fraude, qui est étroitement lié au cycle de développement des services : on observe différents types de fraude aux différentes phases de développement des services. L’étude permettra aux parties prenantes de mieux comprendre la nature des interventions nécessaires pour lutter contre le risque de fraude.
  • L’étude devrait contribuer à réduire le coût de ces interventions en permettant aux nouveaux opérateurs de bénéficier des enseignements provenant d’opérateurs plus anciens et plus expérimentés. Il convient de noter que les premiers opérateurs de services financiers mobiles ont bénéficié des enseignements du secteur des services financiers, des paiements et des télécommunications, ce qui leur a permis de mieux gérer les risques initiaux.
  • Une meilleure connaissance de la fraude permet de mieux évaluer les investissements nécessaires pour y répondre. Ceux-ci comprennent les investissements en capital, le développement des plateformes, les ressources humaines et le renforcement des capacités. Ces coûts seront assumés par différentes parties prenantes, comprenant, entre autres, les régulateurs, les opérateurs, les agents et les agences de sécurité.

Résoudre le casse-tête de la gestion de la liquidité

Résoudre le casse-tête de la gestion de la liquidité

Nancy Kiarie, Ian Odongo et Vera Bersudskaya, mars 2018

La décennie écoulée a été marquée par une multiplication des services financiers digitaux à l’échelle de la planète. Les acteurs du secteur poursuivent différents objectifs, qui vont de l’inclusion financière des catégories de population peu ou non bancarisées à la réduction des coûts en passant par la diversification de leurs sources de revenus. Les réseaux d’agents sont devenus le circuit de distribution privilégié de ces services financiers, car ils constituent une alternative peu coûteuse à la création de points de vente en nom propre en utilisant les réseaux existants de banque à distance ou d’opérateurs de réseaux mobiles (ORM), ou une combinaison des deux.

Le principal défi pour la crédibilité et la viabilité des réseaux d’agents est de disposer d’une liquidité adéquate, à savoir des encours suffisants d’argent liquide (espèces) et de monnaie électronique pour réaliser les opérations des clients.

Malgré la complexité de cette tâche, les prestataires de services financiers digitaux, leur « master agents » et les agents ont mis au point des solutions innovantes pour faciliter la gestion de leur liquidité. Ce rapport s’appuie sur les résultats des enquêtes ANA réalisées au Pakistan, en Inde, en Indonésie, au Bangladesh, au Kenya, en Ouganda, en Tanzanie, en Zambie et au Sénégal au moyen d’outils quantitatifs et qualitatifs. Il explique en quoi consiste la gestion de la liquidité, ainsi que les conséquences d’une mauvaise gestion de la liquidité, et présente les modèles existants de gestion de la liquidité en précisant leurs points forts et leurs points faibles.