Les réponses à l’impact financier de la COVID-19 au moyen des transferts monétaires sociaux et des infrastructures de paiement digital

Les réponses à l’impact financier de la COVID-19 au moyen des transferts monétaires sociaux et des infrastructures de paiement digital

Caroline Pulver, mai 2020

Les pays disposant d’une infrastructure de paiement digital bien établie et de systèmes de transferts sociaux réactifs aux chocs ont été en mesure de réagir rapidement aux conséquences négatives de la crise de la COVID-19. Une réponse plus rapide peut réduire l’impact financier sur les pauvres. Cela signifie que les bénéficiaires n’ont pas à recourir à des mécanismes d’adaptation négatifs, tels que la vente d’actifs productifs (bétail ou outils), qui risquent de compromettre leur capacité à subvenir à leurs besoins et à se rétablir financièrement à long terme.

L’utilisation de mécanismes de distribution numériques à la place de la distribution physique d’argent ou de colis alimentaires est un avantage, car elle favorise la distanciation sociale, réduisant ainsi le risque de propagation de la maladie. Les premières réponses aux impacts économiques de la COVID-19 peuvent également servir de guide aux gouvernements d’autres pays, car elles illustrent plusieurs mesures de mise en œuvre des réponses gouvernementales, qu’il s’agisse de mesures de dépannage à court terme ou d’investissements à long terme.

David R. Malpass, président du Groupe de la Banque mondiale, a déclaré que les défis posés par la pandémie de COVID-19 représentaient « une crise sans précédent, avec des effets dévastateurs sur la santé, l’économie et la société dans le monde entier », alertant que : « Si nous n’agissons pas rapidement pour renforcer les systèmes et la résilience, ce sont les acquis du développement engrangés ces dernières années qui pourraient facilement être anéantis ». Et si le monde entier pâtit des effets de la pandémie, « cette crise frappera probablement le plus durement les pays — et les populations — les plus pauvres et les plus vulnérables », a-t-il déclaré.[1]

En date du 1er mai 2020, 159 pays avaient prévu, introduit ou adapté 752 mesures de protection sociale et d’emploi en réponse à la pandémie. Le nombre de pays ayant pris des mesures de protection sociale a augmenté de façon spectaculaire, passant de 45 pays au 20 mars à 151 pays au 24 avril. Les premières estimations des investissements consacrés à la protection sociale en réponse à la COVID-19 s’élèvent à plus de 567 milliards de dollars (USD).

Parmi les catégories d’interventions, l’assistance sociale ou les transferts non contributifs sont les plus utilisés, représentant 60 % de la réponse globale (455 mesures), suivis des actions dans le domaine de l’assurance sociale (27 %) et des programmes tournés vers l’offre d’emploi (13 %). Au sein de l’assistance sociale, les programmes de transferts monétaires (54 %) restent la modalité d’intervention la plus utilisée par les gouvernements.[2]

Cet article examine les réponses dans trois régions :

  1. Amérique latine, où certaines des premières réponses ont été initiées
  2. Asie, qui abrite certains des programmes les plus importants
  3. Afrique subsaharienne, où les gouvernements disposant de ressources limitées apportent des réponses innovantes à la crise

Dans toute l’Amérique latine, des réponses importantes et rapides ont été mises en place pour atténuer la crise. Bon nombre d’entre elles visent les travailleurs informels et s’appuient sur les infrastructures de paiement existantes. Au Chili, un pays à revenu élevé selon la classification de la Banque mondiale, le gouvernement a effectué en avril des versements d’un montant de 15 USD directement sur les comptes bancaires de 2 millions de personnes vulnérables, principalement des travailleurs informels, dans le cadre de l’initiative « Bono COVID-19 ». Ces versements ont pu être réalisés grâce aux comptes « Cuenta Rut » (un compte spécial de la banque nationale qui peut être ouvert sur simple présentation d’une carte d’identité, sans condition de ressources).[3]

En Colombie, pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, les 2,6 millions de bénéficiaires du programme Familias en Acción recevront chacun une allocation complémentaire de 98 USD. Le gouvernement colombien a également lancé un nouveau programme de transferts monétaires, appelé « revenu de solidarité », qui prévoit le versement ponctuel de 108 USD à au moins trois millions de travailleurs informels et leurs familles. Pour la moitié des ménages concernés qui disposent d’un compte bancaire, les versements seront effectués par ce biais, tandis que pour les autres, ils prendront la forme de paiements digitaux au moyen de la téléphonie mobile.[4]

Au Pérou, autre pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, le gouvernement a versé 108 USD à chacun des 2,7 millions de foyers classés « pauvres ».[5] Les autorités péruviennes avaient déjà réalisé des versements G2P sur des comptes, mais dans le cadre de leur réponse à la COVID-19, elles ont élargi l’éventail des prestataires de services financiers concernés pour y inclure des banques privées et des prestataires de services de mobile money, ce qui en facilite l’accès pour les bénéficiaires.3

Au Brésil, le gouvernement est un train d’ajouter un million de ménages à son programme Bolsa Família.[6] Le gouvernement brésilien a également mis en place un nouveau programme de transferts monétaires d’urgence pour une durée de trois mois, à raison de 115 USD par mois (soit 60 % du salaire minimum), en faveur des travailleurs informels. Les bénéficiaires de ce nouveau programme seront identifiés au moyen du Cadastro Unico, le registre social du pays.[7]

En Argentine, pays à revenu intermédiaire, le gouvernement a approuvé en avril une allocation de 151 USD destinée aux travailleurs informels, qui représentent 35 % de l’économie du pays. Au Salvador, pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, le gouvernement a annoncé une nouvelle allocation pour aider 1,5 million de ménages de l’économie informelle, sous forme d’un versement de 300 USD à chacun.[8] Le gouvernement a ciblé les ménages à faible consommation d’électricité, de façon à ce que tout ménage ayant une consommation mensuelle de 0 à 250 kilowatts par heure puisse bénéficier d’un versement.[9]

En Inde, le gouvernement s’est efforcé d’atténuer certains impacts négatifs sur les ménages pauvres au moyen d’une réponse rapide reposant sur des programmes existants. Le 24 mars, il a commencé le confinement total du pays. Dix jours plus tard, dans le cadre d’un programme de transferts monétaires d’une durée de trois mois, le gouvernement a versé 6,50 USD sur les comptes de 204 millions de femmes bénéficiaires du programme d’inclusion financière existant « PMJDY ».8 Il a également versé 13 USD par personne aux 35 millions de bénéficiaires du programme national d’assistance sociale (NSAP) pour les personnes âgées, les veuves et les handicapés qui reçoivent des pensions sociales.

En Indonésie, les prestations du programme phare d’allocations soumises à conditions « PKH » seront temporairement augmentées d’environ 25 % pendant trois mois et le programme sera élargi de 9,2 à 10 millions de bénéficiaires, soit 15 % de la population, à partir du mois d’avril. Les autorités ont avancé les versements et les décaissements auront lieu tous les mois au lieu de tous les trimestres.7

Au Pakistan, le gouvernement a lancé son programme de transferts monétaires d’urgence « Ehsaas » d’une durée de quatre mois pour dix millions de familles. Ce programme recensera 3 millions de ménages concernés au moyen de la base de données socio-économiques du pays, tandis que le seuil d’éligibilité sera assoupli à la hausse. Une campagne de SMS sera lancée pour informer les foyers à faible revenu de l’existence du programme. [10]

De même, en Thaïlande, le gouvernement a d’abord annoncé une nouvelle allocation de 153 USD par mois pendant trois mois en faveur des 3 millions de travailleurs qui ne sont pas couverts par le Fonds de sécurité sociale. Une semaine plus tard, le nombre de bénéficiaires a été porté à 9 millions, bien que 21,7 millions de travailleurs aient fait une demande d’allocation. Le coût total du programme s’élève à 4 milliards de dollars.7 Les récentes réformes thaïlandaises permettent de faire les versements sur des comptes bancaires grâce au système PromptPay qui est entièrement interopérable. L’écosystème de paiements digitaux du pays réduit également les besoins de retraits en espèces. La Thaïlande bénéficie en outre d’un système de carte d’identité numérique qui permet l’identification des bénéficiaires, ce qui permet au gouvernement de déterminer l’éligibilité et de virer les fonds directement sur le compte que le bénéficiaire a associé à sa carte d’identité.3

En Afrique subsaharienne, le sous-développement des infrastructures de paiement, des systèmes de carte nationale d’identité et des systèmes de protection sociale a entravé les réponses. Le continent reste pourtant une source d’idées intéressantes quant à la manière de cibler les familles à faible revenu les plus touchées par la crise.

Au Burkina Faso, le gouvernement a annoncé un nouveau programme de transferts monétaires à hauteur de 10 millions de dollars en faveur des travailleurs informels – vendeurs de fruits et légumes – avec un accent particulier sur les femmes.[11] En Éthiopie, le gouvernement a élargi et ajusté son programme de protection sociale « Urban Protective Safety Net » : les bénéficiaires recevront un versement anticipé pendant trois mois alors qu’ils sont en congé de leurs obligations de travaux publics.

Le Kenya, pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, dispose d’un système de sécurité sociale bien établi : le programme Inua Jamii, qui soutient un million de personnes par le biais d’une allocation mensuelle de 19 USD. Le Trésor national a alloué 100 millions de dollars supplémentaires au programme en réponse à la COVID-19. Au Malawi, dans le cadre du plan national de préparation et de réponse à la COVID-19, le gouvernement a proposé des mesures pour accélérer le versement des prestations du programme de transferts monétaires sociaux (SCTP) en avril, sous la forme d’un paiement anticipé couvrant quatre mois de versements jusqu’en juin. Le gouvernement propose également de verser une allocation complémentaire aux bénéficiaires du SCTP et d’élargir la couverture du SCTP dans les zones rurales (à partir de juin) et dans les zones urbaines d’avril à juin.[12]

L’Agence sud-africaine de sécurité sociale (SASSA) a commencé à verser des aides sociales anticipées aux personnes âgées et aux personnes handicapées à partir du 31 mars, et le montant des aides a été augmenté en date du 1er avril. Le 31 mars, le gouvernement du Zimbabwe a annoncé que 550 000 USD seraient alloués chaque mois à un programme de transferts monétaires d’urgence de trois mois en faveur d’un million de ménages vulnérables.[13]

Les pays africains ont fait des efforts pour encourager l’utilisation des paiements digitaux afin de favoriser la distanciation sociale et de réduire ainsi les risques de transmission. La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a pris plusieurs mesures pour promouvoir l’usage des paiements digitaux. La BCEAO est une banque centrale commune à huit pays d’Afrique de l’Ouest : le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Ces mesures consistent notamment à faciliter l’ouverture des comptes de mobile money et à permettre la gratuité des opérations de virement électronique entre particuliers.7

Au Ghana, les prestataires de service ont accordé la gratuité de tous les transferts de mobile money d’un montant inférieur ou égal à 100 GHS à partir du 20 mars 2020 pour une durée de trois mois.[14] Le Kenya a introduit une exonération de frais pour les opérations de mobile money de moins de 10 USD réalisées entre particuliers sur M-PESA à partir du 17 mars pour une durée de trois mois. Cette mesure fait suite à une directive du président du Kenya, Uhuru Kenyatta, qui vise à « explorer les moyens de développer l’utilisation du mobile money afin de réduire le risque de propagation du virus par la manipulation physique des espèces ».[15]

Les pouvoirs publics ont ainsi lancé de nouvelles initiatives et utilisé des programmes existants de versement d’allocations (transferts monétaires) pour répondre aux besoins des familles à faible revenu touchées par les conséquences économiques de la pandémie de COVID-19. Les modifications apportées aux programmes existants ont consisté notamment à augmenter le montant des versements (Indonésie, Afrique du Sud, Éthiopie), à faire des versements ponctuels complémentaires (Colombie, Inde), à augmenter le nombre de bénéficiaires (Brésil), à modifier les modalités de versement en procédant à des versements d’avance ou en augmentant la fréquence des versements (Éthiopie, Malawi, Afrique du Sud). Les pays qui disposent d’un système de carte nationale d’identité liée aux comptes bancaires, comme le Chili, l’Inde ou la Thaïlande, ont la possibilité de procéder à des décaissements rapides. Le fait d’autoriser un plus grand nombre de prestataires de services financiers à assurer le décaissement des sommes versées pourrait améliorer leur accessibilité pour les bénéficiaires et favoriser la distanciation sociale (Pérou).

La réponse à la crise de la COVID-19 pourrait accélérer la digitalisation des paiements. Quelques modifications simples de la réglementation pourraient être autorisées par les banques centrales pour favoriser l’écosystème des paiements digitaux, en autorisant par exemple les établissements non bancaires qui émettent de la monnaie électronique à offrir des services de retraits d’espèces et en accélérant l’arrivée de nouveaux entrants, en accordant entre autres des licences aux opérateurs de réseaux mobiles.

 

*Caroline Pulver travaille sur l’inclusion financière par le biais des paiements G2P (« Government to Person » : versements de l’État en faveur des particuliers). Elle possède plus de 20 ans d’expérience des services financiers. Depuis quatorze ans, elle s’est spécialisée dans la réduction de la pauvreté, en s’intéressant notamment aux mécanismes de distribution utilisés par les programmes de transferts monétaires (protection sociale et aide humanitaire). Elle a travaillé avec les gouvernements et les agences de développement de l’Afrique (Éthiopie, Ghana, Kenya, Mozambique, Rwanda, Afrique du Sud, Soudan, Tanzanie, Ouganda et Zambie), du Moyen-Orient (Jordanie, Liban, Yémen), de l’Asie (Inde, Indonésie, Laos, Népal, Philippines) et des Caraïbes (Jamaïque, Dominique, Grenade, Saint-Vincent-et-les-Grenadines). Consultante indépendante basée à Nairobi, elle collabore actuellement avec MSC à une étude de faisabilité pour une infrastructure de paiements digitaux dans l’État de Kaduna au Nigeria.

 

[1] Une action décisive face à une crise sans précédent, Banque mondiale, avril 2020

[2] Social Protection and Jobs Responses to COVID-19: A Real-Time Review of Country Measures, Banque mondiale, UNICEF, mai 2020

[3] Répondre à la crise grâce au paiement électronique des prestations sociales : des mesures de court terme pour des bénéfices à long terme, Banque mondiale, mars 2020

[4] https://id.presidencia.gov.co/Paginas/prensa/2020/Hoy-tenemos-identificados-3-millones-hogares-en-la-informalidad-sabemos-donde-estan-y-en-municipiosafirmo-Diego- Mol-200325.aspx

[5] Coronavirus hits rich and poor unequally in Latin America, Columbia Basin Herald, mars 2020

[6] Coronavirus: government gives 3 months to deposit FGTS, anticipates 13th of INSS and reinforces Bolsa Família, Globo, mars 2020

[7] Social protection and Jobs Responses to COVID-19: A real-Time Review of Country Measures, Banque mondiale, UNICEF, avril 2020

[8] Cash transfers lead the social assistance response to COVID-19, Devex, avril 2020

[9] Lockdown broken in El Salvador as crowds gather for government aid, Reuters, mars 2020

[10] Coronavirus: Govt to provide Rs12,000 to 10 million affectees under Ehsaas programme, The News, mars 2020

[11] Covid19/Burkina : Le président Roch Kaboré annonce de nouvelles mesures et un plan de riposte de 177 milliards de FCFA, Le Faso, avril 2020

[12] NATIONAL COVID-19 PREPAREDNESS AND RESPONSE PLAN, The Republic of Malawi, mars 2020

[13] Mthuli Ncube releases $500 million for Covid-19 fight, The Zimbabwe Mail, mars 2020

[14] Coronavirus: It is now free to send Ghc100 and below via mobile money, Graphic Online, mars 2020

[15] Kenya turns to M-Pesa mobile-money to stem the spread of COVID-19, TechCrunch, mars 2020

Le défi de la COVID-19 en Ouganda

Le défi de la COVID-19 en Ouganda

Doreen Ahimbisibwe et Anup Singh, juillet 2020

En Ouganda, le premier cas de COVID-19 a été détecté le 21 mars 2020. Depuis, le gouvernement a pris des mesures rapides et décisives pour contrôler la propagation de la pandémie. Il est à noter que l’Ouganda n’a pas enregistré de décès dû à la COVID-19 à la date du 20 juin 2020.

Dans ce rapport, nous analysons l’impact de l’épidémie de COVID-19 en Ouganda, en particulier sur les ménages à faible et moyen revenu, qui ont des revenus aléatoires et irréguliers.

Bien que la pandémie n’ait pas eu d’impact massif sur la santé et que la propagation de la pandémie ait été stoppée, les mesures prises ont eu un impact négatif sur l’économie. Confinement et couvre-feux prolongés ont affecté la vente de biens et de services non essentiels. Les revenus des entreprises ont considérablement diminué. Les réactions des entreprises pour minimiser les pertes se sont traduites par des réductions de salaires et des suppressions d’emplois.

Nous nous sommes entretenus avec plus de 147 membres de ménages à faible et moyen revenu dans le pays pour évaluer leurs perspectives et leurs réactions face à la crise de la COVID-19. Nous avons synthétisé les résultats pour fournir des recommandations et identifier des domaines d’opportunité à l’intention des décideurs politiques.

Le défi de la COVID-19 – Un rapport consacré aux segments de population à faible et moyen revenu

Le défi de la COVID-19

Un rapport consacré aux segments de population à faible et moyen revenu : réussites, difficultés, souffrances et nouvelles opportunités dans le contexte de la COVID-19

Graham WrightAkhand Tiwari et Rahul Chatterjee, juin 2020

Les cinq premiers mois de 2020 ont été difficiles pour tous. Ils ont été marqués par la crainte constante d’être exposé à l’infection, les nouvelles de proches et de connaissances touchés par la maladie, la disparition d’êtres chers et la perte de revenus. Pour beaucoup, les repas ont été moins copieux, tandis que pour d’autres, le travail non rémunéré a augmenté.

Dans ce rapport, nous nous intéressons aux ménages à faible et moyen revenu, qui ont des revenus incertains et irréguliers. Dans les foyers à faible et moyen revenu, le revenu quotidien de la famille se situe entre 0 et 12 USD. La COVID-19 est exactement le genre d’événement qu’ils ont toujours craint. Leur histoire faite de courage et d’adaptation mérite d’être connue, car elle apporte un éclairage essentiel au moment où les taux de pauvreté dans le monde sont voués à augmenter.

Entre le 1er et le 17 avril 2020, nous avons interrogé 604 ménages à faible et moyen revenu au Bangladesh, en Inde, en Indonésie, au Kenya et en Ouganda. Nous présentons la synthèse des résultats quantitatifs et qualitatifs de ces discussions dans ce rapport, ainsi que des suggestions de politiques spécifiques à adopter.

Les réseaux d’agents partagés des économies émergentes

Les réseaux d’agents partagés des économies émergentes

Doreen AhimbisibweEdward Obiko et Anup Singh, juin 2020

Quand vous allez chez un agent du Kenya, il est fréquent d’observer toute une série d’appareils utilisés par celui-ci. Si vous interrogez l’agent, celle-ci vous répondra que chacun de ces appareils appartient à une banque différente. Jonglant entre ces différents appareils, elle peut ainsi servir les clients de différentes banques. En pleine pandémie de COVID-19, les agents sont confrontés à une baisse de leur activité et à des coûts supplémentaires en raison des mesures de confinement, d’hygiène et de distanciation sociale et de la réduction des heures d’ouverture des banques. On peut toutefois s’interroger sur la complexité de gérer des opérations pour différentes banques, de conserver des encaisses pour répondre aux besoins des clients de chacune d’entre elles et d’arriver à suivre les revenus tirés de ces opérations.

La mise en place et la gestion d’un réseau d’agents efficace est l’une des tâches les plus difficiles pour les prestataires de services financiers digitaux. Gérer sa distribution au moyen d’un réseau d’agents implanté dans les différentes régions d’un pays est une affaire coûteuse. Compte tenu de la difficulté de mettre en place et de gérer un réseau d’agent viable, des prestataires ont commencé à collaborer pour mettre en commun leurs ressources dans ce domaine. Un modèle commercial innovant qui réduit le coût de la gestion des réseaux d’agents et améliore la portée des prestataires est celui des réseaux d’agents partagés.

Les réseaux d’agents partagés sont une approche qui permet à plusieurs prestataires de services financiers de mettre en place des infrastructures commerciales et technologiques communes pour proposer des services financiers à leurs clients. Ces derniers peuvent ainsi utiliser les services d’un agent affilié à un autre établissement bancaire ou financier que le leur pour faire leurs opérations.

Le réseau d’agents partagés permet aux banques de s’appuyer sur ces infrastructures communes pour étendre leurs services à un territoire géographique plus important et à un plus grand nombre de clients. Il permet de réduire les frais de mise en place d’agents pour la couverture de vastes zones d’activité. Il permet enfin de réaliser les investissements nécessaires à la création d’un réseau d’agents, au recrutement et à la formation des agents et à la gestion du réseau. Ces investissements améliorent l’inclusion financière en favorisant la diffusion et la pénétration des services financiers digitaux.

Image 1 : Point de vente d’un agent partagé informel à Machakos au Kenya. Crédit photo : Christopher Blackburn

Il existe deux types de réseau d’agents partagés :

  • Les réseaux d’agents partagés formels comme illustrés par l’Ouganda (Agent Banking Company – ABC), le Nigeria (Shared Agent network Expansion Facilities – SANEF) et l’Inde (Eko India Financial Services) : il s’agit de réseaux d’agents mis en place sous la responsabilité d’un gestionnaire de réseau commun dans le but de distribuer les services de plusieurs prestataires de services financiers.
  • Les réseaux d’agents partagés informels comme illustrés par le Kenya et le Pakistan : il s’agit d’agents qui regroupent et proposent de leur propre chef les services de plusieurs prestataires. Les clients peuvent avoir à effectuer leurs opérations par l’intermédiaire d’un prestataire auprès duquel ils ont un compte, comme c’est le cas au Kenya, ou choisir un prestataire avec lequel ils n’ont pas de compte, comme c’est le cas au Pakistan.


Les réseaux d’agents partagés informels sont issus de la croissance organique des réseaux d’agents dans les écosystèmes où les agents ne sont pas soumis à l’obligation de ne représenter qu’un seul prestataire. Des marchés comme le Kenya ou le Pakistan offrent depuis longtemps des conditions relativement favorables aux agents qui leur permettent de distribuer les services de différents prestataires de services financiers de manière concurrentielle.

Cependant, les agents de ces réseaux ne bénéficient pas forcément de tous les avantages offerts aux agents des réseaux formels, le principal d’entre eux étant la possibilité de gérer plusieurs fonds de caisse interopérables au moyen d’une même encaisse [1]. Mais même sans cette possibilité, les réseaux d’agents partagés informels ont prospéré sur les marchés qui ont été les premiers à adopter la distribution de services de banque à distance. Au Kenya par exemple, certains agents peuvent représenter jusqu’à onze prestataires de services financiers, avec des terminaux, des registres et des fonds de caisse distincts pour chacun.

Les réseaux d’agents partagés formels sont adoptés par les marchés où la distribution de services de banque à distance connaît un développement régulier dans le cadre de réseaux d’agents gérés par des tiers qui représentent plusieurs prestataires de services financiers. Ces tiers peuvent être des entreprises privées ou émaner d’associations professionnelles et bénéficient d’une reconnaissance professionnelle qui leur permet de gérer et de développer ces réseaux pour le compte des prestataires de services financiers tout en réalisant des économies de frais de gestion. Ce modèle a connu un succès important sur certains marchés où ces établissements ont d’abord commencé par gérer les réseaux d’agents d’une seule institution avant d’élargir par la suite le nombre d’institutions concernées. En Inde, Eko a conclu des accords de partenariat avec plusieurs banques dans le cadre desquels chaque agent distribue les services de plusieurs banques. Les réseaux formels d’agents partagés mis en place par des associations professionnelles comme SANEF au Nigeria ou ABC en Ouganda n’ont pas encore rencontré le même succès.

La Banque centrale du Nigeria (Direction des systèmes bancaires et de paiement), par l’intermédiaire du Comité des banques et en collaboration avec l’ensemble des établissements bancaires, des opérateurs de téléphonie mobile et des « super-agents du Nigeria, a lancé en 2018 le Shared Agent Network Expansion Facility (SANEF), qui a pour objectif ambitieux de toucher 50 millions de Nigérians d’ici 2020 grâce à un réseau de 500 000 agents. Ces objectifs ont été répartis entre les zones géopolitiques afin d’assurer une croissance équitable du réseau d’agents. Pour faciliter le développement de ce réseau, la BNC a prévu de distribuer des prêts à des conditions préférentielles aux prestataires retenus en fonction de leur expérience, de leurs effectifs, de leur couverture, etc.

Les réseaux d’agents partagés permettent aux prestataires financiers de réduire leurs frais de gestion et de maintenance des plateformes, ainsi que les frais de formation et de suivi des agents, tout en améliorant la gestion de la liquidité, notamment dans les environnements totalement interopérables. Les réseaux d’agents partagés formels exigent néanmoins beaucoup d’efforts concertés pour étendre le réseau et gérer de manière équitable les intérêts des différents prestataires concernés. Si certains marchés ont adopté les réseaux d’agents partagés, les régulateurs d’autres marchés préfèrent que les établissements financiers réglementés restent seuls responsables de la performance des agents et ne sont donc pas favorables au concept d’agents partagés.

Nous pensons qu’à mesure que les services financiers digitaux arriveront à maturité, la concurrence entre prestataires devrait porter davantage sur le produit que sur le réseau de distribution. Certains prestataires considèrent que l’ouverture de l’ensemble du réseau d’agents peut présenter des inconvénients, comme par exemple le risque que les clients ne reçoivent pas un service adéquat et professionnel. Les prestataires pourraient envisager de créer une différenciation entre les agents en se concentrant sur deux catégories d’agents : les agents de vente et les agents de service. Les premiers seraient exclusifs et en nombre plus restreint pour se consacrer à la vente de produits, à l’ouverture de comptes, à la prise en charge des nouveaux clients et aux opérations de montant élevé. Leurs services seraient complétés par des agents de service plus nombreux, qui représenteraient plusieurs prestataires financiers pour traiter les opérations de petit montant et les dépôts et retraits d’espèces.

 

[1] L’interopérabilité des comptes de float (encaisses) est une pratique qui consiste à gérer les fonds de caisse de différents prestataires de services financiers au moyen d’une plateforme commune, ce qui permet à un agent de servir tous les clients des prestataires concernés en utilisant une seule et même encaisse.

Le réseau d’agents partagés de l’Ouganda

Le réseau d’agents partagés de l’Ouganda

Edward ObikoDoreen Ahimbisibwe et Anup Singh, juin 2020

À la suite de la pandémie de COVID-19, les revenus des agents en milieu rural et urbain ont considérablement diminué en Ouganda en raison de la forte baisse des volumes d’opérations. Les clients ne peuvent pas se déplacer en raison des restrictions de déplacement et ils ne font plus autant de transactions. Grâce à la mise en place d’un réseau d’agents partagés, les Ougandais peuvent désormais accéder facilement aux services bancaires, quel que soit l’agent auquel ils s’adressent. Ces agents peuvent servir les clients de plusieurs établissements et avoir ainsi une activité plus importante.

En janvier 2016, le parlement ougandais a adopté la loi sur les institutions financières (amendement) de 2016, ouvrant ainsi la voie à la création de services de banque à distance en Ouganda.

Compte tenu de l’investissement massif requis pour mettre en place et gérer des réseaux d’agents bancaires, les banques ougandaises – sous l’égide de leur association professionnelle, l’Uganda Bankers’ Association (UBA – Association ougandaise des banques) – se sont mises d’accord pour mettre en place un réseau commun d’agents. Ce réseau d’agents partagés fonctionne sur une plateforme détenue conjointement par l’UBA et Eclectics International (un fournisseur de services technologiques) et gérée par l’Agent Banking Company (ABC).

En date de février 2020, 13 banques[1] utilisaient la plateforme d’agents partagés d’ABC. En date de septembre 2019, on comptait 9 477 agents partagés répartis dans l’ensemble du pays, qui réalisaient en moyenne 2,15 millions d’opérations par mois. Les agents de la plateforme commune peuvent effectuer des dépôts et retraits d’espèces, régler des factures pour le compte des clients, ouvrir des comptes, consulter le solde des clients et leur remettre des mini-relevés et traiter le paiement des frais de scolarité.

Les avantages du réseau d’agents partagés

Pour les banques participantes, le principal avantage des réseaux d’agents est la réduction de leurs coûts. Les banques ougandaises ont ainsi réalisé des économies sur l’investissement nécessaire à la mise en place de leurs réseaux d’agents respectifs. Les frais de mise en place et de gestion des réseaux d’agents comprennent le matériel (terminaux de point de vente, smartphones et imprimantes Bluetooth), le recrutement et l’intégration des agents, ainsi que leur formation.

Le réseau d’agents partagés de l’Ouganda s’appuie sur les réseaux existants de prestataires de services financiers parmi les plus importants du pays (en termes de couverture du marché) et permet donc d’accroître la portée du réseau et les volumes d’opérations. Les agents bénéficient en outre d’une gestion facilitée de leurs encaisses. Ils peuvent en effet se réapprovisionner ou faire des remises d’espèces auprès de n’importe quelle agence bancaire pour des frais qui représentent 30 % de la commission habituelle, qu’il s’agisse d’un retrait ou d’un dépôt. Le rééquilibrage des encaisses représente une source de revenu supplémentaire pour les banques, qui sont ainsi encouragées à ouvrir leurs guichets aux agents d’autres banques.

Grâce au canal de la banque à distance, les banques ont réussi à réduire le nombre d’opérations de base effectuées à leurs guichets et donc à limiter l’encombrement de leurs agences. Dans une interview accordée à la chaîne de télévision NBS en 2019, Ronald Muganzi, responsable du réseau d’agents de la Stanbic Bank, indiquait que 85 % des opérations de base de Stanbic étaient désormais réalisées en dehors de ses agences. Cela s’explique en partie par le fait que la banque appartient à la plateforme d’agents partagés.

Certains agents qui traitaient des opérations bancaires en tant qu’activité complémentaire déclarent bénéficier doublement du réseau d’agents partagés. Leurs revenus ont augmenté grâce aux commissions supplémentaires, tout comme les ventes de produits réalisées au titre de leur activité principale.

De leur côté, les clients sont tout aussi satisfaits, car la plateforme commune leur permet d’accéder plus facilement et plus agréablement aux services bancaires. Ils peuvent en outre bénéficier des services des agents d’autres banques en plus de ceux affiliés à leur banque.

Les défis rencontrés par le réseau d’agents partagés

Dans un scénario idéal, une plateforme d’agents partagés devrait permettre aux agents de n’utiliser qu’un seul terminal de point de vente. Sachant que certaines banques ne se sont pas encore affiliées à la plateforme, les agents doivent encore jongler entre les appareils de plusieurs prestataires. Vu qu’il est compliqué de gérer l’appareil du réseau d’agents partagés en plus des appareils des banques qui ne sont pas sur la plateforme commune, certains agents ont décidé de ne conserver qu’un seul terminal, leur choix étant déterminé par la banque qui se montre la plus réactive.

Nous avons constaté que même s’ils appartiennent au réseau d’agents partagés, certains agents possèdent toujours plusieurs terminaux, car certaines banques de la plateforme continuent de leur fournir leur propre appareil. Cette situation peut s’expliquer par une certaine rivalité entre les banques pour assurer leur visibilité auprès des agents et éviter à leurs clients les frais supplémentaires liés aux transactions effectuées par l’intermédiaire d’un agent d’une autre banque.

Pendant les périodes de forte activité bancaire, comme par exemple au début du trimestre scolaire, il peut arriver que le système tombe en panne ou ralentisse considérablement en raison de l’augmentation de la demande. Les clients sont alors obligés d’utiliser d’autres options à leur disposition pour faire leurs opérations. Certains agents indiquent qu’ils hésitent à fonctionner uniquement avec l’appareil de la plateforme partagée en raison du manque de fiabilité du réseau et des risques de panne.

Certains prestataires de services financiers ont le sentiment de ne pas avoir la maîtrise de leurs prix. Ils estiment que les tarifs sont influencés par les grandes banques de la plateforme et qu’ils ne peuvent pas faire autrement que de les suivre. Pour mieux comprendre ce problème, examinons le scénario détaillé ci-dessous :

Figure 1 : Illustration de la répartition des commissions payées par les clients entre les différentes parties prenantes du réseau d’agents partagés.

Comme illustré ci-dessus :

  • La banque émettrice (celle qui détient le compte du client) reverse 70 % des frais d’opération facturés au client à la banque acquéreuse (celle à laquelle l’agent est affilié)
  • Sur ces 70 %, la banque acquéreuse reverse un petit pourcentage à l’agent pour sa commission et conserve le reste pour couvrir ses frais de fonctionnement (rouleaux d’impression, matériel de promotion et marge bénéficiaire)
  • De son côté, la banque émettrice perçoit 30 % des frais d’opération, dont la moitié sont reversés à ABC. Elle conserve par conséquent 15 % des frais d’opération.

Comme on peut le voir à partir de cette description, c’est la banque acquéreuse qui conserve la plus grosse part des frais d’opération. Il est important de noter que le montant des frais d’opération facturés au client est décidé par la banque émettrice (la banque du client). Les banques de plus petite taille ont donc le sentiment que cette approche tarifaire favorise souvent les banques acquéreuses qui possèdent des réseaux d’agents comparativement plus importants. Ce choix de répartition avait été fait dans le souci de favoriser délibérément les banques acquéreuses afin d’encourager les banques de plus grande taille dotées de réseaux d’agents plus importants à rejoindre la plateforme.

Tous les produits financiers offerts sur la plateforme doivent être approuvés par ABC. Certains prestataires de services financiers estiment que cette obligation freine la mise en œuvre d’idées innovantes sur la plateforme.

Les enseignements de l’expérience ougandaise

Le réseau d’agents partagés de l’Ouganda reste relativement récent et l’expérience des prestataires de services financiers et des clients est encore en train d’évoluer. Les parties prenantes s’efforcent de résoudre les problèmes à mesure qu’ils se présentent. Parmi les leçons tirées jusqu’à présent, on peut mentionner les points suivants :

  • Les banques doivent avoir des approches uniformes en matière de tarification. Une banque qui ne facture pas de frais, ou des frais beaucoup plus bas, à ses clients qui utilisent ses propres agents, et facture des frais plus élevés lorsqu’ils utilisent les agents d’autres banques décourage l’utilisation de la plateforme d’agents partagés. Dans un tel scénario, le rapprochement comptable des agents devient beaucoup plus compliqué, car ils gèrent plus d’un fonds de caisse pour la même banque.
  • La tarification au sein d’un réseau d’agents partagés est une question complexe qui doit être soigneusement gérée pour assurer une prestation de service responsable. Les prestataires se plaignent souvent de l’uniformité de la structure tarifaire alors qu’ils ont des structures de coûts différentes. La tarification est donc un équilibre délicat entre ce qui est raisonnable pour les clients et ce qui rémunère de façon adéquate les banques et les agents.
  • Si les banques n’ont pas le sentiment que le modèle leur appartient, l’enthousiasme suscité par le réseau d’agents partagés sera plus limité. Dans le cas de l’Ouganda, l’UBA permet aux banques d’avoir le sentiment de posséder collectivement la plateforme, ce qui les motive à assurer sa réussite.
  • La qualité du service à la clientèle est un élément clé de la réussite d’un réseau d’agents partagés. Les agents doivent être recrutés et formés avec soin. Les banques sont tenues de recruter des agents qui répondent aux normes prescrites par la Banque de l’Ouganda. Ils doivent être courtois et professionnels et suivre les procédures établies pour assurer la protection des consommateurs. Parmi les mesures mises en place, on peut citer par exemple le refus des agents d’effectuer des opérations « offline » ou l’authentification du code confidentiel par l’agent et par le client pour valider les opérations.
  • Il existe un risque important de fraude sur la plateforme en raison de la circulation des informations de plusieurs institutions et de leurs clients vers des tiers (les agents). Des mesures prudentielles qui visent à renforcer la confidentialité des données par la suppression des informations conservées par les agents sont essentielles pour éviter les fraudes.

Selon l’enquête Finscope de 2018, 58 % seulement de la population adulte de l’Ouganda est titulaire d’un compte bancaire. Ce chiffre montre qu’il existe un potentiel considérable de croissance. La capacité des agents et des prestataires de services financiers affiliés à la plateforme à commercialiser les différents comptes proposés par les banques sera essentielle pour s’assurer que chaque adulte dispose d’un compte bancaire fonctionnel. Dans l’ensemble, même si la pandémie de COVID-19 a mis un frein aux progrès réalisés en raison des mesures de confinement mises en place pour limiter la propagation du virus, la distribution de services bancaires par les agents va dans le bon sens en Ouganda. ABC est en train de réviser ses règles de fonctionnement applicables à l’ensemble des banques de la plateforme. Ces révisions visent à harmoniser et à normaliser l’expérience des utilisateurs. Elles visent aussi à revoir le régime de tarification ainsi qu’à remanier les règles du système afin de mieux gérer le rôle des banques et des agents et d’offrir ainsi des services financiers dans l’ensemble du pays de manière responsable.

 

[1] Stanbic, Absa, Bank of Africa, Diamond Trust Bank, DFCU, Housing Finance, Post Bank, Opportunity Bank, Centenary Bank, Tropical Bank, Finance Trust Bank, United Bank of Africa et Exim Bank

MIMO : réduire la fracture digitale pour la main d’œuvre rurale

MIMO : réduire la fracture digitale pour la main d’œuvre rurale

Sneha SampathAnil Gupta and Anshul Saxena, juin 2020

Ce blog retrace le parcours d’une start-up du Laboratoire d’inclusion financière (Financial Inclusion Lab), un accélérateur de start-ups qui reçoit le soutien de certaines des plus grandes organisations philanthropiques du monde – la Fondation Bill & Melinda Gates, JP Morgan, la Fondation Michael & Susan Dell, la Fondation MetLife et le Omidyar Network.

L’Inde compte 15 millions de travailleurs à la tâche, ce qui représente près de 40 % des emplois freelance offerts dans le monde, et ce chiffre augmente de façon régulière chaque année. Nombreux sont les étudiants qui ont abandonné leurs études ou les personnes employées à temps partiel qui recherchent des emplois d’appoint pour subvenir à leurs besoins et/ou à ceux de leur famille. Ces emplois, souvent appelés « gig work » en anglais (ce qui peut se traduire par « emploi à la tâche »), sont souvent imprévisibles, irréguliers et précaires. Dans la plupart des cas, le gig work découle d’une pénurie d’emplois stables à temps complet. De façon peu surprenante, on observe que le problème du sous-emploi est plus prononcé dans les zones rurales en raison d’activités économiques plus limitées.

Préssentant une opportunité de servir la gig économie, l’entrepreneuse en série Lathika Regunathan a créé MIMO (Minimum Investment Maximum Outcome : investissement minimal, résultat maximal). MIMO se sert de la technologie pour aider les travailleurs à la tâche de l’ensemble du pays, et notamment ceux des zones rurales, à améliorer leurs revenus. Son application mobile joue le rôle d’intermédiaire entre des prestataires de services, généralement des banques ou d’autres institutions, et ses agents de terrain, qui sont le plus souvent des jeunes sous-employés.

L’application permet aux prestataires de mettre en place différentes tâches régulières et limitées dans le temps qu’ils souhaitent externaliser. MIMO affecte ces tâches à des agents de terrain formés et géo-localisés au sein du territoire de leur choix. Ces tâches ont généralement trait à la vérification de demandes de prêts ou de cartes de crédit, à la collecte de documents ou d’encaissements, etc. L’application contient également des fonctionnalités d’analyses statistiques, de tableaux de bord et de mécanismes de gestion du suivi destinées aux prestataires de services. 

La prise de conscience

Le concept de MIMO a vu le jour alors que Lathika travaillait en Amérique latine dans le secteur des services financiers. Elle y avait observé que les coûts d’exploitation et d’acquisition des clients étaient élevés dans les zones rurales, ce qui empêchait les prestataires de servir la clientèle du bas de la pyramide des revenus de façon rentable. Les prestataires n’avaient pas non plus la possibilité d’utiliser une plateforme économique de service à la clientèle pour ces segments, surtout dans les zones difficiles d’accès. Réalisant que son pays d’origine était probablement confronté aux mêmes difficultés, Lathika a décidé peu de temps après de revenir en Inde pour s’attaquer à ce problème. 

Le pitch

MIMO a pour mission d’aider la main d’œuvre rurale et semi-urbaine à tirer parti de la révolution digitale. Ses agents de terrain sont généralement des jeunes qui ont abandonné leurs études. Ils travaillent avec MIMO pour gagner leur vie tout en se formant à l’univers digital. 

MIMO aide également les établissements financiers et d’autres prestataires de services à toucher les marchés ruraux de façon économique. Il est souvent difficile et coûteux pour les prestataires de servir la clientèle rurale en raison de l’absence d’infrastructures du dernier kilomètre, des distances et du caractère isolé de nombreuses régions. Le coût de mise en place d’un réseau de distribution de grande envergure est élevé, surtout dans les zones rurales dispersées, avec des retours sur investissement peu élevés. 

MIMO permet ainsi aux prestataires d’accéder à une main d’œuvre formée et à des compétences plus proches de leur clientèle, tandis que ses agents de terrain accèdent ainsi à des opportunités de revenus au sein de leur localité. 

L’impact sur les segments à faible et moyen revenu

Lathika considère que MIMO améliore les conditions de vie de ses agents de terrain. MIMO leur offre la possibilité d’exercer une activité professionnelle respectable qui améliore leur statut social au sein de leur communauté. Ils font partie du monde digital, ce qui facilite leur inclusion sociale.

Pour connaître le point de vue des agents, l’équipe MSC a interviewé Ram Sahay, un agent de terrain de MIMO : « Je suis fier de travailler avec MIMO, parce qu’à la différence de certains de mes collègues, qui sont obligés de transporter des gros paquets de documents ou de formulaires chez leurs clients, je travaille avec l’appli mobile de MIMO, ce qui me permet de faire la même chose deux fois plus vite », dit-il avec un large sourire. Les agents de terrain déclarent que les tâches réalisées pour MIMO augmentent leurs revenus de 20 à 30 %. Ils indiquent que leur productivité personnelle s’est elle aussi améliorée, car ils peuvent mieux planifier leurs journées. 

Les obstacles

Depuis sa création, l’une des principales difficultés rencontrées par MIMO a été de gagner et de conserver la confiance de clients qui sont des banques et d’autres prestataires de services. Faute de visibilité sur le dernier kilomètre, ces clients avaient des inquiétudes quant aux antécédents et aux compétences des agents de terrain et doutaient que ceux-ci soient en mesure de faire le travail dans le respect de leurs exigences. 

Il a été beaucoup plus facile pour MIMO de relever le défi de la formation des agents de terrain en ce qui concerne la technologie et l’application. Cela passait par des choses simples, comme le fait de prendre de bonnes photos, de comprendre la signification des documents à remplir, etc. Il a fallu davantage de temps et des formations répétées pour améliorer leurs compétences en matière de communication, de présentation et d’aisance dans les relations avec les clients des prestataires – ce qu’on appelle les « soft skills ». 

La diversité des zones géographiques couvertes a également représenté une autre difficulté pour MIMO. Les différences dans les habitudes de travail l’ont obligée à aborder chaque état indien de façon différente. Dans des états comme le Bihar ou l’Uttar Pradesh, MIMO a eu du mal à obtenir que les agents de terrain terminent les tâches figurant sur leur liste dans les délais alloués. Les agents de terrain des états du sud de l’Inde font preuve de davantage de rigueur et n’hésitent pas à accepter des tâches supplémentaires. 

Le soutien du Lab 

Le Centre for Innovation Incubation and Entrepreneurship (CIIE – Centre d’incubation de l’innovation et de l’entrepreneuriat) et MicroSave Consulting (MSC) ont organisé des ateliers de travail intensifs et des séances de diagnostic pour soutenir MIMO. MSC a ainsi organisé une séance de planification stratégique avec l’équipe de direction de l’entreprise. Cet exercice a permis aux membres de l’équipe d’entamer une réflexion stratégique allant au-delà de la simple survie de l’entreprise. Grâce à cette démarche, MIMO est en mesure de se fixer des objectifs à moyen terme et à long terme avec des cibles intelligentes. D’après Lathika, cela leur a permis de rationaliser les processus internes de l’entreprise tout en rapprochant l’équipe. 

Avant ce travail, l’équipe de MIMO était confrontée à des difficultés typiques des start-ups. L’équipe n’avait pas de définition précise des rôles et responsabilités. Il arrivait par exemple que l’un de ses membres finisse par s’occuper d’un processus interne qu’un autre membre de l’équipe maîtrisait mieux, ce qui représentait une perte d’efficacité. La situation était également aggravée par un manque de communication. L’atelier a permis aux responsables des différentes équipes de se rapprocher et d’identifier les déficits de communication. Ils ont pu ainsi se répartir d’un commun accord des rôles et des responsabilités mieux définis. 

À ce jour, MIMO a réduit de 25 % les délais d’exécution de ses processus grâce à une meilleure répartition des tâches et à la mise en place de normes de communication au sein de l’entreprise. L’atelier et l’assistance complémentaire du Lab ont également permis à l’équipe de direction de MIMO de mieux gérer ses priorités et d’avoir davantage d’impact dans le cadre d’une vision plus large de l’entreprise. 

Une étude de terrain de diagnostic rapide a permis à MIMO de mieux comprendre les différentes difficultés rencontrées par ses agents sur le terrain et prendre des mesures pour les surmonter. Cette étude a également permis de définir un barème de commission équitable basé sur les normes du secteur. 

COVID-19 : une période difficile pour MIMO et ses travailleurs indépendants

Après avoir commencé avec quelques clients et 250 agents de terrain en 2017, MIMO servait jusqu’en février 2020 plus de 70 clients par le biais de 10 800 agents de terrain. Avec une activité qui couvrait 19 États de l’Inde, son avenir s’annonçait prometteur. Mais le coronavirus est arrivé, plongeant tout le pays en situation de « lockdown » (confinement). Les activités de terrain de l’entreprise ont été complètement interrompues et les clients sont revenus sur leur engagement de poursuivre leurs relations dans ces conditions.

Fermement décidée à survivre, MIMO a examiné la possibilité d’un processus de vérification vidéo. Il ne s’agit pas d’une grande transformation innovante, mais plutôt d’un ajustement pour faire le meilleur usage des ressources disponibles : l’appel vidéo. Ce qui a commencé comme une solution provisoire pendant la crise actuelle a rapidement pris de l’ampleur, tant auprès des clients que des agents de terrain qui travaillaient depuis leur domicile. La confiance des clients dans la qualité des résultats obtenus par MIMO et la capacité de l’équipe MIMO à adopter le nouveau processus et à former les agents de terrain qui le souhaitaient ont commencé à porter leurs fruits. De presque zéro transaction pendant la deuxième quinzaine de mars à quelques centaines aujourd’hui et à l’arrivée prochaine de deux gros clients, MIMO pourrait finir par traiter davantage de transactions qu’avant l’arrivée de la pandémie.

Ce blog fait partie d’une série d’articles consacrés à des FinTech prometteuses qui sont source de changement au sein des communautés défavorisées. Ces entreprises bénéficient du soutien du Laboratoire d’inclusion financière (Financial Inclusion Lab), un accélérateur de start-ups également parrainé par MicroSave Consulting (MSC) qui fait partie de l’initiative indienne, “Bharat Inclusion Initiative”  du Centre for Innovation Incubation and Entrepreneurship (CIIE.CO) en Inde.