Panne de confiance : pourquoi vos clients potentiels se défient de vos agents (en particulier dans les zones rurales)

Panne de confiance : pourquoi vos clients potentiels se défient de vos agents (en particulier dans les zones rurales)

Graham WrightNitish Narain et Raunak Kapoor, février 2020

Dans le district de Krishna en Inde, seuls 22 % environ des bénéficiaires de transferts sociaux directs versés par l’État d’Andhra Pradesh (AP) avaient déjà eu recours à un agent pour effectuer des retraits en espèces. La plupart retirent le montant de leurs prestations dans des agences bancaires. Cette tendance est inquiétante pour deux raisons principales. Tout d’abord, le district de Krishna est considéré comme le plus avancé des 732 districts de l’Inde en matière d’écosystème numérique. Ensuite, l’AP est reconnu comme le premier État à utiliser la technologie pour améliorer la prestation des services publics et la mise en œuvre de ses programmes et subventions.

Alors pourquoi la population n’a-t-elle pas recours aux agents ? En partie, pour les populations rurales du moins, parce qu’il n’existe pas d’agent disponible dans leur village ou à proximité. Mais aussi pour toute une série de raisons liées au manque de confiance dans ces agents. En effet, pour de nombreux consommateurs, le kirana (petit commerçant local) n’a pas le profil adapté pour être agent. Pour commencer, les commerçants sont souvent les premières personnes à alimenter les ragots du village. Ainsi, s’adresser à un commerçant local en qualité d’agent présente le risque que la confidentialité ne soit pas assurée au sein de la communauté. En outre, de nombreux ménages empruntent au kirana en cas de besoin, de sorte que le risque que l’argent retiré chez le commerçant-agent soit confisqué pour rembourser des dettes est très réel.

En outre, de nombreux ruraux se rendent chaque semaine, ou toutes les deux semaines, dans la ville marchande la plus proche pour y accomplir diverses activités et transactions. Ils peuvent donc se rendre fréquemment à la banque ou chez un agent de la ville, avec des coûts marginaux limités. Cette option néglige toutefois deux facteurs clés qui engagent à poursuivre les travaux visant à « repousser les frontières » pour établir des agents plus près des villages ruraux reculés.

Le premier facteur est le genre – dans de nombreux pays, seuls les hommes se rendent en ville. Pourtant, les femmes souhaitent et doivent pouvoir le faire pour mener leurs affaires financières en toute confiance, souvent sans avoir à en informer leur mari. L’accès à des agents dans la localité où elles vivent permettrait aux femmes de réaliser des transactions financières par elles-mêmes. Le deuxième facteur concerne les petites transactions, en particulier l’épargne. Celle-ci peut être encouragée par la disponibilité de points de service d’agents à proximité. Comme la SFI l’a déjà mis en évidence, les épargnants sont prêts à se déplacer à partir d’un certain montant de dépôt, et plus le montant est important, plus ils sont disposés à le faire (voir figure ci-dessous). Par conséquent, pour aider les gens à économiser de petites sommes à l’extérieur de la maison, et donc loin des tentations de « dépenses superflues » ou des pratiques prédatrices de membres de la famille, il faut leur mettre à disposition un agent à proximité.

Ces problématiques, ainsi que d’autres liées à la fracture digitale, rendent essentiel le travail de MSC, du BCG et du CGAP sur le désenclavement financier des communautés rurales. Il est indispensable de concevoir des solutions créatives et spécifiques à chaque pays pour permettre à des agents rentables de repousser les frontières actuelles. Ces solutions comprennent :

  1. la différenciation des agents et l’augmentation des commissions pour le traitement des paiements G2P en Inde ;
  2. l’harmonisation des réglementations, notamment celles qui déterminent le profil des entités autorisées à devenir agent et les produits que les agents ont le droit d’offrir, et des commissions pour le traitement des paiements G2P en Indonésie ;
  3. l’élargissement de la gamme des produits offerts par les agents de transactions mobiles dans toute l’Afrique ;
  4. l’augmentation du nombre d’agents féminins, et l’amélioration de leur rôle, de leur statut et du soutien qui leur est fourni en Asie du Sud et dans certaines régions d’Afrique ;
  5. l’exploitation des nouvelles technologies pour améliorer l’efficience de la « distribution 2.0 » ;
  6. afin de, à terme réinventer le dernier kilomètre des réseaux d’agents.

MSC a mené sa première étude sur les questions de protection des consommateurs en Inde en 2016, alors que le modèle de service par agent (correspondant bancaire) se déployait à grande échelle. Nous avons constaté que de nombreux clients faisaient confiance aux agents – en partie parce qu’ils dépendaient d’eux pour effectuer des transactions « assistées ». Cette situation semble être en train de changer. Dans le cadre du vaste travail de terrain que nous menons en Inde, nous entendons de plus en plus souvent parler d’un ensemble de problèmes qui érodent la confiance dans les agents.

Et le problème ne se limite pas à l’Inde…

Nous avons tiré des conclusions similaires de l’analyse opérationnelle et de l’étude d’impact du programme de transferts en espèces conditionnels PKH en Indonésie. Nous avons constaté que seuls 18 % des bénéficiaires avaient recours à des agents pour retirer leur argent. Cela s’expliquait en partie par le fait que les agents n’étaient tout simplement pas présents dans de nombreuses zones rurales, de sorte que les bénéficiaires devaient se rendre au distributeur automatique le plus proche. Cependant, même dans les zones où les agents étaient présents, beaucoup ne détenaient pas les liquidités nécessaires pour faire face à de gros retraits d’espèces, car les bénéficiaires retiraient la totalité de la prestation du PKH en une seule fois.

En conséquence, même les facilitateurs du PKH et les banques déconseillent de recourir aux agents comme points de retrait. En outre, les agents appliquent des frais informels aux versements en espèces. La commission médiane facturée est de 10 000 IDR (0,73 USD) par versement, ce qui rend les distributeurs automatiques plus économiques.

Là encore, les consommateurs ont perdu confiance dans la capacité des agents à répondre à leurs besoins de manière transparente et honnête.

Nous avons relevé des difficultés similaires dans l’étude sur le service à la clientèle réalisée pour le CGAP en 2015 ; elle a conduit à identifier trois problèmes clés qui érodaient la confiance des clients sur trois marchés différents mais tous relativement matures. Ces problèmes étaient : 1. les interruptions de service ou de réseau ; 2. les frais non autorisés facturés par les agents ; 3. le manque de liquidité des agents.

L’étude a clairement montré que de nombreux clients enregistrés s’avéraient inactifs après avoir été confrontés à l’impossibilité d’effectuer des transactions ou parce qu’ils n’osaient pas le faire. Il arrive que les clients ne puissent pas effectuer de transactions pendant les interruptions du système, ou en cas d’absence ou d’illiquidité des agents, ou se sentent intimidés face au risque d’envoyer de l’argent à un mauvais numéro, ou de perdre ou de divulguer leur code PIN. D’autres clients choisissent de se protéger en utilisant des services assistés par des agents plutôt que d’enregistrer ou de conserver de l’argent dans leur portefeuille mobile. Tous ces facteurs limitent l’utilisation et le potentiel des services financiers digitaux.

En outre, étant donné l’importance du bouche à oreille, qui, selon MSC, est à l’origine d’environ 60 % des décisions relatives à l’adoption de services financiers, les mauvaises expériences se répandent rapidement dans les communautés rurales – ce qui accélère l’érosion de la confiance. Pour reprendre les mots d’un client, « nous entendons constamment les utilisateurs de transactions mobiles se plaindre de l’instabilité du réseau, des retards de service, du manque d’argent, entre autres commentaires négatifs sur les services financiers mobiles. Pourquoi dans ces conditions s’inscrire à ces services ? ».

Ce manque de confiance pose un sérieux problème aux prestataires dont les conséquences sont coûteuses. Le rapport de la GSMA sur l’état du secteur en 2018 indique que « 34,5 % des comptes enregistrés dans le monde sont actifs [sur 90 jours] ». Autrement dit, seul un compte de services financiers digitaux sur trois sert à effectuer plus d’une transaction en trois mois. Compte tenu du coût d’acquisition des clients, on ne peut manquer de penser que des investissements visant à améliorer la confiance dans les services financiers digitaux seraient économiquement judicieux.

Quels sont donc ces facteurs qui sapent la confiance ?

Du côté de l’offre :

  1. Défaut d’accessibilité des agents : ce facteur intervient lorsque le nombre d’agents de dépôt ou de retrait disponibles est insuffisant pour fournir un accès crédible aux services financiers de base. Sur de nombreux marchés, cette situation est due à la fermeture de points de services et à la désaffection des agents, qui peuvent priver les clients d’accès à leur argent. Dans certains pays, cet accès est une question d’horaires d’ouverture, par exemple en Zambie et au Kenya, où la plupart des agents travaillent les mêmes jours et aux mêmes horaires que les agences bancaires. Dans ces pays, il est impossible pour les clients de trouver des agents pour effectuer leurs transactions le week-end ou après 17 heures.
  2. Interruptions de service ou pannes du système : lorsque des problèmes d’ordre technique empêchent les utilisateurs d’accéder à leur argent ou d’effectuer des transactions. Les agents s’en servent souvent comme excuse pour refuser de réaliser des transactions lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes de liquidité.
  3. Défaut de liquidité des agents : lorsque les agents ne disposent pas de suffisamment de trésorerie électronique ou d’espèces pour effectuer des opérations de retrait ou de dépôt. Les clients ont du mal à faire confiance à un agent qui est souvent dans l’incapacité de réaliser les transactions qu’on lui demande.
  4. Mauvais service à la clientèle : lorsque les agents ont reçu une formation limitée et que leur capacité à réaliser des transactions, à expliquer le fonctionnement des produits ou à traiter les plaintes des clients s’en trouve compromise. La déficience ou l’absence de service d’assistance aux agents et à la clientèle dispensé via les centres d’appel peut aggraver le problème.
  5. Faible recommandation de la part des prestataires de services financiers (PSF) : lorsque l’agence locale n’oriente pas les clients vers les agents – les utilisateurs en tire la conclusion que ceux-ci ne sont pas agréés ou qu’on ne peut pas leur faire confiance. Dans certains cas, lorsque le personnel de l’agence craint de perdre son emploi, il arrive qu’il discrédite les agents en conseillant aux clients d’effectuer leurs transactions plutôt à l’agence où elles sont plus sûres et moins chères.
  6. Procédure d’inscription lourde : lorsque les procédures d’inscription et d’application des règles KYC sont complexes, alambiquées et longues. Les utilisateurs potentiels, en particulier ceux qui découvrent les services financiers digitaux, abandonnent souvent la procédure sans terminer leur inscription. Lorsque les agents aident à l’inscription et sont apparemment incapables de la rendre rapide et facile, la confiance est compromise.
  7. Pas de garantie de confidentialité : tout le monde, et pas seulement les personnes qui dépendent de l’assistance d’un agent, souhaite voir la confidentialité de ses transactions financières garantie. Comme nous l’avons vu en Inde et ailleurs, les clients considèrent souvent qu’un agent hyper local basé dans le même village ne donne pas cette garantie.
  8. Manque de soutien du PSF : lorsque le PSF ne fournit pas : 1. de soutien marketing au réseau d’agents pour renforcer sa crédibilité et/ou 2. de surveillance des agents, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants tiers chargés de contrôler et d’appuyer le réseau d’agents.
  9. Frais non autorisés : lorsque les agents facturent des frais supplémentaires pour les transactions, comme c’est maintenant le cas partout dans le monde.

Du côté de la demande :

  1. Manque de maîtrise de l’outil digital : lorsque les utilisateurs potentiels n’ont pas les connaissances ou les capacités nécessaires pour utiliser les interfaces digitales par eux-mêmes. Ce facteur est naturellement d’autant plus fréquent dans les segments de population illettrés pour lesquels aucune interface intuitive n’a été conçue.
  2. Craintes vis-à-vis de la technologie : lorsque les utilisateurs potentiels ne comprennent pas la technologie, ce qui leur fait craindre de perdre de l’argent en tapant sur de mauvaises touches ou parce que l’argent « disparait ».
  3. Peur de la dépendance : lorsque les utilisateurs dépendent d’agents pour obtenir de l’aide, ce qui compromet la confidentialité des transactions et accroît la vulnérabilité des clients à l’application de frais non autorisés ou même aux pratiques frauduleuses des agents.

Micro-entrepreneurs et risques professionnels : pourquoi les personnes défavorisées se contentent-elles d’emplois peu rentables ?

Micro-entrepreneurs et risques professionnels : pourquoi les personnes défavorisées se contentent-elles d’emplois peu rentables ?

Stuart Rutherford et Rahul Chatterjee, août 2019

Suivant les traces de son père, le premier métier de Riajul en tant que jeune sans formation avait été de casser des briques pour la fabrication de ciment, un travail éprouvant et peu prestigieux. Cela ne lui avait pas plu et lorsqu’il avait découvert qu’il pouvait obtenir un prêt auprès d’une institution de microfinance (IMF), il en avait profité pour s’installer à son compte comme vendeur de thé. Son entreprise a duré deux mois. Désillusionné, il s’est mis à conduire un cyclo-pousse (rickshaw) de location, le travail de dépannage des hommes pauvres du Bangladesh. Aujourd’hui, il conduit son propre cyclo-pousse, acheté au moyen d’un autre prêt, et n’a pas d’autre ambition pour le moment.

Après avoir terminé l’école primaire, Shiraz a travaillé comme assistant d’un peintre en bâtiment. Il a rapidement appris les ficelles du métier et lorsque son patron est parti ailleurs, il a créé sa propre entreprise de peinture. Bien que son activité soit rentable, Shiraz n’est pas satisfait. Il veut arrêter la peinture et devenir (ce n’est pas une plaisanterie) vendeur de thé.

Quelques vendeurs de thé parmi ceux qui se trouvent à proximité du domicile de Shiraz

Qu’est-ce qui empêche Riajul d’acquérir des qualifications, d’emprunter de nouveau et de se lancer dans une nouvelle entreprise qui pourrait accroître ses revenus ? Pourquoi Shiraz veut-il abandonner la peinture, alors qu’il possède une entreprise rentable et jouit d’une bonne réputation, pour devenir vendeur de thé, surtout lorsqu’il en existe déjà des dizaines dans son quartier, dont beaucoup qui arrivent à peine à survivre ?

Nous pourrions appeler cette question « l’énigme d’Ozler », en référence à Berk Ozler, un économiste de la Banque mondiale. Dans le cadre de l’examen d’un programme de subventions destinées aux personnes défavorisées pour la création d’activités indépendantes, il avait remarqué qu’au bout de quelques années, la plupart de ces micro-entreprises avaient cessé leur activité ou stagnaient sans se développer. Ozler ne comprenait pas.

« EN TERMES DE REVENUS, NE VAUT-IL PAS MIEUX ÊTRE TAILLEUR OU SOUDEUR OU COIFFEUR AU LIEU DE TRAVAILLER DANS LES CHAMPS OU D’ÊTRE VENDEUR DE RUE ? ET SI C’EST LE CAS, POURQUOI N’Y-A-T-IL PAS DAVANTAGE DE BÉNÉFICIAIRES QUI ESSAIENT D’EN FAIRE LEUR PRINCIPAL MÉTIER PLUTÔT QU’UNE ACTIVITÉ D’APPOINT DANS LE MEILLEUR DES CAS ? »

Riajul et Shiraz font tous les deux partie des personnes interrogées dans le cadre d’un projet de recherche fondé sur des « agendas financiers » dans le centre du Bangladesh, qui enregistre les transactions quotidiennes de ménages à faibles revenus depuis 2015. Ces informations détaillées peuvent nous permettre d’apporter un début de réponse à l’énigme d’Ozler.

Ozler pose deux questions. La première est simple : peut-on réellement gagner plus d’argent en exerçant un métier mieux qualifié à la place d’emplois précaires peu qualifiés ou de petits commerces ? Nos données fournissent une réponse : dans l’ensemble, oui.

Le graphique 1 présente les données tirées des agendas financiers qui appuient cette conclusion. Nous avons pris 56 ménages couverts par l’étude et les avons répartis en quartiles de revenus sur la base de leurs revenus totaux sur les 12 mois précédents. Nous avons ensuite examiné la composition de leurs revenus en les attribuant à l’une des dix « stratégies de revenus » des ménages (cf. légende du graphique). Sachant que beaucoup de ces ménages ont plus d’une source de revenus, la mention « + » signifie qu’ils ont une activité supplémentaire en plus de celle indiquée.

Nous avons inclut deux répondants qui gèrent des PME plutôt que des micro-entreprises. Comme le montre le graphique, ils bénéficient des revenus les plus élevés. Viennent ensuite les ménages qui reçoivent de l’argent envoyé par des membres de leur famille qui travaillent à l’étranger. C’est la stratégie idéale pour ceux qui ont le courage de la tenter. Le graphique montre clairement que ceux qui dépendent d’emplois précaires ou d’activités d’auto-entrepreneurs non qualifiés, comme Riajul, dominent les quartiles de revenus les plus bas. D’un autre côté, ceux qui dirigent des micro-entreprises, comme Shiraz par exemple, s’en sortent mieux.

Cette réponse affirmative à la première question d’Ozler nous conduit à la seconde : s’il existe une prime de revenus liée à la gestion d’une micro-entreprise, pourquoi n’y a t-il pas davantage de personnes défavorisées qui font ce choix ? Ou, si elles le font, pourquoi ne s’y tiennent-elles pas ? Il s’agit d’une question plus complexe et nous n’y apportons qu’un début de réponse. Pour ce faire, nous avons interrogé un grand nombre de participants aux agendas financiers, dont notamment Riajul et Shiraz, en leur posant des questions sur leurs choix professionnels et leur perception des différents métiers. Nous avons également examiné leurs agendas financiers.

Quels sont les facteurs qui déterminent l’activité processionnelle des ménages ? Comment ces facteurs influencent-ils les trois stratégies dominantes dans le graphique 1 : le travail à l’étranger, les micro-entreprises et les emplois précaires ?

Travail à l’étranger

Plusieurs millions de Bangladais travaillent à l’étranger. Ils sont originaires de l’ensemble du pays, mais certaines localités ont réussi à se spécialiser dans l’envoi de travailleurs à l’étranger (principalement des hommes) et la région couverte par le projet des agendas financiers en fait partie. Les retombées du travail à l’étranger se manifestent partout, sous la forme notamment de grandes maisons modernes qui se multiplient, souvent dans les quartiers pauvres. Tout le monde sait que c’est le moyen de gagner beaucoup d’argent, et beaucoup s’y essaient, y compris chez les plus pauvres.

Kamrul était par exemple travailleur agricole payé à la journée lorsqu’il a pris la décision de partir à l’étranger. En vendant les terres familiales qui lui restaient, et en s’endettant lourdement auprès de sa famille et de voisins, il est arrivé à Singapour. Il a connu quelques bonnes années avant de rentrer chez lui parce qu’il lui manquait des qualifications professionnelles formelles. Il a ramené assez d’argent pour rembourser ses dettes et devenir vendeur de thé. Son commerce a toutefois tourné court, comme celui de Riajul, faute d’arriver à recouvrer les sommes dues par les clients qui consomment à crédit.

Kamrul est reparti à l’étranger, cette fois-ci en Arabie saoudite, laissant sa femme découvrir avec horreur la montagne de dettes qu’il avait laissée derrière lui, auprès de voisins, de membres de sa famille et d’IMF. Il lui envoie maintenant de l’argent, mais elle reste dans une situation très difficile, ayant remboursé certaines dettes en empruntant de nouveau, comme en témoignent ses relevés d’opérations. Elle voudrait créer son propre commerce, mais son mari ne lui permet pas pour des raisons de conviction religieuse et de fierté familiale.

L’exemple de Kamrul montre qu’il existe des moyens de surmonter les contraintes financières à l’émigration. Avec suffisamment de détermination, même les plus pauvres peuvent réaliser leur rêve d’émigration. Et s’ils n’ont pas peur des risques, ils peuvent s’y essayer encore et encore. Dans le cas de Kamrul, il semble qu’une bonne dose d’égoïsme l’a aussi aidé à se décharger d’une partie du coût sur sa femme.

L’expérience de Kamrul et de Riajul fait écho aux conclusions d’une étude réalisée récemment au Bangladesh (FENU, 2018), qui montre que 73 % des commerçants vendent des produits à crédit à leurs clients. Beaucoup de commerçants attachent davantage d’importance aux relations commerciales qu’à la rentabilité de leur entreprise, même si cela n’est pas économiquement viable. Ils ont souvent peur de perdre leurs clients. Pour les petits commerçants, le recouvrement des sommes correspondant aux ventes à crédit représente l’un des principaux défis de la gestion de leur entreprise.

Micro-entreprise

Il est possible que ce soit l’existence même de la possibilité de partir à l’étranger qui incite beaucoup de personnes parmi les plus ambitieuses à s’expatrier au lieu de créer une micro-entreprise.

L’exemple de Rameza va dans ce sens. Elle possède un commerce relativement rentable de confection de gâteaux. Toutefois, après avoir élevé ses enfants et s’être lassée d’un mari qui ne la soutient pas, elle a décidé de partir en Arabie saoudite. Son agenda financier montre qu’elle a vendu son local commercial en bois et tôle ondulée au début du mois de novembre 2018. Deux semaines plus tard, elle a un passeport, un billet d’avion, la promesse d’un emploi, des robes et des chaussures neuves, et aussi quelques nouvelles dettes. Ses fils ont d’abord été atterrés. Comme Kamrul, ils se soucient de la réprobation sociale, mais au vu de sa détermination, ils la soutiennent maintenant dans son projet.

De son côté, Arun ne veut pas partir à l’étranger. Il est compétent, ambitieux et astucieux. Il habitait auparavant dans un district plus pauvre et a d’abord travaillé comme ouvrier sur des chantiers. À la fin de cette période, il était marié. Il s’est ensuite tourné vers la conduite de cyclo-pousse, mais n’a pas aimé ce travail, supportant mal l’attitude condescendante de certains clients.

Quand un commerçant sympathique lui a proposé de créer un commerce alimentaire en lui faisant l’avance de certains produits pour se lancer, il a sauté sur l’occasion. Depuis, il a installé son fils adolescent dans la même activité et a récemment ouvert un second point de vente, un magasin de bonbons attenant à un lycée. Il vend des produits cuisinés et a donc besoin de main d’œuvre supplémentaire. Pour le moment, il a fait venir un neveu de son village, mais il a conscience qu’il aura probablement besoin d’embaucher quelqu’un en dehors de sa famille, une étape importante qui représente un obstacle majeur au développement de son entreprise.

Revenons à Shiraz, dont la situation illustre ce problème de l’expansion. Il avait pensé partir à l’étranger, mais sa santé l’en avait dissuadé et il a décidé d’envoyer son frère à la place. Lorsqu’il n’est pas en train de peindre, Shiraz surveille la construction d’une nouvelle maison de famille, en grande partie financée par les envois d’argent de son frère. Shiraz est encore jeune et n’est pas marié. Pourquoi envisage-t-il donc d’abandonner son activité de peintre pour devenir vendeur de thé ? Parmi ses nombreuses raisons, il y en a deux qui se distinguent.

  1. Il pense qu’il ne pourra pas développer son activité parce que la concurrence est forte dans la zone qu’il peut couvrir autour de chez lui. Le développement de son entreprise impliquerait de faire un saut trop important en termes de nouveaux locaux, d’organisation pour stocker le matériel et d’embauche de personnel, avec peut-être un salarié permanent.
  2. Avec la nouvelle maison qui est presque terminée, sa priorité est la stabilité. Même si la vente de thé est susceptible de lui rapporter beaucoup moins d’argent que la peinture, il se dit que les revenus seraient plus réguliers, avec moins d’aléas, de capital à investir et de supervision.

Travail précaire sans qualification

Notre photo montre Ranjit en train de pédaler. Son cyclo-pousse est un vieux modèle qui fonctionne à la force musculaire, alors que les conducteurs de cyclo-pousse sont en train de passer rapidement à des cyclo-pousses électriques, qui sont plus rapides et ont la préférence des clients. Les revenus de Ranjit sont en baisse, alors qu’il est jeune et a besoin de subvenir aux besoins de sa femme et de ses trois enfants.

De l’autre côté du village, Rahman, après un échec en tant que maçon à son compte, a trouvé quelqu’un qui était disposé à lui vendre un cyclo-pousse électrique à crédit (« pay-as-you-go »). Il gagne environ 27,5 USD au taux de « parité du pouvoir d’achat » (PPA – nous utilisons ce taux dans tout l’article[1]) par jour en travaillant à toutes heures et rembourse sa dette à raison de 350 BDT (10,7 USD) par jour. Nos données montrent que ses remboursement ont été réguliers et quelques semaines plus tard, il avait acheté un cyclo-pousse électrique plus récent, en remboursant cette fois-ci 400 BDT (12,2 USD) par jour. À l’heure actuelle, il travaille avec son deuxième cyclo-pousse et loue le premier. Lorsqu’il aura remboursé ses dettes, ses revenus seront près de quatre fois supérieurs à ce qu’ils étaient lorsqu’il a commencé.

Pourquoi Ranjit ne fait-il pas comme Rahman ? En premier lieu, il explique qu’il n’a pas de place chez lui pour garer son cyclo-pousse, ni d’endroit pour charger la batterie. Il paye pour mettre son cyclo-pousse à l’abri pendant la nuit. En second lieu, les cyclo-pousses électriques coûtent cher, donc tout vol ou accident aurait de graves conséquences. En troisième lieu, ces véhicules ont besoin d’entretien et les batteries peuvent tomber en panne. Bien qu’il s’agisse de préoccupations légitimes, Rahman a été capable de les surmonter. Pourquoi Ranjit ne pourrait-il donc pas en faire de même ?

La raison en est probablement que Ranjit a un deuxième métier en tant que percussionniste dans l’orchestre du village. C’est un métier d’appoint en termes d’heures travaillées, mais qui lui procure de bons revenus pendant la saison des fêtes. Depuis que nous avons fait sa connaissance il y a quelques années, il est également devenu plus religieux et son activité de percussionniste représente un aspect important de sa vie spirituelle. Il se demande aussi : « qu’est-ce que je ferais chaque année avec un cyclo-pousse qui coûte cher pendant que je suis occupé avec l’orchestre ? ». Il reconnaît que la baisse de ses revenus de cyclo-pousse est un problème, mais il l’écarte d’un geste de la main en faisant état de vagues ambitions de changer de métier dans un avenir encore non défini.

Conclusions

Au sein de notre échantillon d’agendas financiers, les ménages qui possèdent une micro-entreprise affichent généralement des revenus plus élevés que ceux qui dépendent essentiellement d’emplois non qualifiés. Cela répond à la première question d’Ozler.

En ce qui concerne sa deuxième question, il existe en effet des ménages qui négligent la possibilité de créer une micro-entreprise, ainsi que des chefs d’entreprise qui se contentent d’une activité stagnante, ou qui préfèrent l’abandonner pour passer à un emploi non qualifié. Leurs motivations sont liées aux opportunités commerciales, à leurs qualités personnelles et aux pressions sociales. Lorsque des opportunités existent, l’aspect financier, souvent jugé crucial, ne semble pas aussi contraignant que les problèmes de gestion au quotidien, comme par exemple la gestion des équipements, du personnel, le recouvrement des créances et, dans une certaine mesure, la concurrence.

Les normes sociales peuvent également constituer un obstacle. Kamrul a interdit à sa femme d’ouvrir un commerce et Rameza a choqué ses fils en voulant partir à l’étranger. Les qualités personnelles telles que l’ambition, la confiance en soi, la détermination ou la volonté de prendre des risques jouent un rôle déterminant. Les relations familiales, et même la spiritualité, ont une influence. La formation ne joue qu’un rôle limité, au moins dans notre échantillon. Pour résoudre l’énigme d’Ozler, la sagacité pourrait s’avérer plus importante que les études.

Si les réponses à la question d’Ozler se rattachent à des « problèmes de gestion », des « traits de caractère », des « normes sociales » et autres aspects vaguement définis, nos conclusions sont-elles pour autant dénuées de sens ? Aurions-nous pu faire l’hypothèse de ces facteurs avant de commencer notre étude ? Peut-être. Mais le fait de les observer dans le cadre de situations réelles que nous avons suivies de près, jour après jour, pendant presque trois ans et demi, en fait des données d’observation et non de simples hypothèses de travail, ce qui fait toute la force de la méthode des agendas financiers quotidiens.


[1]
Le taux de « parité de pouvoir d’achat » (PPA) tient compte du fait que le pouvoir d’achat d’un dollar au Bangladesh est supérieur à celui d’un dollar aux États-Unis.

Références

  1. Ozler, B. (octobre 2018), Cash grants and poverty reduction
  2. FENU (septembre 2018), 
Landscape Assessment of Retail Micromerchants in Bangladesh, rédigé par Andrews, A. K. et Z. Aligishiev

Pendant la période d’enregistrement de ces données, nous avons initialement bénéficié du soutien du GCAP, puis du FENU, et depuis mi-2019 de L-IFT. Nous tenons à les en remercier.

Les fintechs à l’assaut de la finance islamique

Les fintechs à l’assaut de la finance islamique

Bocar Anne, février 2020

La finance islamique, un secteur en pleine croissance :

Depuis plus de deux décennies, l’industrie de la finance islamique qui fonctionne selon la loi islamique (charia) a connu une croissance exponentielle en termes d’actifs et de pénétration de marchés.  Selon le Rapport de l’Islamic Financial Services Board sur le développement de la finance islamique en 2019, les actifs de l’industrie conforme à la charia sont passés de 2,4 billions de dollars en 2017 à 2,5 billions de dollars en 2018, soit une hausse de 3 %.

Dans son rapport « Islamique Finance Outlook 2019 Edition », S&P Global Ratings a déclaré qu’à moyen terme, le secteur des fintechs pourrait entraîner certaines disruptions sur le marché de la finance islamique.

Mais c’est quoi une fintech islamique ?

La fintech « conventionnelle » et la fintech islamique partagent une définition similaire. Le principal point de divergence réside dans le fait que les directives de la charia doivent être respectées par la fintech islamique. L’adoption de la finance islamique par le biais des fintechs a une grande chance de toucher les masses, en particulier la population rurale qui a moins accès aux produits et services financiers. Le marché des fintechs islamiques en est encore à ses prémices mais recèle de nombreuses opportunités de croissance.

L’Indonésie, suivie par les États-Unis, les Émirats arabes unis et le Royaume-Uni, présente le plus grand nombre de startups fintechs islamiques. Les pays d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne sont à la traîne en raison de la qualité de leurs infrastructures, du manque de capitaux, de l’adoption limitée du digital – à quelques exceptions près – et de la faiblesse des régulateurs. Le coût élevé de l’internet, le manque de cadre réglementaire favorisant l’innovation tel que les sandbox, « bac à sable règlementaire », et le niveau d’éducation digitale requis pour permettre aux personnes de tirer parti des bénéfices de l’internet en sont les principales contraintes. Cependant, selon Moody’s, en Afrique les actifs bancaires islamiques devraient augmenter de 10 % au cours des cinq prochaines années dans le total des actifs bancaires.

Avec plus de 90 fintechs islamiques dans le monde offrant des solutions de services financiers et adoptant une approche inclusive au service des clients, plus de la moitié se concentrent sur la fourniture de solutions technologiques de pair à pair (P2P) pour faciliter le financement des consommateurs et des entreprises, tout en ouvrant simultanément l’accès au marché aux particuliers et aux investisseurs institutionnels.

Les services de transferts et de paiements via la technologie blockchain et la gestion des finances personnelles, dont les solutions d’open Banking, apparaissent être les secteurs à plus forte concentration et croissance. Ils sont proposés par les fintechs basées sur la blockchain et les contrats intelligents (Smart Contracts), qui fournissent des outils et des mécanismes potentiellement puissants pour répondre aux besoins de partage des risques, établir la confiance et faire en sorte que le partage soit fondé sur l’équité et la transparence, valeurs principales de la finance islamique. Par conséquent, les applications fintechs et blockchain ne sont pas seulement des canaux de fusion de la technologie avec la finance islamique, elles établissent également les bases de la nouvelle économie digitale islamique qui doit être construite et entretenue comme une solution solide pour la croissance, la création d’emplois et la résolution des problèmes auxquels les pays islamiques sont confrontés.

La prolifération des fintechs dans tous les secteurs financiers n’est pas passée inaperçue aux yeux des dirigeants de l’industrie de la finance islamique. En effet, au sein des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) où la finance islamique joue un rôle important, la fintech a favorisé une transformation dynamique de l’offre financière des marchés régionaux. Des pays comme le Bahreïn et les Émirats arabes unis ont créé des incubateurs et des accélérateurs pour aider à mettre sur pied et à faire fonctionner des entreprises technologiques innovantes. L’émergence de plusieurs banques islamiques digitales est également en train de réorganiser le secteur en étendant la portée de la finance islamique au-delà du CCG, y compris en Europe et en Afrique.

En Afrique particulièrement, plusieurs initiatives continuent à voir le jour, à l’image du Sommet Africain de la Fintech islamique (SAIFI) qui vise à favoriser le transfert et l’échange d’informations et d’expériences sur les dernières avancées technologiques, afin d’accélérer l’inclusion financière.

Quelques exemples de fintechs islamiques :

EthisCrowd est une plateforme de crowdfunding islamique investissant dans des activités entrepreneuriales, commerciales et immobilières dans l’Asie émergente. Basée à Singapour, et présente en Indonésie, en Malaisie et en Australie, la société finance la construction de logements abordables et commerciaux, principalement en Indonésie, par le biais d’investisseurs privés et institutionnels, ainsi que de banques islamiques.

PayZakat est la plus récente plateforme fintech islamique qui utilise des chatbots basés sur l’intelligence artificielle (IA) et des outils digitaux entièrement nouveaux pour aider les utilisateurs à effectuer des paiements de Zakat (un impôt sur la fortune obligatoire), Sadaqah (un paiement d’aumône non obligatoire) et autres paiements de charité. L’utilisateur peut sélectionner un pays et une organisation caritative spécifique dans ce pays pour l’aider.

Défis des fintechs islamiques :

Bien que l’écosystème de la fintech islamique ait considérablement évolué, il y a eu une nette concentration dans la finance de pair à pair (P2P), pour répondre au besoin critique de rendre le financement conforme à la charia plus accessible aux entreprises et aux consommateurs. L’accès au capital est considéré comme le principal obstacle à la croissance des fintechs islamiques. La disponibilité de talents, l’éducation des clients, la réglementation et l’expansion à d’autres juridictions mondiales sont d’autres obstacles importants. Ces obstacles sont en parfaite adéquation, à quelques degrés près, avec les résultats de nos travaux de recherches en Inde pour la mise en place d’un lab d’innovation pour les fintechs et en Afrique francophone sur le paysage des fintechs inclusives. Ils s’accordent également avec les enseignements tirés de nos activités avec le laboratoire d’incubation de l’opérateur de téléphonie mobile Expresso au Sénégal.

Il est important de noter que la certification charia est souvent nécessaire afin que les clients sensibles à la légalité des services offerts soient formellement rassurés sur le respect de la charia. Cette authentification consiste à avoir l’approbation d’éminents spécialistes de la charia, qui examinent et certifient la compatibilité de la fintech en termes de processus opérationnels, de documentation, d’activité commerciale et de gestion des relations.

Nécessité de partenariats :

Selon le dernier rapport sur les fintechs islamiques, les secteurs de croissance pour les startups de la fintech islamique en 2020 incluent la technologie P2P et le crowdfunding, la banque digitale ou Néo-banque, la blockchain et cryptomonnaie, le Robo-Advisory, la gestion des finances personnelles et le crédit.

Quels que soient les secteurs et les régions, les partenariats pour la croissance sont une stratégie importante pour les fintechs islamiques. À cet égard, la plus grande force d’attraction pour les fintechs islamiques a été avec leurs pairs conventionnels.

Le cas d’Al Baraka en Turquie, qui a créé un accélérateur, est un exemple important dont on peut s’inspirer – les banques qui travaillent avec les fintechs pour accélérer l’innovation sont en bien meilleure position pour améliorer leur offre de services et atteindre la masse. En Afrique, Tamweel Africa Holding s’est lancé dans cette perspective avec son concours « Tamweel Innovation Challenge », ayant pour but de promouvoir le partenariat banque/fintech et encourager l’innovation.

Bien qu’encore à ses prémices, le marché des fintechs islamiques présente de nombreuses opportunités à saisir. Basées sur les principes de la charia, loin des questions de taux d’intérêt, d’usure et de spéculation, les fintechs islamiques offrent des opportunités intéressantes pour offrir une meilleure stabilité financière et le bien-être social des populations, malgré de nombreux obstacles liés à la réglementation, la connaissance et l’adoption. Dans notre prochain blog nous mettrons en avant l’ensemble des problématiques que la finance islamique peut résoudre pour une meilleure inclusion financière, économique et sociale.

Repu et pourtant sous-alimenté ? Comment passer de la sécurité alimentaire à la sécurité nutritionnelle en Inde

Repu et pourtant sous-alimenté ? Comment passer de la sécurité alimentaire à la sécurité nutritionnelle en Inde

Mitul ThapliyalPuneet Khanduja et Neha Parakh, janvier 2020

Cela fait plus de 30 ans que l’Inde est parvenue à l’autosuffisance alimentaire, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Bien que le pays produise aujourd’hui de quoi nourrir l’ensemble de ses habitants, il a connu pendant plusieurs décennies des famines récurrentes. Pour faire face à cette situation, les pouvoirs publics ont renforcé le système de distribution publique pour éviter les importantes pertes en vies humaines résultant de famines à grande échelle. La distribution contrôlée et systématique de céréales a commencé pendant la colonisation britannique au moment de la Deuxième guerre mondiale. Après l’accession du pays à l’indépendance, le gouvernement a modifié à plusieurs reprises son système de distribution publique de céréales essentielles (appelé Public Distribution System ou « PDS ») pour répondre aux différents enjeux de la sécurité alimentaire : ciblage, approvisionnement, stockage et transport des céréales vers les différentes régions du pays.

À l’heure actuelle, le PDS est régi par le National Food Security Act (NFSA), qui garantit un complément de céréales alimentaires à 50 % des ménages urbains et 75 % des ménages ruraux du pays. Le PDS touche ainsi presque 800 millions de personnes dans tout le pays. Avec le NFSA, le PDS a considérablement amélioré l’accès de la population aux céréales alimentaires en couvrant une partie substantielle des besoins en céréales de la plupart des ménages les plus défavorisés. Cependant, cette amélioration de l’accès à l’alimentation est loin de correspondre à une alimentation optimale.

L’accent mis sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle au niveau mondial

Il existe une prise de conscience croissante de cette réalité au sein du secteur du développement. À l’échelon mondial, les approches modernes de la sécurité alimentaire sont évaluées sur la base de résultats nutritionnels, et pas seulement en termes d’accès à l’alimentation. Ces programmes ont pour but de garantir une alimentation adaptée à chacun au moyen d’une approche fondée sur l’écosystème global. Par exemple, le programme « Défi Faim Zéro » des Nations Unies a pour but de garantir que chacun puisse bénéficier du droit à une alimentation adéquate, en autonomisant les femmes, en privilégiant l’agriculture familiale et en aidant les systèmes alimentaires du monde entier à devenir durables et résilients.

Des pays comme les États-Unis ont également adopté une approche holistique de la sécurité alimentaire, dans le cadre notamment du Supplemental Nutrition Assistance Program (SNAP). De la même manière, le programme d’aide alimentaire aux réfugiés administré par le Programme alimentaire mondial se focalise sur la santé, l’alimentation et aussi la nutrition. À plus grande échelle, des initiatives comme l’Indice de la faim dans le monde se concentrent sur des indicateurs de sécurité alimentaire, de nutrition et de santé pour évaluer et surveiller la faim au niveau mondial, régional et national.

Les conséquences d’une mauvaise nutrition en Inde

L’Inde n’a pas encore fait de la nutrition se première priorité. Au cours des dernières décennies, des programmes comme le PDS, le Mid-Day-Meal (MDM – repas de midi) et les Services intégrés pour le développement de l’enfant (ICDS) ont évolué pour s’améliorer à de nombreux égards. Cependant, ces efforts ne semblent pas avoir affecté de façon positive les indicateurs nutritionnels du pays. Une population sous-alimentée pèse sur la croissance économique du pays en entraînant une perte de productivité et des coûts de santé qui pourraient être évités. La Banque mondiale estime que l’Inde perd ainsi plus de 12 milliards de dollars de PIB chaque année en raison des carences en vitamines et sels minéraux de sa population.

L’impact d’une mauvaise nutrition va toutefois bien au-delà des chiffres de productivité. L’enquête nationale sur la nutrition (Comprehensive National Nutrition Survey) de 2016-18 montre que 35 % des enfants indiens âgés de moins de cinq ans et 22 % des enfants de cinq à neuf ans souffrent de retards de croissance. Le rapport constate en outre que 33 % des enfants de moins de cinq ans et 10 % des enfants de cinq à neuf ans présentent une insuffisance pondérale. Même chez les adolescents de 10 à 19 ans, il est noté que 24 % d’entre eux sont minces pour leur âge. Ces statistiques sont confirmées par l’enquête nationale sur la santé familiale (National Family Health Survey) de 2015-16. Avec des programmes aussi anciens que le PDS qui s’efforcent d’améliorer l’accès des populations défavorisées aux céréales alimentaires, qu’est-ce qui explique la persistance de ces problèmes nutritionnels ?

Identifier les lacunes des programmes nutritionnels de l’Inde

MSC s’est efforcé d’apporter des réponses à cette question. Une étude achevée en août 2019 évalue le fossé nutritionnel des ménages qui bénéficient des prestations du PDS. Elle constate qu’en moyenne, les céréales du PDS représentent environ 40 % de la consommation mensuelle effective moyenne de céréales des bénéficiaires au niveau des ménages (le terme « céréales alimentaires » désigne ici le riz, le blé, les légumineuses et le mil, qui constituent la base de tous les repas en Inde).

L’étude constate également que la plupart des segments de bénéficiaires (hommes, femmes, femmes enceintes, femmes allaitantes et enfants) ont des niveaux peu élevés de macronutriment et micronutriments de base, tels que les protéines, les matières grasses, le calcium, le fer ou l’acide folique. Il est clair que les changements opérationnels apportés au ciblage et à la portée du PDS au fil des années n’ont pas conduit à une amélioration significative des apports nutritifs des bénéficiaires. De la même manière, la contribution des programmes MDM et ICDS aux apports nutritifs des femmes enceintes, des femmes allaitantes et des enfants n’apparaît pas optimale.

L’une des raisons majeures et évidentes de cette sous-alimentation est le manque de variété du régime alimentaire. Paradoxalement, le PDS, qui fournit principalement du riz ou du blé (ou les deux) semble en partie responsable de ces habitudes alimentaires peu variées : il fixe les normes et les produits alimentaires de base qu’il distribue sont souvent les mêmes céréales que les ménages bénéficiaires cultivent pour leur propre consommation. De plus, les pratiques actuelles du PDS sont tellement enracinées dans l’esprit des bénéficiaires qu’ils sont peu enclins à accepter des changements dans les paniers alimentaires distribués par le programme. Le gouvernement de l’État de l’Andhra Pradesh a par exemple mis en place une initiative louable d’élargissement des denrées alimentaires distribuées au titre du PDS pour y inclure de la farine d’éleusine (une bonne source d’énergie, de protéines, de vitamines et de sels minéraux), des pois cajans et des arachides. L’étude de MSC révèle toutefois que la plupart des bénéficiaires évitent ces aliments et consomment uniquement le riz provenant des paniers alimentaires.

Comment l’Inde peut-elle passer de la sécurité alimentaire à la sécurité nutritionnelle ?

À la lumière de nos observations, il est clair qu’au-delà des changements d’alimentation, il est nécessaire d’intégrer des connaissances nutritionnelles aux interventions qui ont pour ambition d’améliorer les statistiques nutritionnelles. Des études réalisées dans d’autres pays sur les résultats nutritionnels à grande échelle montrent que les habitudes et les choix alimentaires sont influencés par un large éventail de facteurs, dont notamment la situation socio-économique, le profil démographique, l’ethnicité, la facilité, la publicité et même des facteurs biologiques. Il a également été démontré que la perspective de faire des économies sur les frais de santé peut influencer les choix alimentaires.

Compte tenu de ces influences, ainsi que des réalités de terrain qui facilitent l’accès à des aliments plus nutritifs et encouragent la propension à choisir ces aliments, MSC estime qu’une stratégie globale facilitera la transition de la sécurité alimentaire vers la sécurité nutritionnelle. Les professionnels devraient intégrer des modifications aux programmes existants et mettre en place des « coups de pouce » pour influencer le comportement des bénéficiaires au moyen du renforcement positif et de suggestions indirectes. Nous recommandons de combiner les suggestions suivantes :

Examinons ces suggestions plus en détail :

  • Les paniers alimentaires du PDS devraient inclure des aliments plus variés, comme par exemple des mils locaux comme le ragi ou le jowar, qui sont moins chers que le riz ou le blé. Le programme pourrait se servir des fonds ainsi économisés pour fournir des lentilles subventionnées aux bénéficiaires. Ces initiatives permettraient de garantir une alimentation plus variée chez les bénéficiaires. Il est nécessaire qu’elles s’accompagnent de campagnes de sensibilisation aux aspects nutritionnels pour favoriser leur adoption et leur pénétration au sein des populations visées.
  • Parmi nos recommandations, la plus simple et la moins coûteuse à mettre en œuvre est l’enrichissement des aliments, à réaliser selon les directives de l’OMS pour sélectionner des méthodes et des niveaux d’enrichissement adaptés.
  • Plusieurs études montrent que le fait de donner le choix aux bénéficiaires, dans le cadre par exemple de versements en espèces qui leur permettent d’acheter les aliments et la qualité qu’ils souhaitent, améliore les résultats nutritionnels des programmes de sécurité alimentaire. Les programmes existants de prestations en espèces des territoires de l’union en Inde devraient être analysés de façon plus approfondie pour être améliorés et reproduits dans d’autres régions du pays. Le modèle des bons en espèces (dans lequel une combinaison de bons d’achat et de bons alimentaires permet aux bénéficiaires d’acheter certains aliments dans la limite du plafond d’achat) devrait également faire l’objet de tests supplémentaires pour déterminer sa viabilité au niveau national.
  • Les programmes existants comme Poshan Abhiyaan, Anemia Mukt Bharat et les comités villageois de santé, d’assainissement et de nutrition sont tous conçus avec d’excellents objectifs. Plusieurs rapports font toutefois ressortir des problèmes de mise en œuvre. Il serait nécessaire d’améliorer la surveillance de terrain et la formation dispensée dans le cadre de ces programmes pour garantir une meilleure mise en œuvre.
  • L’Inde devrait utiliser des approches fondées sur les sciences du comportement qui se focalisent sur la responsabilisation des communautés locales (en favorisant des changements durables qui se transforment en habitudes à long terme à la place des interventions qui n’apportent que des avantages ponctuels ou de courte durée). Ces approches auraient pour but d’élaborer des solutions pratiques et applicables pour aider les bénéficiaires de ces programmes à adopter de bonnes habitudes alimentaires. Associées à des campagnes de développement des connaissances nutritionnelles, les interventions de cette nature contribueraient à résoudre les problèmes de demande qui entravent les bonnes pratiques de nutrition.
  • L’intégration de micronutriments supplémentaires dans les programmes de nutrition existants, tels que le MDM ou les ICDS, est nécessaire pour améliorer les résultats nutritionnels. La surveillance des chaînes d’approvisionnement et la gestion des données devraient également être renforcées. L’intégration de technologies aux systèmes de distribution de ces programmes permettra également d’améliorer leur efficacité et leur efficience

Quel peut être le rôle du secteur privé ?

Les recommandations ci-dessus offrent plusieurs opportunités d’implication du secteur privé. Les partenariats public-privé peuvent jouer un rôle important dans la transition vers la sécurité nutritionnelle, en rapprochant les experts, les institutions et les organisations susceptibles d’aider les pouvoirs publics à mettre en œuvre différents programmes axés sur la nutrition. Cette collaboration pourrait porter sur les aspects suivants :

  • Stratégie : les entités du secteur privé peuvent être impliquées dans la définition des stratégies et des feuilles de route pour les nouvelles initiatives publiques. Ces interventions peuvent concerner différents aspects tels que la recherche, la défense d’intérêts, les études d’impact, etc.
  • Partenariats de soutien à la mise en œuvre : les acteurs du secteur privé peuvent apporter leur soutien aux pouvoirs publics dans le cadre du lancement à grande échelle des programmes, comme c’est le cas pour de nombreux autres programmes de protection sociale gérés par les pouvoirs publics. Ces fonctions de soutien peuvent inclure la surveillance, l’évaluation et les contrôles.
  • Chaînes d’approvisionnement et achats : ce domaine pourrait offrir d’autres opportunités d’implication du secteur privé pour la fourniture de micronutriments et la gestion du processus d’enrichissement. Les aliments enrichis pourraient facilement remplacer les aliments distribués dans le cadre des programmes existants tels que le PDS, MDM et ICDS sans grand changement au niveau des canaux de distribution et de la logistique.
  • Connaissances nutritionnelles : cet aspect est l’un des grands facteurs de la persistance de niveaux élevés de malnutrition au sein du pays. Il est nécessaire de trouver des alternatives aux approches inefficaces et les acteurs du secteur privé pourraient offrir de nouvelles options pour développer les connaissances nutritionnelles de la population.

Les prévisions de croissance économique de l’Inde reposent sur l’hypothèse qu’avec une population jeune, son économie continuera probablement de connaître une croissance rapide. Mais l’Inde aura du mal à concrétiser cette croissance si ses habitants sont privés des nutriments et de l’énergie qui leur sont nécessaires pour participer pleinement à la société. C’est la raison pour laquelle il est impératif que le pays optimise sa politique alimentaire pour l’avenir. Les recommandations ci-dessus pourraient guider la conception des programmes alimentaires des pouvoirs publics pour permettre au pays d’entamer sa longue marche vers la sécurité nutritionnelle.

Cet article a été initialement publié dans Next Billion le 29 janvier 2020

Concevez des produits et services sans considérer le client et dirigez-vous tout droit vers l’échec !

Abdoul Milingita

Sur les 37 millions de comptes ouverts en 2018 dans la zone de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) par les sociétés Emettrices de Monnaie Electronique (EME), 52% (soit 19 millions) sont des comptes inactifs ou dormants. Deux conditions doivent être réunies pour parler d’un compte inactif ou dormant :

  • L’absence d’opération: Aucune opération enregistrée, hormis la perception des frais, versements d’intérêts. Les comptes gelés par décision de justice et les comptes de dépôt à terme, font exception.
  • L’absence du titulaire: Le titulaire du compte ou son représentant légal ne doit pas s’être manifesté « sous quelque forme que ce soit », auprès de la banque pendant une certaine période (90 jours pour la BCEAO). Il ne doit pas, non plus, avoir effectué d’opérations sur un autre compte ouvert à son nom dans la même institution.

Dans les institutions bancaires où le nombre de comptes clients s’élève à 12 millions, la tendance n’est pas loin d’être la même (rapport BCEAO, 2018). Quels que soient les segments servis, il est essentiel d’élaborer des propositions de valeur convaincantes à l’intention des consommateurs.

En effet, de nos jours, force est de constater que plusieurs institutions financières peinent à vendre certains de leurs produits et services. Une banque ou une compagnie d’assurance peut par exemple, avoir dix produits ou services mais seulement deux sont utilisés par les clients. Aussi, plusieurs comptes ouverts par les clients sont utilisés pendant une certaine période (souvent moins d’une année) ou restent totalement inutilisés. Il semblerait que la plus grande difficulté soit liée à la conception de produits et services pour les pauvres.

Quelles pourraient être les raisons derrière le faible taux d’utilisation des produits et services financiers ? Pourquoi les clients finissent-ils par abandonner au bout d’un moment leurs comptes ? L’une des raisons réside dans la conception de ces produits et services.

De nombreuses institutions se sont lancées aveuglement dans une concurrence en introduisant sur le marché des produits et services qui ne répondent pas exactement aux besoins des clients. Dans cette ère où la concurrence et la technologie dans les secteurs bancaires et les assurances ont atteint un niveau supérieur, Il est vrai que proposer des produits « innovants » est nécessaire pour survivre dans un environnement en constante évolution mais cela n’est peut-être pas suffisant. En effet, ces institutions offrent une pléthore de produits et services auxquels les clients ne souscrivent pas ou dans le pire des cas souscrivent suite à des campagnes de marketing de masse mais ne les utilisent pas. Ainsi concevoir des produits et services pour les clients sans les impliquer dans tout le processus de conception se présente comme une grave erreur qui résulte en une perte de temps, de ressources financières et humaines investies par l’institution. Aussi, Il faut noter qu’un produit qui indique un fort taux d’utilisation par les clients d’une entreprise X peut ne pas avoir les mêmes résultats avec les clients de l’institution Y quand bien même ceux-ci se trouveraient dans le même lieu. Une étude minutieuse s’avère importante pour chaque marché spécifique. Par ailleurs, la gestion des comptes inactifs (surtout ceux qui ont plus de 8 ans d’inactivité) dans toutes ces étapes (depuis la déclaration de l’état d’inactivité jusqu’au transfert du solde à la BCEAO en passant par la recherche des titulaires de ces comptes) est très exigeante et sensible pour les institutions financières comme le stipule l’instruction de 2014 de la BCEAO et, peut se révéler être une source potentielle de litiges qui pourraient opposer les institutions et les titulaires des comptes.

Selon l’étude menée en Côte d’Ivoire par MicroSave Consulting (MSC) sur les comportements des utilisateurs, la conception de produits et services qui répondent parfaitement aux besoins des clients ne doit pas seulement se limiter à l’innovation et la diversité mais bien aller au-delà tout en analysant les comportements psychologiques des utilisateurs finaux. Aussi, une bonne conception des produits doit être centrée sur l’humain (les clients). A cet effet, plusieurs approches sont utilisées aujourd’hui pour concevoir des produits centrés sur les clients et qui répondent réellement à leurs besoins. Parmi ces différentes approches : la méthode MI4ID (Market Insights for Innovation and Design), une approche socio-comportementale, adaptable et exclusive à MSC, qui place l’empathie au centre de la recherche pour idéaliser, concevoir et tester le prototype. MSC améliore l’expérience de ses clients grâce à cette approche créative et axée sur le marché.

Basée sur un processus itératif en trois piliers constitutifs (Découvrir-Envisager-Construire), l’approche MI4ID permet d’obtenir des idées réalisables et des innovations révolutionnaires dans la conception et la distribution des services financiers. Elle part de la définition et la compréhension du problème tout en identifiant dans le parcours-client, l’étape où se situent les besoins réels du client et auxquels le produit ou le service donnera satisfaction. Ensuite, elle combine les priorités stratégiques de l’institution avec une pensée créative en matière de conception (Creative Design Thinking) dans un environnement bien déterminé, se traduisant par des offres supérieures et robustes sur le marché.

 

Au-delà d’être simplement une approche, elle est devenue une manière spontanée de penser. Elle est ce « mindset » qui conduit à la compréhension de plusieurs aspects et éléments entre autres : le comportement financier des clients, la cartographie du parcours client, la conception de nouveaux produits personnalisés à la clientèle, l’analyse de la satisfaction des clients, la segmentation de la clientèle, l’amélioration de la valeur du produit, etc.

Bien qu’il n’existe pas de procédé miracle pour la réussite dans la conception des produits, l’approche MI4ID a fait ses preuves dans plusieurs institutions. En effet, en collaboration avec plusieurs institutions depuis plus de 20 ans, MSC a effectué des recherches se basant sur l’approche MI4ID pour développer plus de 200 produits dont des produits de financement agricole au Kenya, en Ouganda, en Ethiopie et au Ghana, des produits fintech pour les marchés à faibles revenus. MSC a également donné une formation sur le développement et la mise en œuvre de produits pour les institutions financières à l’Institut Boulder de la microfinance et a émis des réflexions sur l’apport des paris sportifs dans la conception de produits d’épargne. En outre, le cabinet-conseil a accompagné Equity Bank Ltd au Kenya qui touche actuellement plus de 13,5 millions de clients dans 6 pays dans sa transformation digitale et a participé au développement de produits et agences bancaires pour la dite banque.« L’approche MI4ID de MSC axée sur le marché a été le facteur de différenciation clé qui a permis la croissance phénoménale d’Equity » affirme Dr James Mwangi, son PDG. Depuis 2014, Equity Bank se concentre sur les innovations technologiques centrées sur le client pour rendre l’expérience bancaire passionnante au segment de population de faible et moyen revenu.

Il vous tient à cœur d’offrir des produits et services financiers digitaux centrés sur le client et ainsi atteindre des taux d’adoption et d’utilisation jamais atteints auparavant ? Vous aimeriez découvrir la méthode MI4ID ? Rejoignez la formation « Concevoir et commercialiser les services financiers digitaux » proposée par l’Institut Helix de Finance Digitale.

Une pomme par jour ne suffit pas : l’importance d’une alimentation variée

Une pomme par jour ne suffit pas : l’importance d’une alimentation variée

Neha ParakhPuneet KhandujaMitul Thapliyal et Vijay Ravi, janvier 2020

En juillet 2019, MSC a entrepris une étude qui avait pour but d’évaluer les carences nutritionnelles des ménages1 bénéficiaires du Public Distribution System (PDS).2 L’étude a été réalisée dans le district de Ranchi dans l’État du Jharkhand et dans le district de West Godavari de l’État de l’Andhra Pradesh en Inde. Les personnes interrogées dans le cadre de l’étude étaient des femmes, qui appartenaient pour la plupart à des ménages au sein desquels le principal soutien de famille était un travailleur journalier effectuant des travaux pénibles.3 L’étude révèle que la population ciblée a une alimentation qui manque cruellement de diversité.4

Les personnes interrogées indiquent que les céréales de base telles que le riz ou le blé représentent une grande partie de leur consommation alimentaire quotidienne, avec peu ou pas de légumineuses, légumes, de viande ou de fruits. La plupart d’entre elles ne consomment même pas de produits laitiers.

Plusieurs facteurs socio-économiques expliquent le manque de diversité du régime alimentaire des personnes interrogées. Le principal problème est la disponibilité et le coût des aliments. La production laitière est par exemple peu répandue dans la région où nous avons réalisé notre étude et beaucoup de fruits et légumes ne sont pas cultivés localement. Malgré l’existence d’alternatives alimentaires peu coûteuses sur les marchés locaux, les personnes interrogées n’avaient pas conscience de leur importance nutritionnelle.

Dans le tableau ci-dessous, nous comparons les apports nutritifs du régime alimentaire le plus courant à ceux d’une alimentation qui intègre des produits locaux.

Remarque : tous les chiffres sont calculés sur la base de recettes standard telles que décrites par l’Institut national de la nutrition (NIN).

* Le remplacement des pommes de terre par des légumes verts locaux augmenterait encore plus les apports nutritifs, même si c’est seulement trois fois par semaine.

# Le jawa est une boisson saine fabriquée à partir de ragi (Eleusine coracana ou millet coracan), également appelée bière de ragi.

Ce tableau fait ressortir toute l’importance d’intégrer différents aliments locaux5 dans l’alimentation.

Il est en effet nécessaire de consommer des aliments variés pour profiter de leurs avantages nutritifs respectifs. Les aliments disponibles localement représentent une option accessible et peu coûteuse pour améliorer les résultats nutritionnels sans modifier les habitudes alimentaires de la communauté. Par exemple, le remplacement du riz par du roti (pain sans levain) et des pommes de terre par des œufs, en ajoutant également du mil, pourrait apporter 404 kcal d’énergie supplémentaire avec 18 g de protéines supplémentaires, deux fois plus de matières grasses, 412 mg de calcium, 10 g de fer, 152 g de magnésium, 5 mg de zinc et 51 µg d’acid folique en plus. Les conséquences nutritionnelles seraient certainement substantielles si ces changements étaient adoptés de façon régulière au niveau des ménages.

Le système actuel de PDS est en grande partie responsable du manque de diversité de l’alimentation des bénéficiaires. Il représente en moyenne 40 %6 des céréales alimentaires7 consommées par ces derniers. MSC recommande que le gouvernement central et les gouvernements locaux travaillent de concert à la mise en œuvre de changements de politique pour remédier à ce problème. Il est nécessaire de regarder au-delà de la faim pour mettre également l’accent sur la nutrition. Les programmes existants qui touchent une large population, comme par exemple le PDS, les Services intégrés pour le développement de l’enfant (ICDS), et l’initiative « Mid-day Meal » (MDM : repas de midi), devraient être utilisés pour promouvoir la diversité alimentaire. Les pouvoirs publics devraient envisager d’ajouter des produits locaux aux paniers du PDS, comme par exemple des mils ou des légumineuses, car ils coûtent moins cher et contiennent davantage d’éléments nutritifs.

La disponibilité et le coût des aliments sont les principaux critères qui influencent les choix alimentaires. Les gouvernements des différents États devraient s’inspirer de l’expérience de l’Andhra Pradesh et des quelques autres États qui offrent un éventail plus large d’aliments dans leurs paniers PDS. Cela ne pallie toutefois que les problèmes liés à l’offre. Les connaissances nutritionnelles8 sont donc essentielles pour garantir l’adoption d’aliments plus variés dans les paniers PDS. Les pouvoirs publics ont un rôle décisif à jouer pour améliorer la connaissance de la nutrition en concevant des campagnes de sensibilisation et des « coups de pouce » (ou encouragements) comportementaux pour favoriser une meilleure compréhension de la diversité alimentaire. Nous examinons les aspects du PDS liés à la demande dans un autre article de cette série.

Des apports nutritifs adéquats sont indispensables à une bonne santé. Une personne en bonne santé est plus productive, va moins souvent chez le médecin et a moins besoin de compléments alimentaires. Une bonne nutrition dans le cadre d’un régime alimentaire diversifié produit des effets en cascade : les femmes qui ont une alimentation équilibrée ont plus de chances de donner naissance à des enfants en bonne santé, ce qui prépare le terrain à une enfance en bonne santé. De la même manière, une famille qui a une alimentation équilibrée est davantage susceptible d’être en forme pour travailler, d’être heureuse et de prospérer tout en économisant des sommes significatives en soins de santé.

La diversification de l’alimentation n’est pas un concept compliqué : il s’agit de consommer des aliments variés pour garantir un apport adéquat de différents macronutriments et micronutriments, ce qui se traduit par une vie en meilleure santé.9 Une alimentation équilibrée n’a pas besoin d’être une alimentation coûteuse ou luxueuse. La diversité peut parfaitement provenir d’aliments disponibles localement ou de la consommation de plats traditionnels. Des changements même limités dans les choix alimentaires quotidiens peuvent améliorer les apports nutritifs pour un coût faible ou inexistant.

Références

  1. Guide pour mesurer la diversité alimentaire au niveau du ménage et de l’individu, FAO, 2013
  2. Le PDS couvre plus de 800 millions de personnes dans tout le pays.
  3. Les travaux pénibles désignent le travail manuel et les activités physiques intenses, comme par exemple labourer à la main, couper du bois, transporter des charges importantes ou courir. Les apports nutritifs recommandés pour les adultes dépendent de la nature du travail effectué.
  4. La diversité alimentaire est définie comme le nombre d’aliments ou de catégories d’aliments consommés sur une période de référence donnée.
  5. Pourquoi nous avons besoin de bien manger, FAO, 2004
  6. 40 % est la part des céréales du PDS dans la consommation moyenne mensuelle de céréales des bénéficiaires.
  7. Les céréales forment la base de tous les repas en Inde. Le terme « céréales alimentaires » désigne le riz, le blé, les légumineuses et les différentes espèces de mil (ou millet).
  8. Les connaissances nutritionnelles reflètent la mesure dans laquelle les personnes ont la capacité de se procurer, de lire et de comprendre des informations nutritionnelles de base.
  9. Dietary diversity is associated with child nutritional status [La diversité alimentaire est associée au statut nutritionnel de l’enfant]: Oxford academic, 2004