Relever les défis liés au crédit digital compte tenu des vulnérabilités spécifiques aux segments de clientèle

Relever les défis liés au crédit digital compte tenu des vulnérabilités spécifiques aux segments de clientèle 

Olivia Obiero et Wanjiku Kiarie, septembre 2019

Stanley est un commerçant de 35 ans qui vend des chaussures d’occasion dans l’un des plus grands marchés de plein air de Nairobi. Il réalise suffisamment de bénéfices pendant les heures d’affluence qu’il réinvestit souvent dans son commerce. Parfois, en cas de baisse et d’irrégularité des profits, Stanley a besoin d’une ligne de crédit pour rester à flot. Il emprunte, en moyenne 300 USD par mois auprès des institutions de crédit digital pour reconstituer son stock. Il rembourse ses prêts à temps pour éviter une réduction de sa limite de prêt et un fichage négatif.

Stanley n’est que l’un des nombreux emprunteurs digitaux qui ont réussi à améliorer leurs moyens de subsistance grâce au crédit digital. Sept ans après l’émergence de ce genre de crédit, près de 6 millions de Kenyans ont soit utilisé le service ou continuent de l’utiliser. Cependant, la question demeure : le crédit digital est-il suffisamment répandu pour aider tous les Kenyans qui ont besoin d’un crédit instantané ? Pour répondre à cette question, nous avons interrogé un échantillon de 50 emprunteurs digitaux et utilisé notre approche « Market Insights for Innovation and Design (MI4ID) » afin de recueillir des informations sur l’utilisation du crédit digital, les comportements spécifiques à certains segments de clientèle, l’adéquation de la protection des clients et de la connaissance des produits.

Notre recherche a essentiellement porté sur les segments de clientèle négligés, comme l’indique le rapport Digital credit in Kenya: evidence from demand-side surveys. Dans le tableau 1, nous explorons certaines des caractéristiques et certains des défis de ces segments de clientèle qui ont donné lieu à des taux d’absorption allant de faibles à modérés. Ces segments de clientèle utilisent près de la moitié du montant total emprunté pour leurs besoins de consommation.

Pour que le crédit digital puisse être au service des couches marginalisées, il serait bon que les prêteurs envisagent quelques-unes des options énumérées ci-dessous :

Une conception appropriée du produit

Il est important d’adopter une approche centrée sur le client (voir figure 1) pour élaborer des produits de crédit digitaux utiles pour la majorité des couches sociales. Cela permettrait d’éviter davantage l’exclusion des couches telles que les paysans et les femmes micro entrepreneures. Notre approche MI4ID part du principe que l’élaboration de produits va au-delà du processus traditionnel. Cette approche intègre les principes de l’économie comportementale et de la conception centrée sur l’être humain. À MicroSave Consulting (MSC), nous pensons que l’élaboration de produits doit être un processus à deux volets : tout d’abord celui de la génération d’informations sur le marché, et ensuite celui de l’innovation et de la conception.

Les fournisseurs qui opèrent déjà à grande échelle devraient s’investir davantage dans une segmentation plus granulaire de la clientèle et adapter leurs produits et services de façon appropriée. Cependant, certains acteurs de niche tels que DigiFarm, Apollo Agriculture, et AfriKash, qui s’efforcent de réaliser cet objectif, méritent un meilleur appui.

Encadré 1 : Le cas de DigiFarm

En 2017, DigiFarm, une solution agricole élaborée par Safaricom, est entrée en partenariat avec FarmDrive pour élaborer et lancer un produit de prêt avec des conditions flexibles de remboursement allant de 30 à 120 jours.  En  date de mai 2019, DigiFarm avait déjà enregistré sur la plateforme plus d’1 million de petits fermiers qui ont accès au crédit digital et reçoivent des prêts en espèce.


Une utilisation de canaux digitaux économiques pour communiquer avec les couches vulnérables

En matière d’implication des clients, certaines couches sociales, telles que les populations rurales ne trouvent pas les réseaux sociaux très intuitifs, préférant une interaction humaine. Les fournisseurs devraient inclure au moins un canal qui offre un contact humain plus concret. Par exemple, un numéro de service client introduit un élément humain qui pourrait être utilisé pour le marketing et la collecte des remboursements de prêts.

Un marketing de produits servant d’outil d’éducation pour les emprunteurs digitaux

Comme le montre la figure ci-contre, presque tous les prêteurs digitaux envoient des messages de marketing émotionnels aux clients potentiels dans le but de les persuader de contracter des prêts.

Cependant le niveau de capacité financière de certaines couches de clientèle telles que les jeunes et les travailleurs occasionnels, est faible. Ils sont facilement influencés pour souscrire des prêts digitaux. Pour encourager l’usage responsable des prêts digitaux et la facilitation de taux de remboursement plus élevés, les fournisseurs peuvent introduire un contenu éducatif dans leurs stratégies de marketing.

 

Encadré 2 : le cas de Pezesha

Pezesha est une plateforme digitale entre pairs conçue à l’intention des emprunteurs à faible revenu au Kenya. Ses clients disposent d’un portefeuille de données leur permettant de créer et de stocker leur profil digital ; ils peuvent l’utiliser pour accéder au crédit auprès de prêteurs formels. La plateforme s’emploie également à l’éducation financière dans le but de promouvoir et d’encourager des pratiques financières responsables et l’usage du crédit parmi les emprunteurs digitaux. Grâce à sa solution, Patascore, la société propose des contenus d’éducation financière portant sur divers domaines, tels que l’épargne et les investissements, la gestion efficace de la dette, les moyens d’améliorer la cote de crédit, les centrales des risques et leur rôle. Lorsqu’un emprunteur se voit refuser un prêt, il reçoit des conseils sur la manière d’améliorer ses scores et de présenter une nouvelle demande à une date ultérieure.

En l’espace de sept ans seulement depuis l’avènement du crédit digital au Kenya, le secteur a démontré son énorme potentiel à servir les couches de clientèle marginalisées. L’élaboration de produits plus adaptés par les fournisseurs peut être le signe manifeste d’un formidable pas en avant vers l’inclusion financière de ces couches.

Pour lire notre rapport sur l’environnement du crédit digital au Kenya, cliquez ici. Ce rapport évalue les progrès et les difficultés du secteur et formule des recommandations pour une offre de crédit digital plus responsable. Il présente un rapport d’étude et une note de réflexion stratégique pour analyser l’évolution de l’écosystème du crédit digital au Kenya.

L’équilibre entre le biais cérébral gauche-droit dans les processus de la conception axée sur l’utilisateur

L’équilibre entre le biais cérébral gauche-droit dans les processus de la conception axée sur l’utilisateur

Premasis Mukherjee et Akhand Tiwari, décembre 2015

Le biais cérébral gauche-droit dans l’élaboration des produits

Les lobes gauche et droit de notre cerveau traitent différemment les informations. Le lobe droit traite les informations d’une manière intuitive, non-verbale et simultanée alors qu’il semble que le lobe gauche les traite de façon analytique, verbale et séquentielle. Ainsi, la créativité et les idées novatrices sont attribuées au lobe droit, tandis que le lobe gauche est considéré comme le centre du raisonnement logique et analytique. 

Sur le plan de la conception de produit la tendance des institutions et investisseurs est de se concentrer sur la logique commerciale et l’analyse des performances, alors que les chercheurs et les concepteurs pour leur part favorisent la créativité et l’innovation. Les partisans du lobe droit affirment qu’en donnant une trop grande primauté à l’angle commercial on limite les idées créatrices et révolutionnaires. Cependant force est de constater que de nombreux produits magnifiquement conçus deviennent rapidement des « produits orphelins » dans les établissements d’exécution puisque les chefs d’entreprise ne sont pas convaincus que les concepteurs ont suffisamment pris en compte leurs réalités commerciales. Souvent les enjeux de la conception des produits tournent autour du conflit entre ces biais du cerveau gauche et du cerveau droit. Une étude de marché et une conception centrée sur l’utilisateur perdent en partie leur pertinence lorsque d’excellentes idées de produits sont abandonnées par l’établissement. Nous attribuons cette défaillance au fait que personne ne s’intéresse vraiment au problème du biais gauche-droite. Dans ce blog, nous discutons de l’approche « Market Insights for Innovation and Design (MI4ID) » de MicroSave Consulting (MSC) de la distillation du concept et de la façon dont ce problème est abordé dans le processus de l’élaboration de produits.

Approche MI4ID 

Au cours de la dernière décennie MSC a élaboré plus de 200 produits financiers à travers le monde sur la base d’une recherche approfondie en ce qui concerne les besoins, les aspirations, les préférences et les comportements des clients. Le processus adopté par MSC pour l’élaboration de produits met autant l’accent sur l’innovation que sur les priorités stratégiques des organisations d’exécution. Nous considérons le processus d’élaboration de produits comme une démarche à deux volets : le volet recherche d’informations sur le marché suivi de celui d’innovation et de conception. Ces deux champs interdépendants présentent des caractéristiques uniques qui demandent une expertise spécifique. Tandis que les chercheurs et les économistes comportementaux peuvent avoir d’excellentes idées sur les types de comportement des utilisateurs potentiels, il est nécessaire d’avoir une certaine expertise en matière de réflexion créatrice pour transformer ces idées en concepts novateurs et uniques. Il est donc important de distiller davantage, par une analyse minutieuse  de la stratégie et des priorités commerciales de l’institution d’exécution, ces idées originales pour en tirer des concepts de produits adaptés aux besoins des entreprises. C’est là le nœud de tout processus d’élaboration de produits, où différents experts, économistes comportementaux, concepteurs et stratèges d’entreprise, réfléchissent ensemble pour produire des idées à la fois novatrices et économiquement judicieuses.  

De la génération à la distillation de concept

Les chercheurs en sciences du comportement utilisent souvent la cartographie comportementale pour produire des idées qui sont portées devant un atelier de génération de concept (également appelé atelier de « génération d’idées » ou de « brainstorming »). Avec des techniques de co-conception et de brainstorming participatives, le concepteur recueille les idées des participants pour produire un éventail de « solutions » qui répondent à ces idées comportementales. En d’autres termes, les participants génèrent des concepts ou des idées permettant de surmonter les goulots d’étranglement comportementaux qui entravent le comportement souhaité. L’atelier de distillation de concepts de MSC suit les étapes suivantes :

  1. La sélection d’un bon mélange de participants : contrairement à la pratique courante où on n’utilise que des concepteurs créateurs et des théoriciens du design en matière de conception, nous recommandons vivement pour l’atelier de génération de concepts un mélange de cadres supérieurs et intermédiaires, de chercheurs et de concepteurs. Non seulement cela favorise une réflexion stratégique, mais également crée un sentiment « d’appropriation » chez les cadres, et facilite l’adoption du produit par l’établissement.
  2. La génération d’idées neutres : pour éviter des préjugés commerciaux et sectoriels au cours de la génération d’idées, nous démarrons l’atelier par la neutralisation des informations issues du secteur en question. Par exemple, au lieu de demander aux participants de réfléchir sur une question du genre : « Comment pourrions-nous convaincre le réseau de distribution de  vendre de l’assurance ? » Nous disons plutôt : « Comment pouvons-nous aider et encourager un réseau à vendre des produits immatériels ? »
  3. La génération de concept : au cours de cette phase nous facilitons la proposition de plusieurs « idées » ou solutions en relation avec les informations recueillies sur le marché. A cette étape la créativité est d’une importance suprême et aucune idée n’est considérée comme mauvaise ou irréalisable. Toutes les idées (même les plus dérisoires) sont jugées comme des contributions valables.
  4. Le recensement des affinités : les idées générées à l’étape 3 sont ensuite classées dans des groupes étroitement apparentés. Le regroupement des idées, facilité par le coordinateur de l’atelier, ne suit aucun critère prédéfini. Une fois le recensement des affinités d’une idée (ou de la question : « comment pourrions-nous ») terminé, le coordinateur passe aux autres idées suivant le même processus. 
  5. La mise au point de l’optique stratégique : les activités, jusqu’à la dernière étape, sont essentiellement axées sur la prédominance du lobe droit à savoir la réflexion créatrice et intuitive autour de solutions uniques. Avant de procéder plus loin, nous introduisons à cette étape la logique du lobe gauche c’est-à-dire les priorités commerciales et les critères de performance. En général toute recherche commence par une analyse environnementale du contexte commercial de l’organisation. Les informations recueillies à cet égard sont principalement utilisées pour concevoir le plan de recherche à suivre pendant la collecte des informations sur le marché. Toutefois elles sont également utilisées par les participants pour se pencher sur les priorités stratégiques de l’établissement concerné. Les participants reçoivent un résumé d’informations sur trois aspects à savoir : l’analyse FFOM de l’organisation, la motivation des parties prenantes et la nature de la demande de la clientèle. Ces informations permettent aux participants de formuler des priorités et des orientations stratégiques en vue de l’élaboration du produit. Cet exercice permet de produire une liste sommaire des priorités de l’organisation, aussi appelée « perspective stratégique ». Il est important de noter que cette session sur la stratégie est animée par des experts de secteur de MSC et non par des chercheurs/concepteurs. Cette intervention unique permet aux concepteurs d’apprécier la logique commerciale et d’introduire le raisonnement du lobe gauche dans le processus de conception.
  6. Le choix des solutions : l’étape logique suivante consiste à choisir l’idée (idées) la plus séduisante et la plus réalisable pour la planche à dessin, où un prototype à basse fidélité sera esquissé. Munis de la perspective stratégique, les cadres-gestionnaires et les concepteurs choisissent ensemble des « idées » parmi celles qui figurent sur les listes d’affinité de l’étape 4, pour ainsi réduire la possibilité de tout reprendre ultérieurement en cas de conflit entre les « idées novatrices » et les priorités commerciales. L’astuce, dans tous les cas, se trouve dans la gestion du processus. La distillation de concept doit donner lieu à de nombreuses idées novatrices et révolutionnaires tout en éliminant des idées qui sont stratégiquement irréalisables. 
  7. Les 8 P : les idées choisies pendant l’étape précédente sont ensuite classées dans un diagramme de marketing « 8P ».1 Les participants répartissent les solutions choisies dans les P appropriés du diagramme plutôt que de les mettre dans un même panier. Le diagramme final 8P donne le prototype d’un produit exhaustif et holistique prêt à être testé.

Conclusion

Le succès de tout produit dépend en fin de compte du fait qu’il soit préféré, choisi et utilisé par les clients. Par conséquent le premier élément essentiel de la conception d’un produit est de comprendre le mode de vie et la psychologie des clients. Cela dit, force est de constater que souvent les chercheurs et concepteurs ignorent le deuxième élément qui est l’adhésion de l’entreprise et la faisabilité stratégique des idées créatrices. Pour optimiser la conception d’un produit, le processus doit donc faire l’équilibre entre la logique des lobes droit et gauche du cerveau.   

1 Les 8P du marketing : Produit, Prix, Place, Promotion, Population, Processus, Preuve matérielle et Positionnement

Les femmes ont-elles pris le train du crédit digital ? Enseignements du Kenya

Les femmes ont-elles pris le train du crédit digital ? Enseignements du Kenya

Rahul Chatterjee, M. P. Karthick et Anup Singh, Septembre 2019

Sept ans après le lancement du crédit digital au Kenya, les femmes sont toujours largement sous-représentées parmi les emprunteurs. Pourtant, elles offrent un immense potentiel pour les fournisseurs, pour peu qu’ils pratiquent un ciblage adapté. Comme dans de nombreux marchés en développement, la participation économique des femmes au Kenya est largement concentrée dans le secteur informel, où elles dirigent des petites entreprises ou travaillent dans de petites exploitations agricoles ou comme ouvrières, entre autres. L’avatar digital du crédit est particulièrement adapté à ce segment, car il permet de répondre à certains des plus grands défis auxquels font face les femmes entrepreneurs.

L’accès au crédit est un outil important, car lorsqu’elles sont économiquement autonomes, les femmes sont mieux armées pour atteindre leurs objectifs. Elles sont en mesure de subvenir aux besoins de leur famille, d’apporter leur contribution à la société et de promouvoir leurs droits. La nature instantanée de l’accès au crédit digital, l’absence de garantie et de complications administratives en font un outil efficace pour les femmes qui veulent gérer les urgences financières ou lisser leurs revenus. Le crédit digital peut également jouer un rôle direct dans la promotion de l’émancipation économique des femmes et dans la réalisation de l’Objectif de développement durable n°5 sur l’égalité entre les sexes.

Dans un contexte où l’accès à la téléphonie mobile est en augmentation rapide, les opportunités offertes par le crédit digital sont enthousiasmantes. À l’heure actuelle, les femmes kényanes ne représentent que 37 % des utilisateurs du crédit digital, soit un écart entre les sexes de 26 % . La participation des femmes au marché du crédit digital est encore plus faible si l’on considère les volumes de prêts – les femmes n’empruntent que 31 % de la valeur totale des crédits digitaux. Il y a donc là une opportunité de taille pour les acteurs du crédit digital qui souhaitent élargir leur clientèle. Les efforts en faveur de l’inclusion des femmes sont cependant insuffisants.

L’étude récente de MSC[1] intitulée « Pour un crédit digital réellement responsable » met en avant trois enseignements qui devraient contribuer à rendre le crédit digital plus inclusif vis-à-vis des femmes au Kenya.

  1. Les faits montrent que les femmes sont des emprunteuses plus fiables et plus fidèles et qu’elles représentent donc un potentiel commercial pour les fournisseurs.

Notre étude révèle des traits comportementaux intéressants chez les femmes emprunteuses :

a) En moyenne, les femmes sont moins susceptibles d’avoir un rapport de solvabilité négatif que les hommes (voir figure 1). Les femmes sont plus préoccupées par les défauts de remboursement et leurs conséquences. En outre, elles sont généralement moins enclines à prendre des risques. Toutes ces raisons les poussent probablement à prendre des mesures de prudence pour rembourser leurs crédits dans les délais.

b) Elles sont plus fidèles à une marque spécifique et préfèrent s’en tenir à un seul fournisseur plutôt que d’en expérimenter plusieurs.[2]

Les hommes ont tendance à expérimenter plusieurs fournisseurs de crédit digital tandis que les femmes s’en tiennent à leur fournisseur préféré. Cette tendance à la loyauté peut être exploitée dans le cadre d’une relation commerciale prolongée. Parmi les femmes qui détiennent plusieurs crédits digitaux, 41 % conservent le même fournisseur, contre 26 % des hommes.

Le potentiel commercial inexploité des femmes, leur plus faible propension aux impayés et leur plus grande fidélité sont autant d’arguments qui devraient inciter les fournisseurs à augmenter le nombre de femmes parmi leurs clients. La diversité des motifs qui poussent les femmes à contracter des crédits digitaux témoigne de l’hétérogénéité de ce segment. Les fournisseurs peuvent s’en saisir et construire une stratégie ciblée. Celle-ci peut inclure, entre autres, la conception de produits spécifiques et d’interfaces numériques intuitives et conviviales pour les femmes, ainsi qu’une communication spécifique au segment féminin. Pour les fournisseurs qui opèrent déjà à grande échelle, offrir des services différenciés aux femmes constitue une excellente opportunité. Les acteurs de niche qui se sont engagés dans cette voie méritent également un plus grand soutien de la part des investisseurs et des régulateurs.

  1. L’organisation de campagnes de communication digitales économiques et efficaces, à visage humain, est la clé pour attirer plus de femmes.

L’étude portant sur la demande de crédit digital (Digital Credit in Kenya: Evidence from demand-side surveys) montre que les femmes sont 35 % plus susceptibles que les hommes d’invoquer la peur comme raison de ne pas emprunter. Des campagnes de communication digitales périodiques permettent aux femmes d’être mieux informées et peuvent contribuer à réduire cette crainte. Les campagnes de communication menées sur le terrain par l’intermédiaire d’influenceurs et de leaders d’opinion sont importantes pour développer une base fidèle de clientes qui vont privilégier, choisir et utiliser le crédit digital.

Les femmes sont généralement plus prudentes lorsqu’il s’agit d’adopter une technologie. Pour les femmes à faibles revenus, la validation sociale est un facteur déterminant pour l’adoption et l’utilisation du crédit digital. Par conséquent, des mesures incitatives qui concordent avec les recommandations des pairs peuvent être un moyen efficace pour les fournisseurs de récompenser les femmes qui aident d’autres femmes à adhérer au service.

  1. Mettre en place un système solide de traitement des réclamations à plus fort contenu humain aidera les fournisseurs à mieux servir leurs clientes.

Les mécanismes actuels de traitement des réclamations reposent en grande partie sur l’utilisation de SMS, de centres d’appels et de courriels. Ces mécanismes impliquent peu ou pas d’interaction humaine et sont la plupart du temps inutilisés par les clients. Nos recherches montrent la nécessité d’instaurer différents niveaux d’interaction réelle en fonction du segment de clientèle. Les clientes à qui les prêts digitaux inspirent de la crainte et qui sont très prudentes préfèrent les canaux de communication à forte interaction humaine, en particulier lorsqu’elles essaient un nouveau produit ou cherchent à résoudre un différend. Pour gagner la confiance des clientes et mieux les servir, il est essentiel d’ajouter un visage humain proactif au traitement des réclamations afin d’offrir des solutions rapides et pratiques aux problèmes auxquels elles sont confrontées.

Des études ont mis en évidence l’importance du crédit digital pour aider les ménages à faire face à leurs dépenses. La différence d’impact entre les hommes et les femmes n’est pas clairement établie en raison de chocs négatifs mais, même en l’absence de données probantes, les faits observés jusqu’ici sont suffisants pour nous engager à approfondir les recherches. Le potentiel de rentabilité est évident et les fournisseurs ne devraient pas hésiter, car ceux qui seront les premiers à exploiter ce potentiel en tireront probablement des bénéfices importants.

 

[1] « Pour un crédit digital réellement responsable », étude menée avec le soutien de la SPTF et de la Smart Campaign (Accion).

* Estimation basée sur la population, le groupe d’âge cible, la disponibilité des téléphones mobiles, le nombre de prêts digitaux par an et la valeur moyenne de chaque prêt.

[2] Recherche et analyse de la demande par MSC

Peut-on être optimiste sur l’avenir du secteur du crédit digital au Kenya ?

Peut-on être optimiste sur l’avenir du secteur du crédit digital au Kenya ?

Wanjiku Kiarie et Olivia Obiero, septembre 2019

« Venez résoudre vos problèmes de crédit M-Shwari, Branch et Tala », peut-on lire sur l’annonce d’un médecin local. Aujourd’hui, de telles publicités sont courantes dans le centre-ville de Nairobi. Si l’incrédulité prédomine chez la plupart des Kenyans face à de tels « remèdes miracles », la prévalence de telles annonces illustre les difficultés réelles auxquelles sont toujours confrontés les emprunteurs digitaux au Kenya. Un emprunteur digital kenyan typique jongle avec trois crédits et peine à rembourser dans les délais impartis malgré leur faible montant.

Au Kenya, 2,2 millions de personnes sont en situation d’impayés pour des crédits digitaux contractés entre 2016 et 2018. Environ la moitié (49 %) des emprunteurs digitaux en situation d’impayés ont un encours de crédit inférieur à 10 USD[1]. La question du surendettement a trouvé un écho important dans les médias, qui ont fait paraître un certain nombre d’articles mettant en lumière les tendances et statistiques inquiétantes du secteur.

Un constat qui amène à se poser la question suivante : l’évolution des produits de crédit digital et la croissance du secteur au cours des sept dernières années ont-elles eu des résultats positifs ? Dans une étude récemment publiée sur le marché du crédit digital au Kenya, MSC a analysé les données relatives à l’offre entre 2016 et 2018. Les résultats de l’étude indiquent des signes positifs et encourageants pour le secteur, que nous proposons d’examiner plus en détail dans cet article.

Quelles sont les bonnes nouvelles ?

  1. Le crédit digital a élargi l’accès au crédit, en particulier parmi ceux qui en étaient auparavant exclus

Le secteur du crédit digital a connu une croissance significative. Notre analyse montre qu’au cours des trois dernières années, le nombre de prêts digitaux décaissés a pratiquement doublé1. Au cours de la même période, la plupart des prêts (91 %) étaient octroyés par voie digitale (voir figure 1). Cette croissance a eu pour conséquence clé une augmentation de l’inclusion financière. La dernière enquête FinAccess auprès des ménages en témoigne : l’inclusion financière au Kenya est passée de 75 % en 2013 à 89 % en 2019. Cette augmentation a été largement stimulée par l’omniprésence des services financiers mobiles dans le pays.

  1. Les données montrent une amélioration de la qualité des prêts

Près d’un quart des prêts digitaux accordés en 2016 étaient non productifs. Ce chiffre est tombé à 9 % pour les prêts émis en 2018[2], ce qui représente une diminution de 15 % des prêts non productifs en pourcentage du total des prêts digitaux. En particulier, les prêteurs associés à des ORM ont réussi à améliorer la qualité de leurs prêts par rapport aux fintechs et aux banques (voir figure 2). C’est en effet remarquable.

 

 

 

Analyse plus approfondie des décaissements et de la qualité des prêts

Tous les fournisseurs ont généralement augmenté leurs volumes de prêts entre 2016 et 2018. Avec une augmentation du portefeuille, on pouvait s’attendre à une augmentation des PNP. Toutefois, les principaux fournisseurs associés à des ORM ont réussi à augmenter à la fois la quantité et la qualité des prêts, comme le montrent les données de 2018 (voir figure 3).

Nous voyons à cela un certain nombre de raisons. Tout d’abord, ces fournisseurs ont bénéficié de l’avantage de leur position de précurseur, qui leur a permis d’obtenir des données clients solides – à la fois à partir de l’historique des transactions mobiles et d’un historique de crédit digital plus long pour étayer leur évaluation de crédit. Safaricom en particulier dispose des données de millions de clients fidèles qui utilisent sa large gamme de services. Deuxièmement, leur position de premier arrivé leur a également donné du temps pour l’amélioration continue de leurs algorithmes d’évaluation de crédit. Depuis, Safaricom a commencé à vendre la notation de crédit de ses clients à d’autres fournisseurs du marché. Il conserve toutefois la prérogative de décider quels fournisseurs peuvent accéder à ces données.

Qu’est-ce qui peut contribuer à améliorer le taux de remboursement ?

Une meilleure sensibilisation aux conséquences du défaut de remboursement d’un crédit

Les entretiens qualitatifs que nous avons menés auprès de 50 emprunteurs digitaux ont montré que les emprunteurs sont de plus en plus conscients de l’impact du défaut de remboursement d’un crédit digital. Ils savent que cela peut donner lieu à un rapport négatif par une centrale des risques, avec pour effet de faire baisser leur notation de crédit et de limiter leur accès au crédit formel. Par ailleurs, la plupart des clients sont disposés à rembourser leurs prêts dans les délais impartis, soit par tempérament, soit parce qu’ils ont besoin de conserver leur accès au crédit et d’accroître le montant maximum auquel ils peuvent prétendre.

Une amélioration de la notation de crédit

Nos échanges avec les prêteurs ont révélé que leur algorithme d’évaluation des demandes de prêt s’était amélioré avec le temps. La précision de la notation de crédit continue de s’améliorer avec l’utilisation. Les prêteurs ont adopté une approche par « essai-erreur » qui consiste à utiliser les premières phases du produit pour connaître les comportements financiers de leurs clients, en matière d’épargne, d’emprunt, de remboursement et d’impayés. Les données améliorent la précision de l’analyse prédictive grâce à l’apprentissage automatique. Par exemple, M-Shwari a effectué un test pilote de son produit pendant 18 mois – un délai suffisant pour recueillir des données permettant de prévoir le rendement des futurs emprunteurs.

Maintenant que les acteurs du secteur ont gagné en expérience et affichent des tendances positives, que reste-t-il à entreprendre ?

  • Une meilleure adaptation des produits aux clients. Quasiment tous les produits, quel que soit le fournisseur, ont des caractéristiques similaires. Leur durée est généralement d’un mois et le taux d’intérêt mensuel de 7,5 % environ. Les besoins des clients sont pourtant diversifiés et nécessitent des produits différenciés. Une poignée de prêteurs s’est concentrée sur les segments mal servis. FarmDrive est un exemple de fintech qui prête aux petits agriculteurs des produits conçus spécialement pour ce segment de marché. Autre exemple, AfriKash est un produit qui s’adresse aux commerçantes du secteur informel et offre une souplesse de remboursement qui récompense les remboursements rapides.
  • Une meilleure réglementation du secteur. L’architecture réglementaire qui régit le crédit digital nécessite un effort coordonné de réforme. Dans l’ensemble, on peut considérer que le secteur est réglementé, dans la mesure où les prêteurs associés à des ORM et les banques, qui détiennent la plus grande part du marché, sont pleinement réglementés. En revanche, les fintechs restent largement sous-réglementées. Elles ont récemment formé leur propre association, l’Association des prêteurs digitaux du Kenya (Digital Lenders Association of Kenya, ou DLAS) qui compte 10 membres. La DLAS vise à renforcer le secteur en encourageant les bonnes pratiques et la protection des consommateurs. L’introduction de projets de loi sur la protection des données en juillet 2018 et la réforme des modèles de déclaration des données de crédit vont dans la bonne direction. Cependant, on peut faire beaucoup plus.

 

[1] Analyse par MSC des données de l’offre de 2016 à 1018

[2] Ce chiffre reflète la performance des prêts telle qu’elle ressort des données relatives à l’offre à la fin de la période 2018. Il est passé à 11,75 % en août 2019.

Pour un crédit digital réellement responsable – Résultats de l’analyse du crédit digital au Kenya

Pour un crédit digital réellement responsable – Résultats de l’analyse du crédit digital au Kenya

 Isvary SivalingamOlivia ObieroEvelyne MatibeRahul ChatterjeeKarthick MorchanAnup Singh et Leonard Kambona, septembre 2019

Les clients apprécient la rapidité et la facilité d’accès au crédit digital, mais des problèmes fondamentaux subsistent, dont notamment :

  • Une surveillance règlementaire insuffisante
  • Un niveau élevé d’impayés accompagné du fichage négatif de clients en défaut de paiement
  • Des taux d’intérêt élevés
  • Un manque de mécanismes permettant de comprendre les besoins des clients et/ou créer des produits adapté, ce qui fait peser un risque d’exclusion financière
  • Des pratiques inadaptées en matière de protection des clients
  • Une confusion ou insatisfaction dans l’expérience client en raison d’une approche « low touch » (niveau réduit de contact humain)

Compte tenu de l’évolution rapide de l’environnement du crédit digital au Kenya, ce rapport évalue les progrès et les difficultés du secteur et formule des recommandations pour une offre de crédit digital plus responsable.

Il s’efforce de répondre aux trois questions clés ci-dessous au moyen d’études extérieures, d’entretiens avec des parties prenantes et d’analyses quantitatives :

  1. En quoi consiste le crédit digital au Kenya ?
  2. Quelle a été l’évolution de l’environnement de l’offre et quels sont les principaux défis ?
  3. Qui sont les utilisateurs du crédit digital au Kenya et quelle a été leur expérience des produits ?

 

Rendre les services financiers digitaux pertinents – 3ème partie

Rendre les services financiers digitaux pertinents – 3ème partie

Anil Gupta, Ignacio Mas et Anupam Varghese, octobre 2015

Quelques idées et principes de conception pour rendre les services financiers digitaux pertinents

L’adoption de la technologie et des outils digitaux s’accroît de manière exponentielle à travers le monde. En Inde comme ailleurs, les progrès réalisés grâce à la technologie, tels que les smartphones, l’adoption des médias sociaux et l’utilisation des données pénètrent de plus en plus le marché de masse. Ce phénomène est accentué par la baisse constante des coûts des smartphones et des prix des services de données. Compte tenu de l’infrastructure bancaire limitée dont disposent les pays en développement, l’adoption du digital offre d’énormes possibilités d’améliorer l’accès financier pour le marché de masse.

A notre avis, l’augmentation de la pénétration des smartphones va changer la donne dans le domaine de l’inclusion financière. Les smartphones offrent des interfaces flexibles et conviviales avec des icônes graphiques, des écrans tactiles et des touches programmables qui facilitent une utilisation intuitive. Ils offrent également une extensibilité par NFC/Bluetooth pour relier les smartphones aux scanners, imprimantes, lecteurs de cartes, points de vente, etc. ainsi qu’un faible coût de communication supplémentaire grâce aux plans de données. Pour les fournisseurs de services financiers digitaux, il offre la possibilité d’être indépendants des organisations de télécommunications ainsi que des moyens plus efficaces de saisie des données, permettant ainsi des interactions plus riches et plus fréquentes avec les clients.

Il y a des leçons à tirer du monde digital et de l’explosion des tendances plus étendues de l’Internet qui, à notre avis, s’appliquent aussi largement au secteur des services financiers.

  • Le marché digital et les applications d’appariement se substituent de plus en plus aux intermédiaires (Uber). Par exemple, les institutions financières peuvent aller au-delà de la promotion de leurs propres produits et services et s’orienter vers des marchés digitaux où les produits et services d’une variété de fournisseurs sont disponibles et où les transactions entre pairs sont facilitées.
  •  Les réseaux sociaux sont de plus en plus numérisés et les fournisseurs commencent à les exploiter pour promouvoir l’adoption et l’utilisation de leurs produits et services. Par exemple, les réseaux sociaux pourraient servir à faire comprendre les capacités financières d’une personne et pour obtenir les garanties sociales d’accès au crédit.
  • Grâce au contenu généré par les utilisateurs, l’interactivité des gens avec les produits et services qu’ils utilisent (le « liking » par exemple) s’accroît. Les gens ont besoin de produits et de services qu’ils peuvent adapter à leurs propres besoins en fonction de leur contexte.

Bien qu’il puisse y avoir une occasion importante de tirer parti de ces nouveaux développements pour atteindre l’objectif d’accroître l’accès financier, peu de fournisseurs de services ont encore commencé à explorer cette voie. La plupart des fournisseurs se sont surtout préoccupés de la mise au point de solutions à portée de main (par exemple, les envois de fonds nationaux, les paiements de factures, les achats en ligne) qui visent principalement les clients à revenu moyen et supérieur.  Les fournisseurs se sont concentrés sur des produits phares spécifiques tels que les envois de fonds nationaux ou les recharges de temps d’antenne qui ne sont pas nécessairement essentiels ou suffisamment transformateurs dans la vie financière quotidienne des gens.

Aucun des émetteurs de portefeuilles actuels n’a encore mis au point de solutions qui séduisent le marché de masse. Les comptes de mobile money en Inde en sont un bon exemple. Selon les estimations du rapport d’Intermedia sur l’inclusion financière en Inde daté de juillet 2015,  seulement 0,2% des Indiens utilisent un compte de mobile money. Et ce, malgré les efforts considérables de marketing et de promotion déployés par les fournisseurs.

Principes clés à suivre lors de l’approvisionnement du marché de masse

Les gens pensent à l’argent d’une manière instinctive, basée sur des histoires, et font des transactions dans le monde physique en utilisant principalement des systèmes informels. L’inclusion financière implique normalement un double virage – un virage vers une façon plus délibérée et quantifiable de penser à l’argent et vers l’exécution de transactions par des canaux digitaux utilisant des mécanismes formels.

Trop souvent, l’approche consiste à chercher à mobiliser les gens sur les deux fronts et en même temps – à chercher à ajuster leurs modèles mentaux qui guident leur façon de penser à l’argent et à influencer les outils qu’ils utilisent en fournissant un accès direct aux canaux digitaux et aux systèmes officiels. Or, les fournisseurs cherchent d’abord à provoquer un changement de comportement par le biais de campagnes d’éducation financière, avec l’espoir que cela favorisera l’adoption de services formels et de canaux digitaux. Cependant, enseigner aux gens à faire quelque chose de nouveau, surtout lorsqu’ils ne sont pas bien éduqués et sont difficiles à atteindre n’est pas toujours faisable ou idéal. Une meilleure approche pourrait consister à appuyer les comportements et pratiques actuels et de laisser le nouvel outil les amener à adopter de nouveaux comportements et pratiques.

Une autre approche intéressante consiste à laisser les gens maintenir leur comportement et leurs pratiques et à leur permettre d’appliquer leurs modèles mentaux de façon digitale. Différents aspects à ce sujet ont été abordés dans les Parties 1 et 2 de nos blogs précédents de cette série. L’accent n’est pas mis sur l’éducation de la clientèle. L’intuition et la perspective du client seront des tremplins vers l’inclusion financière.

Des changements clés s’imposent dans la façon dont nous envisageons l’accès aux services financiers.

  • Intuitif, pas simple : Les prestataires ne devraient pas se lancer dans des activités simples. L’objectif devrait être de faire des choses intuitives et de tenir compte de la façon dont les gens pensent déjà à l’argent.
  • Pas de positions morales : Il ne devrait y avoir aucune position morale sur la question de savoir si les gens devraient épargner ou non ou combien ils devraient épargner. L’objectif n’est pas d’aider les gens à épargner, mais de les aider à être plus réfléchis sur la façon de se préparer aux paiements et aux achats futurs. Dans l’esprit des pauvres, l’épargne représente souvent de l’argent dont on ne parle pas et qui risque donc d’être dépensé. Les aider à effectuer des achats ou des paiements futurs s’inscrit beaucoup mieux dans leur processus de réflexion que les aider à épargner.
  • Gérer l’insuffisance d’argent, pas l’argent : L’objectif ne devrait pas être d’aider les gens à gérer l’argent qu’ils ont déjà. L’objectif devrait être de les aider à gérer l’insuffisance de  revenus.
  • Organiser l’argent, pas établir le budget : Les groupes à faible revenu n’assimilent pas bien les notions de budgets et d’objectifs  puisqu’un budget présuppose des revenus réguliers qui n’existent pas sur le marché de masse. Les classifications doivent être plus floues pour que les gens puissent s’y identifier.
  •  Prise en charge de cycles de transaction complets : L’objectif devrait être de pouvoir soutenir des cycles de transaction complets plutôt que de faciliter l’action et les points de vue instantanés.  Il s’agit, par exemple, d’offrir à l’individu des outils qui peuvent l’aider à accumuler des soldes pour payer les frais de scolarité, et pas seulement le paiement des frais de scolarité. L’accent n’est pas mis sur les paiements électroniques (par exemple, les envois de fonds, les paiements de factures), mais sur la monnaie électronique et le fait de  fournir aux gens les moyens de la gérer.
  •  Des outils de marketing, pas des produits : L’objectif n’est pas de fournir des produits digitaux, mais d’aider à fournir aux pauvres des outils qu’ils peuvent utiliser eux-mêmes pour mieux gérer leur argent. Les outils doivent avoir un nombre minimum de fonctionnalités et faciliter le plus grand nombre de cas d’utilisation. L’accent est mis sur la co-création de cas d’utilisation.
  • Un continuum entre les services financiers informels et formels : Les outils devraient servir de passerelle entre les pratiques informelles qu’ils utilisent déjà et les services financiers formels. L’objectif devrait être d’améliorer l’expérience des pratiques actuelles et de ne pas abandonner ce que les gens font déjà.

Les fournisseurs devraient s’efforcer de soutenir la façon dont les gens gèrent l’argent dans leur vie quotidienne afin de faciliter la gestion de l’argent par la technologie digitale. Ils devraient envisager de mettre au point des outils qui aideront les gens à organiser leur argent à leur façon, ce qui peut ne pas être digital, concret ou complet. Toutefois, une personne qui utilise ces outils devrait être en mesure de reproduire sur une plateforme digitale les façons dont il conçoit l’argent. Les outils devraient donner un sentiment de contrôle aux utilisateurs, un sentiment d’habilitation, même si leur utilisation ne donne pas de meilleurs résultats financiers.

La numérisation de l’information et de l’argent devrait constituer un objectif clé. Il ‘agit d’utiliser de manière constructive les informations disponibles sur le comportement social et le comportement transactionnel pour optimiser la situation financière des personnes. Les gens devraient se sentir capables de prendre des décisions par eux-mêmes ou en utilisant leurs relations sociales, au lieu de produits et services très structurés. Ils devraient être en mesure d’affecter eux-mêmes des attributs et des caractéristiques à leurs transactions financières.

Les outils devraient tenir compte des façons dont les gens séparent l’argent, reconnaître que les gens se préoccupent autant des revenus que des dépenses et intégrer les aspects sociaux de la gestion régulière de l’argent. Les outils devraient être pertinents pour un plus grand nombre de personnes. Le résultat escompté devrait être d’amener plus de gens à faire plus de choses, plus souvent grâce aux canaux digitaux.

Renforcer la pertinence de la fonctionnalité de la valeur stockée

Bien que presque tous les déploiements de services financiers digitaux  (à l’exception des services de gré à gré) aient une fonction de valeur stockée par défaut dans leur portefeuille, leur utilisation comme instruments à valeur stockée est minime, comme en témoigne la valeur négligeable des soldes qui y sont conservés.

La fonctionnalité de la valeur stockée devrait être réhabilitée pour que ‘l’inclusion financière’ soit réellement réalisée. Il s’agit également d’un élément essentiel pour assurer la viabilité des entreprises en matière d’inclusion financière. Une fonctionnalité de valeur stockée qui fonctionne bien encouragerait les clients à utiliser davantage d’économies et de portefeuilles pour la gestion financière à court terme. Cela permettra à son  tour d’obtenir plus d’informations pour élargir la proposition de valeur ainsi que l’évaluation du crédit et aidera à stimuler les paiements des commerçants. L’utilisation de la valeur digitale pour les paiements des commerçants réduira également la nécessité d’une présence intensive de réseaux d’agents d’encaissement et de retrait. L’utilisation des connaissances des clients pour élargir les propositions de valeur, l’évaluation du crédit, les paiements des commerçants et l’amélioration de l’efficacité opérationnelle découlant de la réduction de la dépendance à l’égard des réseaux d’encaissement et de retrait, permettront à leur tour de promouvoir le dossier commercial des fournisseurs. La fonctionnalité de la valeur stockée sera l’outil essentiel pour permettre des paiements plus importants par le biais de la monnaie digitale, en plus de faciliter le crédit par les canaux digitaux en générant suffisamment d’historique sur lequel les différents algorithmes peuvent être construits.

Pour que la fonctionnalité de valeur stockée ait un sens pour le marché de masse, il est essentiel de revoir le concept de discipline discuté dans la Partie 2 de la série de blogs. Il doit faciliter la discipline-in, discipline-out et la flexibilité, tout en même temps.

Dans un environnement digital, la discipline-in peut être activée par des rappels, des invitations et des règles. Celles-ci peuvent être appliquées à plusieurs moments, par exemple, au moment de la réception du revenu ou lorsqu’il y a un capital inactif. Des règles prédéfinies peuvent également faciliter l’affectation de l’argent à des seaux spécifiques définis par les clients eux-mêmes.

La discipline-out peut être renforcée par des verrous tels qu’une période d’attente, l’indivisibilité, la pression des pairs, etc. Une autre façon d’assurer la discipline-out est l’étiquetage, fondé sur des paramètres tels que l’origine de l’argent, le but, etc. Les étiquettes peuvent être appliquées sur plusieurs dimensions, y compris le temps, les relations sociales et les réseaux, l’emplacement ou la tâche/objectif de l’argent.

En plus de la discipline-in/out, il faut aussi de la souplesse pour briser la discipline, ou fournir des « sorties », s’il y a un besoin urgent. L’un des moyens d’y parvenir est de reproduire des mécanismes comme les gardes d’argent qui permettent à un client de garder de l’argent avec un membre de confiance et respecté de leur cercle social, et le récupérer en cas d’urgence, mais pas pour des dépenses courantes ou inutiles.

La fonctionnalité de valeur stockée doit fournir des outils qui suggèrent le but de façon intuitive, même si le but est flou ou changeant. Les conditions d’utilisation doivent également être intuitivement claires pour l’utilisateur, c’est-à-dire comment fonctionnent les aiguillons, les verrouillages et les sorties.

Répondre aux mécanismes d’adaptation des gens

Pour que les solutions digitales soient utiles pour le marché de masse,  elles doivent constituer une extension digitale des mécanismes d’adaptation que les gens utilisent dans la vie réelle. En effet, cela impliquerait la création d’une hyper-réalité à l’aide d’outils digitaux.

L’animation de l’argent peut être reproduite par le biais de la dynamique des jeux ; la cultivation de liquidités peut être reproduite en tirant parti des réseaux sociaux, et la modulation des revenus peut être facilitée par la répartition des tâches et l’établissement d’un calendrier. La figure ci-haut donne quelques idées sur ce à quoi pourrait ressembler la numérisation de certains de ces mécanismes d’adaptation.

L’objectif devrait être de donner accès à des outils qui aident les gens à mettre en œuvre ces mécanismes d’adaptation à leur façon. Cette fonction peut être activée au moyen de seaux à usage spécifique, de verrous temporels ou l’indivisibilité (limitant la possibilité de déplacer une partie de l’argent affecté à une catégorie d’argent particulière). On peut donner une signification  à l’argent au moyen de divers indices audiovisuels, de catégories d’argent (selon l’objet ou la source du revenu) et de restrictions de liquidités.

Remarques finales

Les idées présentées ici sont indicatives et non prescriptives. Il faut être conscients du fait que la manière dont les  gens gèrent l’organisation de leur argent n’est pas toujours explicitement clair dans leur esprit, mais qu’elle est floue, abstraite et changeante. Les gens organisent leurs affaires financières de manière à faciliter la prise de décisions simples au quotidien.

Nous pensons que les principaux paramètres d’organisation dans l’expression visuelle de la solution sont directement liés aux fonctionnalités de base de l’Internet ; il s’agit de :

  • Lacunes (tâches)
  • Géographie (cartes)
  • Temps (calendrier)
  • Relations (contacts, réseaux sociaux)

Mais peut-être que ces idées ne devraient pas exister d’une manière aussi explicitement structurée. Une approche de scrapbooking, où il faut trouver des poches d’argent particulières pourrait mieux fonctionner. Cela peut aider les gens à garder leurs idées floues, lorsqu’ils ne sont pas prêts à concrétiser leurs buts.

Il serait peut-être bon d’aider à la visualisation avec les fonctionnalités de base d’un smartphone, telles que les mouvements, la musique, l’image, les couleurs, etc.

Avant de conclure, il faut rappeler qu’en concevant une solution, vous ne devriez  peut-être pas passer directement aux produits (dépôt récurrent,  dépôt à terme, prêts instantanés, etc.). Pensez d’abord aux mécanismes d’adaptation (animation de l’argent, cultivation de liquidités et modulation de revenus) que vos clients appliqueront mentalement, puis pensez aux outils par lesquels ils agiront sur ces mécanismes d’adaptation pour concevoir leur propre gamme de produits.