La généralisation de l’identité digitale, un enjeu de taille pour la zone UEMOA

La généralisation de l’identité digitale, un enjeu de taille pour la zone UEMOA

Elizabeth Berthe et Bocar Anne, novembre 2020

Selon l’institut international McKinsey, les programmes d’identité numérique généralisés, pourraient dégager une valeur économique équivalente à 3 à 13 % du PIB en 2030, dont plus de 50 % revenant aux particuliers. L’identité est une condition préalable à la participation dans la société, en facilitant l’accès aux systèmes de santé et de protection sociale, à l’éducation, aux services financiers et gouvernementaux. L’identité numérique ou « Digital Identity » promet de créer de la valeur économique pour les individus en favorisant une plus grande inclusion, ce qui donne un meilleur accès aux biens et aux services ; en augmentant la formalisation, ce qui contribue à réduire la fraude, à protéger les droits et à accroître la transparence ; et en favorisant la digitalisation, ce qui entraîne des gains d’efficacité ainsi qu’une plus grande facilité d’utilisation.

Les initiatives ID4D des Nations unies (ONU) et de la Banque mondiale, se sont fixés pour objectif de donner une identité juridique à tous les habitants de la planète d’ici 2030, mais la pandémie actuelle montre qu’il faut avancer cette date butoir. Selon les données de 2018 de l’initiative Global ID4D de la Banque mondiale, plus d’un milliard de personnes dans le monde ont des difficultés à prouver officiellement leur identité. Elles ont par conséquent, du mal à accéder aux services gouvernementaux et économiques essentiels, plus particulièrement aux services financiers, à la propriété et à l’emploi. Cela exclut une partie importante de la population mondiale dans sa participation à l’économie numérique.

La crise sanitaire de la COVID-19 a amplifié les inégalités présentes dans nos sociétés. Les mesures de confinement et les autres restrictions adoptées par les gouvernements pour ralentir la propagation de la maladie, bien que largement nécessaires, ont imposé un fardeau économique important. Cela met en évidence la nécessité d’une identité numérique efficace : l’accès aux systèmes et aux services à distance est plus que jamais demandé afin de s’assurer que personne ne soit laisser sur le banc de touche.

La pandémie a mis en évidence les insuffisances de la réponse aux besoins de la crise, et de nombreux pays ont été pris au dépourvu et n’ont pas pu offrir certains services pendant le confinement, comme par exemple, l’enregistrement à l’état civil. Certains segments de la population, notamment ceux ayant une faible culture numérique, ont été plus sévèrement touchés que d’autres. Réduire la fracture numérique en améliorant les infrastructures et en facilitant les paiements numériques peut améliorer la croissance économique et la résilience pour mieux faire face aux crises futures.  La réalité de la fracture numérique signifie que des mesures spéciales sont nécessaires pour garantir que les femmes, les pauvres et les plus vulnérables aient accès aux programmes sociaux et autres services gouvernementaux.

La technologie a joué un rôle essentiel dans la mise en place de la réponse à la COVID-19, notamment par la gestion des registres des bénéficiaires (et d’autres bases de données pertinentes) et la capacité à communiquer entre eux pour faciliter une réponse intégrée.  Cela comprend l’intégration des données entre les systèmes d’identification numérique, les paiements, les communications mobiles et les ensembles de données pertinentes. Cela nécessite un effort collectif qui inclut les gouvernements, les fournisseurs, le secteur civil et les individus.  Les FinTech, qui peuvent jouer un rôle clé dans la promotion de l’inclusion financière, sont limitées à travailler uniquement avec des personnes dont l’identité est prouvée.

Avec la COVID-19, le Sénégal a réalisé la nécessité de créer une identité numérique afin de permettre aux citoyens et aux entreprises, un accès continu aux services en ligne.  Il mène actuellement un projet pilote avec 600 volontaires, dont des entreprises, des particuliers et des administrations publiques, dans le cadre d’un programme appelé DAAN COVID-19, afin d’harmoniser les identités numériques et de fournir un moyen de vérifier ou de certifier les identités et de contribuer ainsi à l’interopérabilité grâce à une identité numérique provisoire.  Avec plusieurs programmes et dispositifs dotés de leurs propres identificateurs uniques, l’identité numérique provisoire ne vise pas à remplacer les identités sectorielles, mais agit comme un « trousseau d’identité ». Il existe trois niveaux de sécurité :

  1. Une connexion par l’utilisation de mot de passe
  2. Une demande de certificat prouvant l’identité
  3. Un besoin d’accès à la biométrie

Les utilisateurs peuvent demander l’évolution de leur identité selon leurs besoins.  Le secteur privé ou les fournisseurs peuvent s’inscrire aux services de vérification ou certification de l’identité numérique provisionnel (INP), vérifier ou certifier l’INP en ligne ou fournir le service ou le bien à l’usage.  Au cours des projets pilotes menés au Sénégal avec l’agence pour la Couverture Maladie Universelle (CMU), le système d’information et de gestion de l’éducation nationale (SIMEN), le système de paiement des salaires du gouvernement (SOLDE), le système fiscal en ligne (IMPOT), les banques et les opérateurs de télécommunications, il sera important de veiller à ce que les exclus du numérique soient inclus dans le processus pour éviter de créer de nouvelles inégalités.

Les systèmes d’identité numérique doivent être conçus dans un esprit de confiance et relever le défi que posent des systèmes de données plus étendus et intégrés pour la protection des données et la vie privée.  Pour une plus grande inclusion, les systèmes d’identité numérique doivent être développés comme un bien public ouvert qui réduit le coût d’accès pour les fournisseurs et les clients. L’inclusion ne signifie pas seulement garantir que tous peuvent s’enregistrer, mais aussi que chacun peut utiliser son identité numérique pour recevoir de l’assistance et s’autonomiser économiquement – y compris les personnes peu alphabétisées et ayant un accès limité à la technologie. Pour cela, il est crucial que les gens aient confiance en l’intégrité du système, y compris dans sa capacité à préserver la vie privée et les droits individuels. Cela nécessite des mécanismes de transparence et de responsabilité efficaces.  L’adoption d’une approche systémique est la clé du succès de cette transformation.  Les participants à notre récent webinaire sur la numérisation des services gouvernementaux ont exprimé leur inquiétude quant au fait que l’identité numérique pourrait être utilisée pour les surveiller ou les contrôler, ainsi que pour inclure ou exclure de manière sélective des segments de la population de la participation aux bénéfices de l’État. Pour que l’identité numérique donne du pouvoir à la population, le cadre technologique, juridique et politique doit être fondé sur la liberté d’action et de choix des utilisateurs, le consentement éclairé, la reconnaissance de multiples formes d’identité, la préservation de l’anonymat et le respect de la vie privée en interdisant la discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou toute autre situation.  Le mouvement #GoodID est un débat constructif mené par l’Omidyar Network pour le développement de nouvelles normes d’identification tournées vers l’avenir et fournit un cadre pour construire de meilleurs systèmes d’identité qui fonctionnent pour tous. Selon Olivier Twagirayezu de Smart Africa, les individus doivent pouvoir savoir qui a cherché à obtenir des informations sur leur identité et cela contribuera à renforcer la confiance dans le système.

La disponibilité d’un système d’identification numérique qui identifie de manière unique les bénéficiaires, permet de déterminer leur éligibilité et d’effectuer un dépôt direct sur le compte (Mobile Money ou via une institution financière) que le bénéficiaire a lié à son identité ou auquel il peut se référer. Au Togo, où le système national d’identification n’est pas très développé mais où une récente campagne d’inscription des électeurs a permis de collecter des informations telles que la profession et le lieu de résidence, le programme Novissi a permis de générer un revenu universel pendant la récente période de fermeture. Les rôles des électeurs ont été croisés avec ceux des abonnés à la téléphonie mobile afin de simplifier le processus de validation, ce qui a permis de contrôler les 1 394 237 personnes qui se sont inscrites et d’envoyer des virements en espèces à 581130 Togolais (dont la majorité sont des femmes). Novissi a versé un peu plus de 11,7 milliards de francs CFA (environ 17,7 millions d’euros) au cours de trois mois par le biais des canaux numériques en quatre tranches.

La véritable opportunité ne réside pas dans la composante identitaire mais dans les opportunités qu’elle peut créer. C’est pourquoi il est important que les différentes parties prenantes travaillent ensemble pour assurer la mise en œuvre d’une identité numérique inclusive afin de garantir une connectivité totale pour tous et répondre aux besoins de ceux qui ne sont pas en ligne.

Entrepreneuriat féminin : quels moyens pour favoriser l’accès au financement ?

Entrepreneuriat féminin : quels moyens pour favoriser l’accès au financement ?

 Kate Assi-Okoué et Ariane Kouassi, novembre 2020

Ces dernières années, l’entrepreneuriat a fait l’objet d’un vif regain d’intérêt. On serait tenté de croire qu’il s’agit d’une nouvelle trouvaille au regard des nombreux débats, conférences, forums et salons qui sont organisés chaque année pour en discuter. D’ailleurs, le continent africain représente un véritable creuset de l’entrepreneuriat féminin. En effet, il connaît le taux le plus élevé de femmes entrepreneuses à savoir 24 % devant l’Asie du Sud-Est Pacifique qui en totalise 11 %, et l’Europe 9 %. De plus, l’entrepreneuriat féminin en Afrique contribue pour 7 à 9 % du PIB du continent, soit environ 150 à 200 milliards de dollars.

Cependant, malgré le dynamisme qu’on pourrait reconnaître à l’entrepreneuriat féminin au regard de ces chiffres assez reluisants, tout porte à croire que c’est l’arbre qui cache la forêt. Les femmes se heurtent à divers obstacles pour développer leurs activités et l’accès au financement en constitue une problématique majeure. Ainsi, quels pourraient-être les moyens à développer pour pallier à cet obstacle ?

Les causes du déficit d’accès au financement

Dans le monde, l’accès des femmes au financement est disproportionnellement faible. En Afrique, leur situation est beaucoup plus alarmante et cela débute par l’accès inégal à un compte bancaire.

En Afrique subsaharienne, seulement 37 % des femmes ont un compte bancaire contre 48 % des hommes, un écart qui ne fait que s’accentuer depuis plusieurs années. Les femmes disposent très souvent d’un capital réduit pour démarrer leur activité et sont moins susceptibles de bénéficier de capitaux d’investissement privés ou de capital-risque. « Je vends des vêtements pour subvenir aux besoins de ma famille. Je souhaitais augmenter mon capital pour développer mes activités mais la banque m’a refusé un prêt parce que selon eux je n’ai pas de garanties solides » explique Karidja Bakayoko, commerçante de vêtements dans la ville de Daloa en Côte d’Ivoire. En effet, les banques demandent des garanties que les femmes ne peuvent souvent pas fournir. Ce sont généralement les hommes qui sont propriétaires de biens à valeur importante (titre foncier, véhicule, etc) pouvant servir de garanties. Il faut aussi noter que  45 % des femmes des pays à faibles revenus ne possèdent pas de pièce d’identité officielle, contre 30 % des hommes. Par ailleurs, les femmes ont ordinairement une aversion au risque, une faible culture financière ainsi qu’une peur de l’échec qui les empêche très souvent de demander des prêts. Elles font également face au manque de soutien familial mais aussi au manque de formation pour le développement de compétences nécessaires à la gestion effective d’une entreprise. Les contraintes personnelles (projets familiaux, projets professionnels du conjoint, responsabilités familiales), la faible intégration des femmes aux réseaux d’affaires ainsi que le manque de produits financiers adaptés à leurs besoins constituent d’autres obstacles. Aussi, le fait que les banques n’aient pas une bonne compréhension des entreprises dirigées par des femmes ou encore les niches de marché qu’elles occupent explique leur difficile accès au financement. A cela s’ajoute, le manque d’éducation financière des femmes et les obstacles à l’inclusion financière comme en témoigne le tableau ci-dessous.

La somme de ces challenges énumérés impacte ainsi négativement l’accès aux financements des femmes africaines entrepreneures. D’autant plus que face à la crise sanitaire de la COVID-19 que connaît le monde actuellement, les entrepreneures rencontrent des difficultés à mobiliser des fonds afin de maintenir leurs activités, les investisseurs ayant limité les financements au vu du ralentissement des activités de manière générale.

Pourtant lorsque celles-ci ont la possibilité d’accéder à des financements et aux marchés, elles contribuent de manière significative au bien-être de leurs familles. Cela s’explique par le fait qu’elles priorisent l’éducation de leurs enfants en mobilisant de l’épargne. Aussi, elles participent au développement économique de leurs pays par la création d’entreprises, ce qui favorise la création d’emplois et de richesses.

Initiatives pour booster l’accès au financement des entrepreneures

Pour favoriser l’accès au financement des femmes, des actions doivent être entreprises. Les gouvernements devraient instaurer des politiques et réglementations en matière d’inclusion financière qui leur seraient favorables. A ce titre, plusieurs initiatives ont déjà été mises en place à travers l’Afrique à l’instar du programme Affirmative Finance Action for Women in Africa (AFAWA).

AFAWA est une initiative de la Banque Africaine de Développement (BAD) qui vise à combler le déficit de financement estimé à 42 milliards de dollars qui affecte les femmes en Afrique. L’initiative en est aux premières discussions avec les institutions financières en Afrique de l’Ouest.  Elle est également un investisseur d’ancrage à hauteur de 12,5 millions de dollars dans Alitheia IDF Managers (AIM), le premier fonds d’investissement privé en son genre, dirigé par des femmes gestionnaires de fonds expérimentées et qui investit dans des PME à forte croissance détenues et dirigées par des femmes en Afrique. En 2018, AFAWA a fourni une assistance technique à plusieurs banques. En collaboration avec Entreprenarium Foundation, AFAWA a formé 1 000 femmes entrepreneures à travers le continent Africain au développement d’un modèle d’affaires ainsi qu’à la planification financière. Ceci pour leur donner les ressources nécessaires pour accéder facilement à des financements.

Des fonds d’investissement dédiés aux femmes à l’image de Janngo (un fonds de capital-risque dirigé par des femmes qui investit 50 % de ses recettes dans des start-ups fondées, co-fondées ou bénéficiant à des femmes) devraient être plus nombreux. En Côte d’Ivoire, en 2017, le gouvernement a mis en place un Fonds pour la promotion des PME et de l’entrepreneuriat féminin doté d’une enveloppe de 5 milliards de FCFA. Ce fonds vise à faciliter l’accès au crédit bancaire aux femmes chefs d’entreprise, y compris de start-up, tout secteur d’activités confondu. L’initiative permet de stimuler concrètement le financement en faveur des femmes, faisant progresser l’inclusion financière.

Les institutions financières ne doivent pas rester en marge de ces initiatives. Elles pourraient envisager de créer des procédures bancaires favorables aux femmes comme l’annulation des soldes minimums, la réduction des exigences de garantie et l’inclusion d’autres formes de garantie plus accessibles aux femmes. En outre, les institutions financières gagneraient à développer des produits et services entièrement destinés aux femmes qui prennent en compte leurs besoins et devraient considérer au cours de leurs conceptions des aspects importants tels que la simplicité ou la fiabilité de produits, susceptibles de garantir l’utilisation fréquente de ces produits et services.

Il ne faut toutefois pas oublier que la conception de services financiers devrait s’accompagner de programmes d’éducation financière qui permettront aux entrepreneuses de développer des compétences et comportements financiers appropriés. En somme, il s’agira d’améliorer la compréhension des services financiers tout en sensibilisant les femmes sur les risques encourus pour favoriser des décisions financières autonomes et responsables. C’est dans cette optique que le Hub de la finance digitale a été créé, afin d’offrir à chacun des outils adaptés au développement de leur entreprise. Pour permettre ce changement, il faudrait également étudier les parcours clients des femmes et utiliser des connaissances pour concevoir des offres de produits financiers sur mesure. Le double avantage sera de transformer la vie des femmes et d’offrir une valeur commerciale pour les institutions financières. Une clientèle de plus d’un milliard de femmes, qui n’est pas encore connectée aux services financiers et largement sous-desservie est concernée.

Étude sur la demande de services d’envoi de fonds de la diaspora dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest

Étude sur la demande de services d’envoi de fonds de la diaspora dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest

Elizabeth Berthe, Birane Cissé et Leïla Ferrali, Octobre 2020

En partenariat avec la Fondation Mastercard, MSC a conçu et conduit une étude en Côte d’Ivoire, en France, au Mali et au Sénégal.

Les objectifs de cette étude étaient les suivants :
Aider les prestataires de SFN à identifier les facteurs de succès et les contraintes dans l’utilisation des services formels d’envoi de fonds ;
Fournir des recommandations stratégiques et opérationnelles à même d’aider les prestataires de SFN à développer des produits et services utilisant les flux de fonds des migrants ;
Fournir des informations sur les opportunités de produits et de services digitaux d’envoi de fonds sur les principaux marchés de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ;
Développer des prototypes de services financiers digitaux adaptés aux besoins des expéditeurs et destinataires d’envois de fonds de la diaspora.

Le genre, versant oublié de la réponse à la COVID-19 dans les pays à faible et moyen revenu

Le genre, versant oublié de la réponse à la COVID-19 dans les pays à faible et moyen revenu

Aakash MehrotraRahul ChatterjeeSaloni Tandon et Sonal Jaitly, octobre 2020

La pandémie de COVID-19 pose des défis sans précédent aux gouvernements et aux citoyens du monde entier, mettant à rude épreuve les systèmes de santé, les économies et le tissu social même des nations. Le risque associé à cette crise est particulièrement élevé pour les personnes ayant un accès limité aux ressources en raison de leur sexe, de leur situation géographique, de leur âge ou de leur appartenance ethnique.

Les femmes constituent une majorité écrasante de ce segment. Des observations récentes indiquent que la pandémie fait peser sur les femmes un coût socio-économique disproportionnellement élevé. Pour reprendre les mots de Melinda Gates, avocate de l’égalité des sexes et coprésidente de la Fondation Bill & Melinda Gates, « COVID-19 is gender-blind, but not gender-neutral (la COVID-19 frappe indifféremment les hommes et les femmes, mais n’a pas les mêmes effets sur les femmes que sur les hommes). Dans ce blog, nous examinons quatre types de répercussions potentielles de la crise sanitaire qui auront des effets socio-économiques durables sur les femmes en Inde et dans d’autres pays à faible et moyen revenu. Elles sont basées sur plusieurs études menées par MSC entre mars et juillet 2020.

1ère répercussion potentielle : les femmes sont plus durement touchées sur le plan économique

D’après une note issue des recherches de Citigroup, sur les 44 millions de travailleurs des secteurs vulnérables dans le monde, 31 millions de femmes sont confrontées à des suppressions d’emplois potentielles, contre 13 millions d’hommes. McKinsey rapporte que les emplois des femmes sont plus vulnérables à cette crise, le taux de perte d’emploi des femmes étant 1,8 fois plus élevé que celui des hommes. Les femmes représentent 39 % de l’emploi mondial, mais 54 % des pertes d’emploi dans le monde.

Cette disproportion semble être un phénomène mondial. En Grande-Bretagne, les mères sont 1,5 fois plus susceptibles que les pères d’avoir perdu ou quitté leur emploi pendant le confinement. Aux États-Unis, les femmes représentaient 55 % des pertes d’emploi en avril 2020, bien qu’elles forment moins de la moitié de la main-d’œuvre. Cette disparité est en partie due au fait que les femmes sont surreprésentées dans les secteurs que la crise a fortement touchés, comme l’hôtellerie et le tourisme.

Même avant la pandémie, l’Inde comptait plus de femmes que d’hommes au chômage. La pandémie n’a fait qu’aggraver cette situation. Les études menées par MSC au Bangladesh, en Inde, en Indonésie, au Kenya et en Ouganda montrent que les femmes ont tendance à s’inquiéter davantage de l’absence d’emploi, des pénuries alimentaires et de la crise financière. Ces différences sont particulièrement marquées en Inde et en Ouganda (pour plus de détails, reportez-vous à ces résultats comparatifs par pays).

Les récentes recherches de MSC sur l’impact de la crise sur les segments à faible et moyen revenu et sur les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) confirment que la crise de la COVID-19 creuse les inégalités socio-économiques préexistantes entre les sexes. En Inde, jusqu’à 82 % des MPME détenues par des femmes ont signalé une baisse de leurs revenus, contre 72 % des entreprises détenues par des hommes. Les MPME détenues par des femmes sont confrontées à de plus fortes restrictions, à une baisse de la demande, à une hausse du coût des intrants, à l’incapacité d’accéder aux marchés et à une augmentation du coût des soins à domicile, entre autres facteurs qui affectent gravement leurs revenus.

En outre, selon le rapport sur l’écart entre les sexes publié par le Forum économique mondial pour l’année 2017, 66 % en moyenne du travail des femmes en Inde n’est pas rémunéré, contre seulement 12 % du travail des hommes. La multiplication des suppressions d’emploi et le ralentissement économique vont probablement faire augmenter le taux de défaut de paiement des ménages et la proportion de femmes dans le travail non rémunéré. Les recherches de MSC sur les segments à faible et moyen revenu confirment que le fardeau du travail non rémunéré a augmenté pour les femmes de 54 % en Asie et de 12 % en Afrique.

2e répercussion potentielle : la COVID-19 va encore réduire la mobilité des femmes et la disponibilité des informations nécessaires pour remédier aux vulnérabilités liées à la santé

Les études ciblées de MSC sur les segments à faible et moyen revenu au Bangladesh, en Inde, en Indonésie, au Kenya et en Ouganda ont montré que la télévision et la radio étaient les principales sources d’information sur la COVID-19, tant pour les hommes que pour les femmes. Cependant, les femmes se fient davantage à leur réseau social (voisins, magasins de quartier, amis, parents et agents de vulgarisation du gouvernement local) pour obtenir des informations sur la COVID-19. Seuls 25 % des hommes s’appuient sur leur réseau social pour obtenir des informations, contre 40 % des femmes.

La pandémie a également aggravé les contraintes de mobilité des femmes, en raison des mesures de confinement annoncées pour freiner sa propagation, de la disponibilité limitée ou de l’absence de transports publics, et des mesures strictes de distanciation sociale. Cette évolution affecte gravement non seulement la vie des femmes à titre individuel, mais aussi le fonctionnement des collectifs de femmes, comme les groupes d’entraide et les groupes de caution solidaire. Ces groupes sont désormais dans l’incapacité d’organiser des réunions et des interactions physiques, ce qui limite l’accès des femmes aux systèmes de soutien et aux réseaux d’information en dehors de leur domicile.

3e répercussion potentielle : la COVID-19 va étouffer la voix des femmes et mettre à mal leurs droits

Les pays du monde entier ont signalé une augmentation des violences conjugales associée au confinement. Une situation alarmante, surtout à la lumière des données de l’enquête nationale sur la santé des familles de 2016 qui suggère qu’une femme sur trois subit des violences de la part d’un conjoint ou compagnon au cours de sa vie. Un document de travail publié par le Bureau national américain de la recherche économique a compilé les plaintes enregistrées auprès de la Commission nationale indienne pour les femmes. Il a constaté une augmentation du nombre de plaintes pour violence domestique dans les districts de la zone rouge – ceux où la mobilité est strictement limitée. Le nombre moyen de plaintes mensuelles dans ces districts est passé de moins de 1,5 avant le confinement en mars à près de deux pendant le confinement en mai. Les résidents ont constaté une augmentation des cas de violence domestique dans leur quartier pendant le confinement.

Dans le même temps, au niveau mondial, le Fonds des Nations Unies pour la population avertit que la pandémie pourrait réduire à néant près d’un tiers des progrès réalisés dans la lutte contre la violence faite aux femmes.

4e répercussion potentielle : les femmes seront laissées pour compte dans la course à l’adoption digitale

Les femmes sont généralement défavorisées dans l’accès aux technologies et leur adoption, étant donné la persistance de la fracture numérique entre les sexes. Selon la GSMA, les femmes des pays à faible et moyen revenu ont 8 % de chances de moins que les hommes de posséder un téléphone portable et 20 % de chances de moins d’utiliser l’internet mobile. L’écart entre les sexes s’agissant de la possession d’un téléphone portable est particulièrement important au Bangladesh, en Inde et en Ouganda. De plus en plus d’éléments indiquent que, du moins à court terme, les ventes mondiales de smartphones sont en chute libre. Le rapport de MSC souligne également que les femmes sont de plus en plus dépendantes des espèces dans la situation actuelle. Il montre un écart entre les sexes en ce qui concerne le temps passé sur les téléphones quelle que soit l’activité, ce qui implique des possibilités plus réduites pour l’adoption des services financiers digitaux.

Les précédentes recherches menées par MSC auprès d’ouvrières d’usines de confection en Inde ont révélé une adoption extrêmement faible des canaux digitaux chez les femmes. Bien que 36 % des ouvrières possèdent un smartphone, seules 3 % d’entre elles utilisent des services bancaires mobiles, contre 22 % des hommes. La tendance est similaire pour d’autres canaux, tels que les portefeuilles mobiles et BHIM, l’application de paiement mobile en Inde. Cette faible adoption s’explique aussi par l’absence d’écosystème numérique solide, car les canaux et les produits digitaux ne sont pas conçus pour les besoins des femmes de ce segment.

S’agissant de l’adoption des canaux digitaux, plusieurs facteurs jouent déjà contre les femmes, parmi lesquels la mobilité réduite, l’accès limité ou inexistant aux téléphones ou le contrôle très réduit exercé sur leur utilisation, qui implique que beaucoup de femmes n’ont pas de téléphone propre à utiliser pour effectuer leurs transactions. Parmi les autres obstacles figurent l’absence d’écosystème numérique solide, le manque de produits destinés aux femmes et, surtout, la crainte de perdre de l’argent en cas d’échec de la transaction. Compte tenu de ces difficultés, la fracture numérique actuelle a peu de chances de se réduire, et risque même de se creuser davantage pendant la pandémie.

Les signes de cette fracture croissante sont déjà présents.  Les recherches de MSC auprès des MPME indiennes montrent que 33 % des entreprises ont commencé à utiliser les médias sociaux pour communiquer, et que 10 % se sont associées à des acteurs du commerce électronique pour atténuer les risques d’impact de la crise sur leurs activités. Toutefois, ces stratégies sont principalement réservées aux hommes en milieu urbain. Les analyses montrent également que la fracture numérique en Inde va encore creuser le fossé de l’éducation.

En conclusion, l’approche utilisée pour la relance et la reconstruction post-crise doit prendre en compte les différences hommes-femmes afin d’atténuer les conséquences aggravées de la COVID-19 pour les filles et les jeunes femmes. Négliger les besoins et les difficultés spécifiques des femmes conduira à accroître les inégalités entre les sexes. Les praticiens et les décideurs politiques sont confrontés à un test important, car la situation des femmes dans le monde post-COVID-19 dépend de leurs actions. Le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, a demandé à juste titre que les besoins des femmes soient pris en compte dans le cadre de la réponse stratégique à la pandémie de COVID-19. Il incombe désormais aux décideurs politiques du monde entier de concevoir des actions tenant compte des spécificités des hommes et des femmes, et de faire de la justice et de l’égalité entre les sexes un élément primordial de la réponse générale à la pandémie. La sensibilisation aux questions de genre et la priorité accordée aux droits et aux intérêts des femmes peuvent non seulement nous permettre de traverser plus rapidement cette pandémie, mais aussi nous aider à construire une société égalitaire, inclusive et résiliente une fois la crise passée.

Ce blog a également été publié sur Next Billion le 1er octobre 2020.

Soutenir les groupes d’épargne liés aux institutions financières pendant la crise de la COVID-19

Soutenir les groupes d’épargne liés aux institutions financières pendant la crise de la COVID-19

Thomas Bariti et Anup Singh, octobre 2020

Hope, 30 ans, avait du mal à contenir sa joie. Cette femme au foyer d’un district isolé de Zambie venait d’apprendre que son groupe d’épargne était désormais rattaché à une banque. Elle avait décidé de rejoindre un groupe d’épargne de son village, car elle était consciente de l’importance des services financiers. Bien qu’elle ait un compte bancaire, elle préférait le groupe d’épargne. En effet, l’agence bancaire était située à 40 kilomètres de chez elle et Hope estimait que les services de la banque ne justifiaient pas de parcourir cette distance.

Avec le rattachement de son groupe d’épargne à un établissement bancaire, Hope pouvait désormais accéder à des services formels d’épargne et de crédit de proximité, tant pour son groupe que pour elle-même. Son enthousiasme a cependant été de courte durée, car son groupe d’épargne a cessé de fonctionner suite aux restrictions imposées par le gouvernement en raison de la pandémie de COVID-19. Pour Hope et d’autres membres, cette situation a entravé leur accès aux services d’épargne et de crédit.

Hope n’est pas la seule dans cette situation. Dans le monde entier, beaucoup de personnes comme elles sont confrontées au même problème, les groupes d’épargne ayant suspendu leur activité en raison des restrictions et des mesures de confinement mises en place pour enrayer la propagation du virus. Les groupes d’épargne sont composés de personnes sélectionnées par parrainage, issues principalement des catégories de population à faible ou moyen revenu. Ces personnes regroupent leurs fonds pour les prêter au sein du groupe selon des modalités convenues d’un commun accord. Ces groupes jouent un rôle essentiel dans l’accès aux services financiers dans les zones rurales et isolées où les services financiers formels restent très limités. On compte aujourd’hui près de 750 000 groupes d’épargne dans le monde, qui rassemblent plus de 15 millions d’adhérents dans 73 pays.

Le système des groupes d’épargne représente un filet de sécurité pour les familles vulnérables, en leur offrant des services d’épargne et de crédit informels. Les institutions financières ont commencé à s’associer aux groupes d’épargne après avoir étudié la possibilité d’offrir un large éventail de services financiers et non financiers à ces groupes et à leurs adhérents. Dans ce blog, nous évaluons l’impact de la COVID-19 sur les groupes d’épargne liés à des institutions financières et la manière dont celles-ci peuvent s’adapter pour aider les groupes d’épargne à surmonter la crise actuelle et à améliorer leur résilience.

La COVID-19 a provoqué une crise économique et une perturbation générale des chaînes d’approvisionnement. MSC a récemment réalisé une étude pour évaluer comment les segments à faible et moyen revenu faisaient face à la COVID-19 au Kenya. Les résultats de cette étude montrent que trois quarts au moins des personnes interrogées ont cessé d’avoir des revenus ou ont des revenus moins élevés à cause de la pandémie. La plupart d’entre elles indiquent que leurs économies sont en train de s’épuiser suite à la disparition de leurs sources de revenus.

Dans le cadre des mesures gouvernementales visant à contenir la propagation du coronavirus, il est demandé à la population de respecter certaines mesures d’éloignement physique et d’éviter les rassemblements collectifs. Avant la COVID-19, les groupes d’épargne avaient l’habitude de se réunir régulièrement pour se retrouver, discuter et procéder aux opérations d’épargne, d’emprunt et de remboursement des prêts. Ces réunions permettaient à leurs adhérents d’améliorer leurs compétences et leurs capacités et de discuter des problèmes et des enjeux sociaux. Dans la plupart des pays, les impératifs de distanciation sociale et la crainte de contracter la COVID-19 empêchent les groupes d’épargne d’organiser ces réunions. De leur côté, les membres de ces groupes ont modifié leurs priorités financières pour répondre à leurs besoins les plus urgents, en premier lieu l’alimentation, ce qui les amène à faire l’impasse sur leur épargne ou leurs remboursements de prêts. L’absence de réunions se traduit en outre par une pression insuffisante des autres adhérents pour assurer le maintien de ces opérations.

La situation est tout aussi mauvaise pour les groupes d’épargne liés à des institutions financières. En l’absence de réunions de groupe, les institutions financières observent une baisse de la collecte d’épargne et des retards dans le remboursement des prêts. Les adhérents qui ont besoin d’emprunter et la capacité de rembourser n’arrivent pas à obtenir des prêts. En l’absence de réunions et de plateforme digitale, ceux qui avaient épargné jusqu’à présent ont du mal à accéder à leur épargne pour faire face à leurs besoins au moment où ils en ont le plus besoin.

L’incertitude perdure quant à la disponibilité et à l’efficacité d’un vaccin contre la COVID-19. On ne sait pas si le virus va muter, ce qui pourrait rendre le vaccin inefficace. Si la situation actuelle perdure, beaucoup de groupes d’épargne risquent de se dissoudre complètement, ce qui réduirait considérablement l’accès de leurs adhérents aux services financiers, que ce soit par le bais des canaux formels ou informels. Comment les groupes d’épargne doivent-ils s’adapter à cette « nouvelle normalité » ? Quelles sont les mesures immédiates que les institutions financières peuvent mettre en place pour assurer leur survie ?

La digitalisation des services financiers des groupes d’épargne est un moyen de répondre à ces questions. Elle permet d’assurer la continuité de leur activité et de maintenir leur aspect pratique pour les adhérents tout en leur permettant d’accéder aux services financiers. Nous présentons ci-dessous plusieurs recommandations clés à l’intention des institutions financières en vue d’aider les groupes d’épargne à surmonter les chocs économiques et à améliorer leur résilience face à d’autres pandémies potentielles.

Grâce à la digitalisation, les institutions financières peuvent relancer les différents aspects du fonctionnement des groupes d’épargne : leur constitution, l’enregistrement des adhérents, la formation, le traitement des prêts, le remboursement des prêts et leur suivi. Le schéma ci-dessous illustre les différentes étapes de ce processus.

Figure 1. Les différentes étapes de la digitalisation du fonctionnement des groupes d’épargne

On notera qu’en parallèle de la digitalisation, les institutions financières doivent se concentrer sur les opérations financières pour favoriser la confiance, la transparence, la commodité et l’efficacité. Le tableau ci-dessous présente les activités actuelles des groupes d’épargne avec les institutions financières et les aspects à prendre en considération pour leur digitalisation.

Au-delà des produits et services « standard », les institutions financières pourraient mettre au point des produits financiers centrés sur le client, dans le domaine notamment de l’assurance, du crédit à la demande et de la retraite. Les groupes d’épargne devraient être constitués selon des approches de type MI4ID, qui s’appuient sur l’économie comportementale et les techniques de conception centrée sur l’utilisateur.

Ces produits permettront d’assurer la poursuite de l’activité des groupes d’épargne, de resserrer leurs liens avec les institutions financières et de répondre aux besoins financiers de leurs adhérents pendant et après la pandémie.

Les acteurs concernés doivent avoir conscience que la plupart des zones rurales dans lesquelles se trouvent un grand nombre de groupes d’épargne ont une marge de manœuvre limitée pour adopter les technologies digitales. Elles souffrent souvent d’une mauvaise connectivité internet qui entrave le développement des services FinTech, lesquels ont généralement besoin d’une connectivité 3G ou plus pour fonctionner correctement. Les habitants de ces régions rurales ont également un accès limité aux smartphones, ne disposent pas toujours des infrastructures nécessaires (accès à l’électricité par exemple) et accordent une grande importance à l’oralité.

En tenant compte de cette dynamique, les institutions financières peuvent examiner plusieurs approches de la formation et du renforcement des capacités des groupes d’épargne :

  1. Elles peuvent se servir de la téléphonie mobile pour maintenir le contact avec les groupes d’épargne, dans le cadre par exemple d’initiatives virtuelles de renforcement des capacités comme ePaathshala de MSC[1], dans le domaine notamment des services financiers digitaux qui remplacent les méthodes manuelles actuellement utilisées. Elles devront sélectionner avec soin les participants (ceux qui disposent d’un appareil et d’un accès aux données), les former (dans le cadre d’une approche de formation des formateurs) et mettre en place des incitatifs pour encourager la démultiplication par ces formateurs auprès des autres membres à mesure qu’ils font la transition. Les supports de formation digitaux doivent être traduits dans les langues locales pour faciliter leur compréhension.
  2. Elles peuvent s’associer à des organisations de la société civile pour la formation des adhérents et des communautés locales aux précautions à prendre en matière d’hygiène et de sécurité. Des supports d’information sous forme de bandes dessinées peuvent faciliter cette formation.
  3. Elles peuvent également s’appuyer sur les réseaux d’agents pour servir les groupes d’épargne qui ont du mal à faire leurs opérations. Les agents exercent généralement leur activité dans des endroits relativement bien desservis par les réseaux d’électricité et de la 3G. Les groupes d’épargne qui n’ont pas accès à des smartphones, à l’électricité ou à une connexion 3G peuvent ainsi faire leurs opérations par l’intermédiaire de ces agents, qui sont souvent situés dans des villes de marché que les membres des groupes visitent chaque semaine ou tous les quinze jours.

Alors que les règles de distanciation sociale continuent d’être observées dans le monde, nous constatons que les méthodes traditionnelles de gestion des groupes d’épargne ne peuvent plus fonctionner. Les adhérents de ces groupes se trouvent dans l’incapacité de se réunir pour se former, épargner et rembourser leurs prêts. Une meilleure gestion des groupes d’épargne passe par la digitalisation de leur fonctionnement, qu’il s’agisse de leur constitution, de l’inscription et de la formation de leurs adhérents, de la collecte de leur épargne ou du décaissement et du remboursement de leurs emprunts. Grâce à l’utilisation des moyens numériques, les institutions financières du monde entier peuvent fournir des services financiers ininterrompus aux innombrables adhérents des groupes d’épargne, comme Hope par exemple.

 

[1] ePaathshala est une plateforme de développement des compétences, de renforcement des capacités, de formation et de certification reposant sur une technologie digitale innovante.

Digitalisation des frais de scolarité à Madagascar

Digitalisation des frais de scolarité à Madagascar

Birane Cissé, octobre 2020

“Nous rencontrons d’énormes difficultés à collecter les frais de scolarité, le principal obstacle est le retard des paiements. Beaucoup de parents n’arrivent pas à payer les frais de scolarité de leurs enfants à temps,” a dit un Directeur d’école privée à Madagascar.

Selon l’UNESCO, sur 7 918 135 enfants, adolescents et jeunes en âge d’aller à l’école à Madagascar, il y en a encore 1 821 171  qui ne sont pas scolarisés, soit un taux de 23 %. En 2017, 88,3 % des parents ont déclaré que le retour de leurs enfants à l’école serait possible si la contribution était gratuite ou plus accessible.  Parmi eux, 66 840 enfants en âge de fréquenter le primaire (6 à 10 ans),  627 799 d’enfants en âge de fréquenter le premier cycle du secondaire (11 à 17 ans) et 1 126 532  en âge de fréquenter le deuxième cycle du secondaire (18 à 22 ans).

Selon un rapport de la Banque Mondiale, les frais de scolarité constituent le principal obstacle financier à l’éducation. Beaucoup trop d’enfants ne sont pas scolarisés simplement parce que leurs parents n’ont pas les moyens de payer les frais de scolarité, d’uniforme et de fournitures. Madagascar rencontre le même problème. Avec une population de 26,3 millions d’habitants, Madagascar fait partie des pays les plus pauvres du monde, 75 % de la population vivant avec moins de 1,9 dollar par jour.

Certains parents n’arrivent pas à payer à temps, d’autres n’arrivent pas à payer tout court, ces différents cas de figures accentuent le casse-tête du recouvrement pour les écoles.

Comment palier à ce problème ? Comment faciliter le recouvrement et par la même occasion le paiement des frais de scolarité ?

A Madagascar les écoles privées sont confrontées à différents défis

Selon la Banque Africaine de Développement (BAD), en Afrique la part de la scolarisation dans les écoles primaires privées est passée de 6 % en 2007 à 11 % en 2017, et dans les écoles secondaires de 8 % à 15 %. Les inscriptions dans les établissements privés d’enseignement supérieur ont quintuplé, passant de 3 % à 16 %. C’est d’autant plus vrai à Madagascar car les écoles privées sont en pleine expansion. Au niveau du collège et du lycée, les écoles privées représentent respectivement 57 % et 73 % des écoles. En effet, l’enseignement privé joue un rôle de plus en plus important dans le secteur de l’éducation en Afrique particulièrement à Madagascar. L’offre publique n’étant pas suffisante, l’enseignement privé prend le relais. Par ailleurs, la qualité de l’éducation est meilleure dans le privé que dans le public car le taux d’absentéisme des enseignants est plus bas et ils ont plus d’infrastructures. Beaucoup d’écoles privées sont confessionnelles et les parents les choisissent par convictions religieuses. Mais ces écoles privées sont payantes. Les frais de scolarité des écoles privées varient entre 1 USD et 39 USD par mois en fonction des subventions reçues de l’Etat ou non. Ce qui est largement au delà de ce que gagne la population moyenne.

Les écoles privées malgaches rencontrent des difficultés à collecter les frais de scolarité. En effet, l’étude conduite par MSC montre que la plupart tiennent encore leur comptabilité de façon manuelle, ce qui entraîne des pertes de données, des données erronées, des problèmes de traçabilité, et de réceptions de fonds en général. Pour beaucoup de familles, cette collecte de frais de scolarité manuelle implique de se déplacer à l’école, ce qui est une perte de temps et d’argent. Si ces familles n’arrivent pas à gagner suffisamment d’argent elles ne peuvent payer l’école à temps. Le retard des paiements des frais de scolarité est le problème majeur souligné par les responsables des écoles. Le manque d’infrastructures augmente aussi le problème de recouvrement : peu d’ordinateurs, pas de plateformes ou de process en place  pour payer les frais de scolarité, pas de plateformes de gestion des enseignants.

Pourtant des solutions commencent à être testées autour de l’Afrique, comme décrit ci-dessous, pour optimiser et améliorer la collecte des frais de scolarité. La digitalisation des frais de scolarité pourrait aider les écoles à mieux gérer leurs revenus et leurs dépenses. Pour les parents, elle permettrait de réduire les coûts liés aux dépenses en éducation.

Comment les services financiers digitaux pourraient-ils aider les écoles à optimiser la collecte des frais de scolarité en Afrique ?

Bien qu’il existe des institutions financières diversifiées, le taux d’inclusion financière dans le pays demeure relativement faible et avec une répartition disproportionnée sur le territoire national. En effet, la majorité des malgaches gèrent leur vie financière hors du système financier. A Madagascar, selon Global FinDex en 2017, seulement 18 % des adultes sont inclus financièrement, c’est-à-dire utilisent des services financiers formels (compte dans une institution financière ou compte de mobile money). En outre, 12 % des adultes disposent d’un compte de mobile money. Il faut noter que 30 % des adultes ne sont pas inclus formellement mais ils s’engagent dans les services financiers informels. Le taux d’adoption faible des services financiers digitaux à Madagascar peut s’expliquer par :

Ces problèmes peuvent être résolus par l’avènement de la nouvelle technologie porté par les FinTech à condition qu’elles connaissent les besoins réels de la population et qu’elles fassent un travail de sensibilisation et d’adoption de leur produit. La Côte d’Ivoire, par exemple, est parvenue à digitaliser la plupart des paiements des frais de scolarité dans le secondaire en 2014. En effet, 99 % des 1,5 millions d’élèves du pays ont payé leurs frais de scolarité de manière numérique, 94 % via le mobile money et 6 % sur Internet.

Les services financiers sont un élément important pour accélérer le développement sur plusieurs axes dans le domaine de l’éducation. Ils peuvent aider à réduire  les contraintes de trésorerie dues aux retards ou au non paiement des frais de scolarité, ce qui permettra de payer à temps les salaires des enseignants (les retards peuvent avoir un impact négatif sur la qualité de l’enseignement et la motivation des enseignants). De plus, ils peuvent permettre des investissements dans les infrastructures ou l’équipement pour améliorer la qualité des enseignements. La digitalisation peut aussi jouer un rôle important dans la gestion des paiements de frais de scolarité et des uniformes.

La population est réceptive à ce type de produits, elle y voit de l’intérêt. Notre étude sur l’analyse de la demande des transferts de fond des migrants a démontré que les familles de migrants accueillent favorablement le paiement à distance des frais de scolarité, pour gagner du temps, et que les envoyeurs veulent s’assurer que leur argent est utilisé à bon escient.

La digitalisation des paiements permettrait aux élèves de s’inscrire à l’école de façon plus efficace et les frais d’inscription pourraient ainsi être collectés plus tôt et plus efficacement. Le développement de plateformes par les FinTech ou institutions financières peuvent être une solution bénéfique pour les établissements scolaires, les parents et les élèves. En Ouganda, la plateforme de paiement mobile « Kupaa » lancée par Mastercard en partenariat avec l’UNICEF et le ministère Ougandais de l’éducation, a atteint des centaines d’écoles et plus de 100 000 parents et tuteurs. Cette plateforme est bien plus qu’un simple outil de transactions financières. Elle peut aider les écoles à gérer les paiements, à suivre l’assiduité des enseignants et d’autres indicateurs liés aux performances. La digitalisation permettrait aux parents de payer à distance les frais de l’éducation, engendrant un gain de temps et la réduction des coûts de transport. Comme les parents sont identifiés, ils auront la possibilité de payer par tranches qui seront établies en fonction de leurs revenus. L’école sera alors en mesure de suivre en temps réel les paiements effectués et d’optimiser son organisation.

Selon l’UNESCO, si tous les élèves des pays à faible revenu quittaient l’école avec des compétences de base en lecture, 171 millions de personnes pourraient sortir de la pauvreté, entraînant une réduction de la pauvreté dans le monde de 12 %. Les familles font de grands sacrifices pour envoyer leurs enfants à l’école. L’accès aux produits de financement de l’éducation est un outil inestimable pour aider les familles à couvrir ces coûts et ainsi assurer l’éducation de leurs enfants. En apportant une solution aux écoles pour leur système manuel de collecte de frais de scolarité, les services financiers digitaux peuvent contribuer à améliorer l’efficacité de la gestion et le niveau d’éducation de tout un pays.

Mais pour faciliter la digitalisation des frais de scolarité, la formation des écoles et la sensibilisation des parents seront nécessaires.