Quand l’épargne se digitalise pour offrir plus

Quand l’épargne se digitalise pour offrir plus

Parfait SEKA AHO, Octobre 2019

“Il faut que j’épargne 10 ans avant qu’on me donne un crédit, ce n’est pas bon, ce n’est pas pour des gens comme moi”.

Bakayoko, originaire du Nord de la Côte d’Ivoire, est venu s’installer à Abidjan il y a une dizaine d’années pour chercher du travail. Il a passé plusieurs tests pour être chauffeur et a aujourd’hui une place stable au sein d’une entreprise de taxis privés. Il aspire à acheter son propre véhicule afin de ne pas dépendre d’un patron qui lui reverse une petite partie des revenus liées à son activité de chauffeur. Pour réaliser son ambition, il doit réunir entre 2,5 et 3 millions de FCFA. Bakayoko a une forte discipline d’épargne, il se donne pour objectif de mettre au minimum 10 000 FCFA de côté par mois. Il considère que l’épargne est le meilleur outil pour maîtriser son avenir et atteindre ses objectifs. L’épargne en Côte d’Ivoire est perçue comme une pratique socialement valorisée et un vecteur d’autonomisation qui est influencé par le réseau social (famille et amis).

Le fait d’épargner pour Bakayoko, lui donne une autonomie et une liberté d’agir sans compter sur son entourage. Il espère maintenant obtenir un prêt auprès d’une institution de microfinance mais ne répond pas aux conditions minimales (garantie, épargne minimum etc.). Par ailleurs, il ambitionne d’envoyer ses enfants à l’université pour qu’ils aient des conditions de vie meilleures que la sienne. Il épargne donc en prévision des études de ses enfants même s’ils sont encore jeunes. Des épargnants comme Bakayoko sont nombreux mais ils ne trouvent pas des produits bien adaptés à leurs besoins.  Pourtant, avec le numérique, des solutions d’épargne, plus dynamiques, accessibles à tous, rentables ont vu le jour.

Les institutions financières ont vu naître avec le numérique, des produits financiers simples et pratiques. Épargner a donc évolué et les moyens pour épargner varient. En effet, des produits d’épargnes digitaux, flexibles, qui s’adaptent aux cibles et créent la rupture avec les produits d’épargnes traditionnels (livret A, DAT…) se développent sous différentes formes, mais sont encore peu connus  du marché. Ils offrent un meilleur suivi des placements et la possibilité de faire des transactions ( acquisitions, contrats d’assurance, etc.) avec des plateformes comme wesave ou yomoni qui proposent de l’épargne digitale. L’épargne digitale permet grâce à des algorithmes adaptés, un parfait référencement du site (SEO), de proposer en fonction des profils des internautes, une gamme de produits d’épargne. La banque mobile Chime permet ainsi à ses jeunes clients d’épargner automatiquement par arrondi à chaque achat. En mai dernier, l’entreprise californienne annonçait avoir déjà séduit un million d’utilisateurs. La startup Digit propose, quant à elle, « d’épargner de l’argent sans même y penser » en calculant le montant optimal à mettre de côté selon le rythme de vie de ses utilisateurs.

Qu’offre l’épargne digitale ? 

Globalement, toute structure autorisée à offrir de l’épargne, peut proposer l’épargne digitale. Les acteurs de l’épargne digitale sont généralement des banques en ligne (filiales de Groupe Bancaire internationaux) ou des plateformes indépendantes. SC Mobile, UBA, Banxybank confirme cette tendance en Afrique. Toutefois, les comportements des populations cibles imposent une adaptation. Selon l’étude de MicroSave Consulting (MSC)  en Côte d’Ivoire, plusieurs critères déterminants interviennent dans le choix d’un outil de gestion financière.

L’implication des cibles dans la conception est indispensable dans l’adoption d’un produit d’épargne digitale. Bakayoko aimerait ouvrir un compte dans une institution financière et épargner avec la promesse d’obtenir un prêt. Mais il ne le fait pas, car les conditions d’ouverture de compte et d’obtention de crédit, le découragent: garanties, justificatifs de revenus, dépôt minimum, transformation de l’épargne en crédit pas avantageux. Bakayoko aimerait ouvrir un compte dans une institution financière qui ne demande pas de dépôt minimum et accorde des microcrédits pour évaluer la capacité de remboursement de l’emprunteur. Bakayoko a une discipline d’épargne et des revenus stables lui permettant de rembourser un crédit. La mise en place d’une solution d’épargne digitale permettrait sur la base des opérations effectuées par Bakayoko, de lui attribuer une note qui permettrait ainsi d’évaluer ses capacités de remboursement.

Les contraintes réglementaires sont aussi à prendre en compte. Dans l’UEMOA, ces contraintes ont motivé des partenariats entre emetteurs de monnaie électronique(EME) et banques ou assurances pour offrir des produits d’épargne « digitale » comme « MOMO Kash » et « Blê Blê ».

Quels avantages offrent l’épargne digitale? 

L’épargne digitale propose différents produits simples et à forte valeur à un marché non restrictif. Piggou devenue Yeeld  sont des exemples d’innovation avec “la possibilité de constituer une épargne à partir des arrondis des paiements par carte”. Les sommes épargnées sur Yeeld pourront être transférées sur un wallet (portefeuille électronique) Amazon. Dans ce cas, l’utilisateur bénéficiera d’une augmentation de son pouvoir d’achat de 4%. La pertinence d’un tel service améliore l’image de l’institution et favorise l’adhésion clients.

Le vaste marché de l’épargne digitale, est opportun pour réduire la thésaurisation, l’exclusion financière, rendre les flux financiers formels et générer des revenus fiscaux additionnels pour une politique économique plus adaptée.

Quelles sont les conditions de succès au développement de l’épargne digitale ?

La baisse des coûts et l’extension des réseaux 3G et 4G, permet à des systèmes traditionnels comme les tontines de se numériser.  L’épargne digitale, en plus d’un cadre juridique qui protège les acteurs, a besoin: d’un service clients réactif, de systèmes inter-opérables, de plateformes sécurisées, d’une communication suffisante et ciblée (tenant compte du niveau d’alphabétisation) et de produits attractifs.

Les produits offerts ne doivent pas rester figés. C’est pourquoi il est important de comprendre les besoins et comportements des consommateurs dans un marché donné.  L’analyse comportementale permettra d’identifier les facteurs déterminants dans la décision d’épargne. Des solutions simples existent ou peuvent être conçues pour atteindre le marché immense, y compris des personnes peu lettrées ou même illettrées.

On peut développer l’épargne digitale, mais il faut d’abord comprendre le marché, et éviter de répliquer les offres. Le comportement des gens vis-à-vis de l’épargne est un résultat direct de la façon dont ils perçoivent les objectifs de leur vie et de la façon dont ils gèrent leurs revenus et leurs dépenses à travers une variété de mécanismes de mutualisation / régulation.  La compréhension d’une offre varie en fonction du besoin à satisfaire, c’est pourquoi il est indispensable dans sa conception, d’être centré clients et de les impliquer à chaque phase.

Les gens comme Bakayoko préfèrent, choisissent et utilisent des services financiers en fonction de leur disponibilité, leur réseau social, leur comportement, leur éducation financière et leur besoin. Pour avoir un effet transformateur, les clients potentiels des solutions d’épargne digitale ont également besoin d’une meilleure compréhension de la façon dont ils peuvent utiliser ces produits financiers pour leur propre bénéfice.

L’offre d’épargne digitale nécessite non seulement un bon produit et un canal de distribution excellent, mais aussi une bonne stratégie de marketing.

Offrir des services financiers digitaux qui ont du sens pour les utilisateurs : Étude des pratiques et instruments de gestion financière en Côte d’Ivoire

Offrir des services financiers digitaux qui ont du sens pour les utilisateurs : Étude des pratiques et instruments de gestion financière en Côte d’Ivoire

Mélissa Rousset et Nadine Zoro, mai 2017

Bien que le marché de la finance digitale soit en pleine croissance en Côte d’Ivoire, le taux d’activité des souscripteurs reste faible .
Les clients n’utilisent pas les services financiers digitaux parce que l’offre actuelle ne répond pas à leurs pratiques de gestion financière et leurs besoins.

L’étude porte sur l’une des causes identifiées du faible taux d’activité des utilisateurs des services financiers digitaux. Spécifiquement, elle propose de :

  • Comprendre les pratiques et outils de gestion financière de la population ivoirienne
  • Proposer des concepts de produits et services complémentaires aux stratégies financières existantes
  • Mettre à disposition des acteurs de l’écosystème de la finance digitale un processus pour la conception de produits orientés par le marché

 

Des compteurs intelligents pour améliorer l’alimentation en eau de l’Afrique rurale

Des compteurs intelligents pour améliorer l’alimentation en eau de l’Afrique rurale

George Muruka, mai 2018

À l’heure actuelle, près de 663 millions de personnes dans le monde n’ont pas accès à une eau potable propre et saine. Les services d’argent mobile ont ouvert de nouvelles frontières pour le développement et la promotion de services de base destinés au marché de masse. Le fonds d’innovation Mobile for Development – Utilities (« la téléphonie mobile au service du développement : services aux collectivités ») de la GSMA finance des projets pilotes pour tester des innovations susceptibles d’améliorer l’accès à l’eau et à l’énergie grâce à des systèmes de services prépayés (aussi appelés systèmes PAYG pour « pay-as-you-go » en anglais), qui prennent notamment la forme de compteurs intelligents (« smart meters » en anglais).

Les compteurs d’eau intelligents, également appelés « compteurs communicants » ou « compteurs multifonctions », permettent de mesurer la consommation, les fuites et la qualité de l’eau. Surtout, ils sont capables de transmettre des données vers un portail ou un appareil à distance pour d’autres analyses ou actions. Les compteurs d’eau intelligents utilisent des capteurs intégrés et des systèmes digitaux fondés sur « l’internet des objets ». Les entreprises technologiques s’appuient actuellement sur cet internet des objets pour développer et promouvoir les compteurs intelligents.

L’accès, la qualité et les moyens de paiement sont les trois grands obstacles qui limitent la distribution d’eau et d’autres services de base au sein des populations à faibles revenus. Une combinaison de compteurs intelligents et de systèmes de paiement plus pratiques permettrait de lever une partie de ces obstacles pour favoriser un accès universel aux services d’alimentation en eau au sein des ménages à faibles revenus.

Ces solutions créent de nouveaux services qui promettent une amélioration de l’accès à l’eau en Afrique. Leur développement contribuerait de manière significative à la réalisation de l’Objectif de développement durable no 6 des Nations Unies, qui vise à garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable d’ici à 2030.

La société britannique Eseye Engineering figure parmi les entreprises qui fabriquent des compteurs intelligents. Ces appareils sont équipés de capteurs qui autorisent de multiples fonctionnalités utilisant la téléphonie mobile. À l’heure actuelle, ces solutions sont surtout adoptées par les distributeurs d’eau. Leur taux de pénétration reste faible au niveau des ménages alors qu’elles pourraient transformer de manière significative l’accès aux services d’alimentation en eau.

L’Office des eaux de Lilongwe et la Compagnie des eaux de Nairobi ont testé des solutions eWaterPay, également appelées « distributeurs d’eau », à des points de vente d’eau potable. Les clients utilisent des cartes NFC (Near Field Contact : carte de paiement sans contact) prépayées pour acheter de l’eau. Ces installations permettent de réduire la distance que les gens doivent parcourir pour se procurer de l’eau et réduisent aussi les risques de contamination. Sachant que les compteurs permettent d’obtenir des relevés détaillés d’opération, de nombreux détaillants sont maintenant prêts à se lancer dans la distribution d’eau. L’augmentation du nombre de revendeurs d’eau permettra d’élargir l’accès de proximité à une eau de qualité. Le système de prépaiement permet en outre aux consommateurs de surveiller leurs dépenses d’approvisionnement en eau.

L’installation de ces compteurs à prépaiement au niveau des ménages ouvrirait un potentiel considérable de développement de l’alimentation en eau. Les ménages auraient la garantie de pouvoir accéder à une eau de qualité tandis que les distributeurs auraient la garantie d’être payés grâce au système PAYG. Les sociétés de services collectifs bénéficieraient également d’une garantie d’encaissement grâce aux services d’argent mobile et seraient par conséquent incitées à développer leur réseau et leurs infrastructures de distribution d’eau.

Cependant, l’adoption de ces technologies reste lente dans de nombreux pays africains. Le Kenya, la Tanzanie et le Ghana présentent par exemple des taux peu élevés de pénétration en raison de la faiblesse des investissements qui permettraient de faciliter des partenariats pour la diffusion de ces nouvelles technologies. Lors de la conférence Mobile 360 de la GSMA à Dar es Salam, des innovateurs ont fait état de besoins en capitaux de l’ordre de 500 000 à 2 millions d’US$ pour améliorer les solutions existantes sur la base des enseignements tirés des essais pilotes avant leur lancement à grande échelle. Ces besoins exigent des investisseurs privés. Les organismes de développement qui financent les essais de départ devraient par conséquent mettre en contact les innovateurs avec des investisseurs privés potentiels pour la phase de développement à grande échelle. Nous pensons par exemple que les sociétés de services aux collectivités pourraient être intéressées par des initiatives de cette nature.

Comme le note le programme eau & assainissement de la Banque mondiale pour l’Inde, les pratiques inadaptées de facturation et de recouvrement des sociétés de services aux collectivités ont d’énormes implications commerciales qui ont une incidence importante sur leur solvabilité et leur accès aux financements commerciaux. Un essai pilote de compteurs d’eau à prépaiement auprès de 200 ménages réalisé par Water Tek Africa sur une période de trois mois en Tanzanie a conduit à une amélioration de 30 % des recettes encaissées et à une réduction de 20 % des coûts d’exploitation de la société de distribution d’eau.

Enfin, les consommateurs ont besoin d’être accompagnés pour s’adapter aux nouvelles technologies. Quelques questions subsistent malgré tout : quel serait le coût d’installation de compteurs de cette nature au niveau des ménages ? Quel serait le service après-vente fourni par la société de distribution d’eau ?

En Tanzanie par exemple, le distributeur d’électricité TANESCO a mis en place des inspecteurs chargés de surveiller les compteurs prépayés pour vérifier leur bon fonctionnement et minimiser les pertes non techniques.

Un marketing social adéquat est également nécessaire pour susciter une demande suffisamment importante qui favorisera l’adoption des compteurs prépayés. Les travaux antérieurs de MicroSave Consulting (MSC) sur le soutien des consommateurs fournissent des informations utiles concernant la mise en place de solutions novatrices de cette nature pour améliorer l’accès et l’impact des services de distribution d’eau et d’assainissement.

Les interventions de développement ont permis de réaliser d’importants progrès en matière d’accès à l’eau. Des millions de personnes restent néanmoins privées d’accès à une eau potable propre et saine, principalement dans les pays en développement. Cette situation a pour conséquence une incidence élevée de maladies diarrhéiques qui sont souvent mortelles. L’adoption de systèmes PAYG permettrait de généraliser l’accès à l’eau courante au niveau des ménages grâce aux compteurs intelligents.

Les essais pilotes en cours laissent entrevoir un potentiel de changement considérable dans le secteur de la distribution d’eau grâce à l’adoption des compteurs intelligents, comme cela a déjà été le cas pour les secteurs de l’énergie et de la téléphonie mobile en Afrique de l’Est et au-delà. Ces systèmes permettent aux ménages de maîtriser leur consommation d’eau et de la payer plus facilement, tout en améliorant les recettes collectées par les sociétés de services aux collectivités, qui pourront ainsi investir dans leur réseau.

Accélérateur de réseaux d’agents : Rapport pays – Sénégal 2015

Accélérateur de réseaux d’agents : Rapport pays – Sénégal 2015

Le programme Accélérateur de réseaux d’agents (Agent Network Accelerator – ANA) identifie les facteurs responsables du succès ou de l’échec de réseaux d’agents à travers le monde. ANA utilise des enquêtes quantitatives à grande échelle qui mesurent la santé des réseaux d’agents dans les différents pays. Il évalue les réseaux d’agents pour des fournisseurs sélectionnés au niveau national et au niveau des fournisseurs.

La recherche effectuée dans le cadre du programme au Sénégal porte sur les facteurs opérationnels déterminants pour la bonne gestion d’un réseau d’agents, en particulier : la structure du réseau ; la qualité du service ; le contrôle et la conformité ; l’efficacité opérationnelle du réseau ; et la rentabilité de l’agent.

Pourquoi les fintechs s’intéressent-elles si peu au marché de masse ?

Pourquoi les fintechs s’intéressent-elles si peu au marché de masse ?

Mohit Saini, Charvi Gandotra et Graham Wright, août 2018

L’affirmation selon laquelle « les fintechs sont souvent inutiles pour les villageois parce que les prestataires ont fait peu d’efforts pour adapter les interfaces ou les cas d’utilisation au marché des personnes à faibles revenus », tirée de l’article Les fintechs peuvent-elles réellement tenir leur promesse d’inclusion financière ?, a suscité beaucoup d’étonnement et de protestations.

En date de rédaction, dans le monde entier, la grande majorité des prestataires du secteur des fintechs continuent de développer des solutions destinées aux classes moyennes ou aisées. C’est logique : ces segments ont l’argent (et la connectivité) qui leur permettent de s’en servir. De plus, les développeurs des fintechs sont généralement issus de ce milieu. Ils connaissent par conséquent les difficultés rencontrées par ces segments et les opportunités qui en découlent. En revanche, lorsque (et si) les fintechs s’intéressent aux segments à faibles revenus, elles ont tendance à inventer d’abord des solutions et à chercher ensuite les problèmes à résoudre au lieu d’étudier d’abord les besoins, aspirations, perceptions et comportements des segments défavorisés.

Cette vérité qui dérange n’est pas dénuée de fondement. En 2017, MicroSave Consulting (MSC) a réalisé pour le compte de la Fondation Metlife une étude auprès des fintechs et prestataires de services financiers de six marchés : Bangladesh, Chine, Malaisie, Myanmar, Népal et Vietnam. Cette étude avait pour objectif d’identifier les principaux obstacles à l’inclusion financière sur chacun de ces marchés et d’évaluer leur niveau de réceptivité à l’offre et à l’adoption des fintechs.

Elle réaffirmait ce que nous avions déjà constaté en Afrique : aussi enthousiastes qu’ils soient, les concepteurs d’application ont une « connaissance limitée du comportement de demande de la clientèle rurale », « manquent de ressources pour donner la priorité au développement commercial et créer des fonctionnalités propres à certains segments (PME, par exemple) » et sont freinés par le « coût du service aux clients à revenus faibles ou intermédiaires ». De plus, beaucoup d’entre eux sont handicapés par le constat décevant que, pour reprendre les termes d’un entrepreneur, « la plupart des laboratoires d’innovation sont de simples espaces de bureaux partagés améliorés » qui offrent peu ou pas de services de soutien, et encore moins d’accompagnement personnalisé.

Dans le cadre de notre étude de l’environnement des fintechs réalisée avec la Fondation JP Morgan Chase et CIIE, nous espérions qu’en Inde, la réalité serait différente. Mais nous aboutissons au même constat.

À la date de l’étude, il y avait plus de 1 500 fintechs dans le pays, un chiffre en croissance rapide. L’Inde compte plus de 350 investisseurs providentiels actifs et 170 sociétés de capital de risque dans l’ensemble du pays. Sans surprise, le marché des fintechs y est en plein essor, en termes à la fois de chiffres, d’opérations et de portée.

L’investissement dans le secteur des fintechs affiche lui aussi une forte croissance sur les dernières années, comme le montre le graphique ci-dessous.

Cependant, la plupart des fintechs s’adressent à la clientèle éduquée et aisée des grands centres urbains, ignorant plus de 80 % du marché potentiel des segments à revenus faibles ou intermédiaires (RFI). Les fintechs indiennes se concentrent généralement sur l’un ou l’autre des deux segments suivants :

  1. Génération du millénaire en quête d’indépendance financière :
  • Utilisateurs actifs de smartphones
    • Consommateurs de contenus internet à de multiples fins
    • Apprécient la technologie et préfèrent la facilité
    • Appartiennent le plus souvent au monde salarié
  1. Petits et micro- entrepreneurs :
  • Acceptent les paiements digitaux
    • Ont besoin de crédit abordable
    • Utilisent le smartphone pour communiquer et se distraire
    • Étudient la proposition de valeur des fintechs.

Pourtant, comme on peut le voir dans la pyramide démographique ci-dessous, ces deux segments ne représentent qu’une toute petite partie de la population totale.

 

Pourquoi les fintechs évitent-elles le marché RFI ?

Les fintechs se heurtent à cinq grands obstacles pour servir les segments RFI :

  1. Manque de connaissance et de compréhension du segment : il ressort clairement de nos analyses que les fintechs se heurtent à des barrières parce qu’elles connaissent mal le marché RFI et son potentiel de rentabilité. À une majorité écrasante (82 %), elles se situent dans trois grands centres urbains (Mumbai, Bangalore et Delhi) et ont peu de connaissance et de compréhension du marché RFI, voire d’empathie pour celui-ci.
  2. Le segment RFI est un segment difficile : il est indéniable qu’il n’est pas facile de s’attaquer au segment des revenus faibles et intermédiaires. Il est coûteux d’y acquérir des clients et encore plus de les servir. Comme nous l’avons noté dans plusieurs études, les clients RFI ont du mal à comprendre les services financiers digitaux et à leur faire confiance, notamment lorsque ceux-ci sont peu fiables et/ou ont des systèmes de traitement des réclamations inefficaces. Ce segment préfère l’argent liquide, ne serait-ce que parce que son utilisation est plus intuitive, notamment pour les personnes « orales », à savoir celles qui ne savent pas lire ou compter. Enfin, beaucoup d’entre eux, notamment les femmes, n’ont pas accès à un téléphone portable, sans même parler de smartphone, avec lequel ils pourraient faire des opérations. Selon des estimations eMarketer, 20,8 % seulement de la population indienne utilisait un smartphone en 2017. Le taux de pénétration des téléphones portables, quel qu’en soit le type (basique ou smartphone) était de seulement 57 %. Enfin, la plupart des entrepreneurs ne sont pas convaincus de la valeur à long terme (selon un horizon que les investisseurs fixent à deux ans au plus) offerte par les clients RFI. Ils s’inquiètent aussi de l’empreinte digitale limitée des clients RFI pour l’utilisation des algorithmes propres aux fintechs. Il existe en outre beaucoup d’autres opportunités pour les fintechs indiennes dans les grandes agglomérations du pays, pour lesquelles il est non seulement plus facile de réunir des capitaux, mais également d’obtenir la couverture médiatique qui permet de promouvoir les services.
  3. Manque d’intérêt des investisseurs à l’égard du segment RFI : les investisseurs se méfient eux aussi du segment RFI. Ils connaissent mal ce segment et ont une préférence marquée pour les modèles établis.Cet état de fait est exacerbé par la « crainte de passer à côté ». Par conséquent, lorsque que l’approche d’une fintech pour la résolution d’un problème spécifique (par exemple le crédit aux PME) semble fonctionner, les investisseurs se précipitent aussi rapidement que possible. Tant que les modèles n’auront pas fait leurs preuves, ils ne seront pas certains de la valeur du segment RFI, de son potentiel et de sa réceptivité. Surtout, il existe aussi un décalage en termes d’ampleur et de délai des retours sur investissement. Les investisseurs examinent la rentabilité unitaire et veulent des rendements plus rapides que ceux que le segment RFI est susceptible de produire. À mesure toutefois que les fintechs qui travaillent sur ce segment feront la preuve de leur valeur, les investisseurs augmenteront leurs investissements qui restent limités à l’heure actuelle.
  4. Manque d’accès aux investisseurs : comme on devrait peut-être s’y attendre, compte-tenu des normes sociales et éducatives du pays, très peu d’entrepreneurs du monde des fintechs sont issus du segment RFI. De plus, ceux qui en sont issus ont généralement une connaissance particulièrement limitée des possibilités d’investissement pour le financement de leurs idées et de leurs prototypes, d’une part parce qu’ils ne savent pas comment présenter leur projet à des investisseurs, et d’autre part, parce qu’ils n’ont pas accès à des investisseurs potentiels.
  5. Absence d’accompagnement (mentorat) suffisant ou adapté :en plus de leur manque de connaissance du segment RFI, les fintechs ont peu ou pas accès à des mentors et ne bénéficient pas d’un soutien suffisant ou adapté de la part des incubateurs et accélérateurs dans lesquels elles travaillent ou dont elles partagent simplement les locaux. En effet, une quinzaine tout au plus d’incubateurs parmi les 140 ou plus répertoriés en Inde s’adressent spécifiquement aux fintechs.

La plupart des incubateurs indiens ne sont pas spécialisés par secteur, et la quinzaine qui s’intéressent aux fintechs sont généralement gérés par des prestataires de services financiers existants qui ont leur propre agenda. Les incubateurs non spécialisés ont du mal à fournir les conseils spécialisés, l’accompagnement adéquat et les contacts avec des prestataires de services dont les fintechs auraient besoin. Les entrepreneurs se voient offrir à la place des services standardisés et génériques d’aide à la création et à la gestion des entreprises.

« Compte tenu de la taille du segment RFI, en fin de compte, toutes les fintechs devront y entrer. La question est de savoir quand et comment cela se fera. » (un investisseur)

Malgré ces obstacles, les fintechs peuvent répondre aux besoins du segment RFI. Nos études divisent ce segment en cinq personas distinctes, qui reflètent chacune un niveau différent de réceptivité et d’adoption des services digitaux (voir figure ci-dessous).

Une approche radicalement différente est nécessaire pour permettre aux fintechs de répondre véritablement aux besoins du segment RFI. Nous l’envisageons sous la forme d’un laboratoire de l’innovation capable d’éliminer les cinq obstacles présentés plus haut. En plus de s’adresser uniquement aux fintechs qui visent le segment RFI, il offrira également les services suivants :

  1. Assistance et opportunités permettant aux entrepreneurs de s’intéresser plus en profondeur à ce marché pour mieux comprendre ses besoins, ses aspirations, ses perceptions et ses comportements, et donc les problèmes pour lesquels des solutions pourraient être développées ;
  2. Soutien pour comprendre le cadre réglementaire et juridique complexe qui régit l’offre de services financiers et s’y conformer ;
  3. Niveau beaucoup plus élevé d’accompagnement spécifique par des experts ;
  4. Relations et alliances avec des prestataires de services financiers qui travaillent sur le marché RFI ;
  5. Mise en contact avec des investisseurs providentiels et des sociétés de capital-risque intéressés par ce marché.

Cliquez ici pour en savoir davantage sur le laboratoire de l’innovation.

Étude des fintechs pour concevoir un laboratoire de l’inclusion financière

Étude des fintechs pour concevoir un laboratoire de l’inclusion financière

 Anil GuptaCharvi GandotraMeenal MalikMohit Saini and Shweta Menon, août 2018

Ces dernières années, l’Inde a connu un développement rapide et à grande échelle d’outils technologiques qui offrent des services à l’ensemble de la population. La présente étude a été réalisée pour permettre aux parties prenantes intéressées par les services financiers fondés sur la technologie de mieux comprendre les besoins financiers des communautés défavorisées, leurs compétences technologiques et l’écosystème d’assistance aux fintechs en Inde. Cette démarche a pour but d’orienter des interventions visant à améliorer l’accès et l’usage de produits et services financiers adaptés afin de parvenir à une véritable inclusion des communautés défavorisées.

La plupart des fintechs visent une clientèle aisée qui a l’habitude de la technologie, ce qui laisse à l’écart plus de 80 % du marché RFI potentiel (320 millions de personnes). Bien que les segments RFI représentent un potentiel inexploité pour les différentes parties prenantes (fintechs, investisseurs, bailleurs de fonds et acteurs existants), il existe d’importants décalages entre fintechs et investisseurs et entre fintechs et acteurs existants.

MSC propose de mettre en place un « laboratoire de l’inclusion financière » pour apporter des conseils personnalisés, un soutien catalytique et des services sur mesure aux start-ups naissantes du secteur des fintechs en Inde.